Man�ge d'une vie cass�e | By : Lakesis Category: French > Originals Views: 933 -:- Recommendations : 0 -:- Currently Reading : 0 |
Disclaimer: This is a work of fiction. Any resemblance of characters to actual persons, living or dead, is purely coincidental. The Author holds exclusive rights to this work. Unauthorized duplication is prohibited. |
Titre : Man�ge d�une vie cass�e
Auteur : Lakesis
Genre : POV / Yaoi
~Man�ge d�une vie cass�e~
Comme un vieux carrousel, rouill�, aux chevaux de bois
qui ont perdu leur vernis, j�ai continu� � tourner, par fiert�, par douleur, et
par peur de m�arr�ter. La fantasia devait poursuivre, en tout cas, je m�en
persuadais. Ne pas avoir le droit de cesser de virevolter, jouer la m�me
musique, et oublier les maux de t�te de ces tours sans fin, sans but.
Chaque jour, mon rituel reprenait, dans ma glace, je
me voyais, comme celui que j��tais et que j�abhorrais, j�ai voulu briser ces
miroirs, mais j�y ai renonc�. Peine perdue. Je ne d�jeunais pas le matin, le
ventre nou� par ma peur quotidienne, par mes souffrances �gar�es. J�ai r�v�
parfois, du sol, en bas de mon immeuble, au goudron froid, qui m�accueillerait
� bras ouverts, si je d�cidais de me pr�cipiter vers lui. Le neuvi�me �tage
serait mon dernier tremplin, et finir le cr�ne bris� m��tait plus doux,
peut-�tre, que de me d�battre pour avancer. Mais j�avais toujours renonc�, la
fen�tre finalement ouverte sur le ciel gris de Paris, et je m��loignais du bord
de ma mort, je retournais m�asseoir sur le divan, reprenant une lecture
�vanescente et inutile.
Mon sac sur le dos, je descendais les escaliers, qui
grinc�rent sous mes pas, et je sortais dans l�atmosph�re froide et hivernale,
d�une ville encore endormie. J�avais � marcher jusqu�� la station de m�tro
quelques m�tres plus loin, et me laisser porter jusqu�� l�universit�. Facult�
de m�decine, choisie par hasard, ou par d�pit, je n�aimais pas mes cours, mais
mes parents �taient fiers de moi, pour une fois. Depuis deux ans maintenant, je
continuais, imperturbable, � me rendre dans cet amphith��tre, � �couter mes
professeurs, � noter, � mourir, � petit feu. Je n�ai jamais eu beaucoup d�amis,
mais peu me suffisait, de toute fa�on. Il y avait J�r�my et Thomas, Sandra et
Mathilde, et tout allait bien comme �a.
Alors, dis-moi, pourquoi ai-je crois� ton regard ce
jour-l� ?
J�arrivais tout le temps quelques minutes seulement
avant le d�but des cours, je n�aimais pas particuli�rement discuter, de toute
fa�on, c��tait pour moi plus une corv�e qu�autre chose. Quand la parole �tait
creuse, la discussion �tait inutile. Et malheureusement pour moi, jamais mes
mots ne trouvaient un �cho intelligible. Je me suis install� pr�s de Thomas,
qui, affal� sur le pupitre, semblait repartir dans le sommeil qu�il venait de
quitter, mais je l�ai tout de m�me pouss�, il s�est redress�, les cheveux en
bataille, et le pli de son pull fig� sur sa joue. J�ai souri, gentiment, et il
m�a dit, en baillant :
� -Salut, �a va ?
-Ca va, merci.
-Sandra est malade, la grippe, � ce qu�il para�t.
-Oh�
-On passera la voir apr�s les cours, tu viens avec
nous ? �
J�ai r�fl�chi l�espace d�une petite seconde et j�ai
refus�, je n�avais pas envie de prolonger de quelques instants de plus mon
s�jour dans cet univers ext�rieur au mien. Thomas a hauss� les sourcils, blas�,
il savait pourtant bien que je n�aimais pas �a, j�avais toujours autre chose en
t�te, mon propre macrocosme, o� tout �tait beau, arch�typal, o� je me trouvais
comme l�impeccable reflet de la finition � laquelle j�aspirais. Dans mon monde
� moi, je n��tais pas qu�une ombre, j��tais un �tre � part enti�re. Et quand la
r�alit� revenait comme un boomerang, �a faisait mal.
La r�alit�, tu y croyais, toi ?
J�r�my est arriv�, avec Mathilde, et ils m�ont salu�.
Je les enviais, pour trouver un �quilibre dans l�autre, pour avoir devin�
quelque chose qui me demeurait comme un mirage, une illusion �trange, que je ne
comprenais pas, et que je n�ai pas jamais compris.
M�me avec toi, encore plus avec toi.
Ils parlaient de mariage, ils n�avaient que vingt ans,
voulaient une famille et oubliaient
tout. Je n��tais pas comme �a, je ne m�embarrassais pas de ces fadaises
stupides, de ce que je ne comprenais pas de toute fa�on. J�ai sorti mon bloc
note et un stylo, avec lequel je me suis amus� un petit instant, et l�, je t�ai
vu. Tu es rentr�, un peu apeur�, tu serrais ton sac contre toi, et tu as
parcouru l�amphith��tre d�un regard mouill� de frayeur. Va savoir pourquoi,
tout de suite, je t�ai aim�. Tu t�es assis au premier rang, la t�te dans tes
feuilles, et les paroles de Thomas m�ont arrach� � ta vue. Je n�ai pas eu trop
� me forcer, c��tait vrai, mais tu m�avais marqu� ; raret�, �tranget�. Le
professeur est arriv�, comme d�habitude, il a remont� ses petites lunettes d�un
doigt crisp�. Je voulais me concentrer, mais c��tait ta silhouette que je
voyais, c��taient tes cheveux un peu �bouriff�s qui me passionnaient, c��tait
toi, mon cours, irr�m�diablement. Chaque parole me passait au-dessus, mon
crayon �tait f�brile sur le papier blanc, il ne m�ob�issait pas, mais
l�avait-il d�j� fait, �tait-ce vraiment cette science stupide qui
m�int�ressait. Qu�est-ce qui m�int�ressait d�ailleurs ?
Toi, peut-�tre, maintenant. Je ne te l�ai jamais dit,
je n�ai pas de regrets, mais j�aurais d�, car maintenant, c�est trop tard.
Quand chacun s�est lev�, tandis que le d�bit assommant de l�homme en bas
prenait fin, j�ai fourr� mes affaires dans mon sac, et je suis descendu, sautant
parfois une marche, Thomas sur les talons, qui me demandait ce qui m�arrivait
soudain. Ce qui se passait ? Je ne le savais m�me pas moi-m�me, alors
comment aurais-je pu le lui dire ?
On est rentr� dans le RU, et je l�ai cherch�, pour le
trouver enfin, assis seul � une table, loin de la porte d�entr�e. J�ai pri�
pour que personne d�autre n�ait l�id�e saugrenue de le rejoindre, et je me suis
pr�cipit� vers les pr�sentoirs, j�ai pris n�importe quoi, j��tais dans un �tat
second, d�excitation, d�impatience. Etonnant m�lange, en v�rit�.
Je me suis approch�, tremblant et h�sitant, je n�avais
pas confiance en moi, et cela se voyait, mais toi, tu avais la t�te baiss�e, tu
n�avais pas compris. J�ai pos� mon plateau, le verre a fait du bruit, et tu
m�as regard�, tu ne saisissais toujours pas, mais tu ne m�as pas repris, tu ne
m�as pas interdit de m�asseoir. Thomas ne m�a pas rejoint, il a d� se demander
quelle mouche me piquait, avant d�aller rejoindre la table dite habituelle,
pour bavasser avec J�r�my et Mathilde. Je t�ai demand� du regard si je pouvais
rester, et tu as souris. J�aimais ton sourire, d�s lors que tu me l�eus offert.
Je suis rest� silencieux, toi aussi, puis j�en ai eu
assez, j�ai parl�, enfin.
� -J�esp�re que je ne te d�range pas.
-Non, ne t�inqui�te pas. �
Ta voix aussi �tait belle, tu semblais tellement
parfait, comment aurais-je pu savoir ? Tu jouais avec ta nourriture, tu la
repoussais sur le bord de l�assiette avant de la remettre au centre, et j�ai
continu�, puisque tu ne semblais disposer � le faire toi-m�me :
� -Je m�appelle St�phane.
-Silvyan, ravi de te rencontrer. �
Tu as encore souri, et tu m�as tendu ta main, une main
blanche et fragile, que je me suis empress�e de serrer. J�ai eu peur de la
briser, mais elle t�est revenue intacte. Ton pr�nom �tait �trange, mais il
t�allait bien, tout ce qui t�appartenait t�allait bien, de toute mani�re. En
tout cas, moi je le pensais.
� -Tu es nouveau ?
-Oui, j�ai d�m�nag� il y a un mois, avec mes parents.
Le temps de trouver la fac, de r�int�grer le bon d�partement�
-Je pourrais t�aider, si tu le souhaites. �
Qu�est-ce que tu m�avais fait, Silvyan ? Un coup
d��il, une parole, et je te proposais d�j� de te faire rattraper ce que tu
avais manqu�. Mais ce n��tait pas anodin, je ne pouvais pas mentir, quant �
cela. Ta beaut� m�avait frapp�, mon dieu, tu �tais magnifique. Tes jolis yeux
bleus, ta bouche fine, ton nez droit, tes cheveux blonds, ta peau lactescente�
Ta voix, aussi. Ton �tre entier, ce que tu �tais, Silvyan, me subjuguait, tu
semblais comme inhumain, au-dessus de nous. Un ange, peut-�tre. Je ne croyais
pas si bien penser� Tu mangeais sans faim, apparemment, parfois tu portais �
tes l�vres rouges, le verre d�eau, que tu buvais � petites gorg�es.
� -Tu es l� depuis combien de temps ? m�as-tu demand�.
-Depuis deux ans. J�ai commenc� ici.
-Tu vis � Paris ?
-Oui� Mes parents vivent en banlieue, j�ai pr�f�r�
m�installer plus pr�s.
-Je comprends. Moi, j�ai un logement dans un petit
quartier pas trop cher. Ce n�est pas le paradis, mais je suis content.
-C�est bien. Tu parais jeune, t�ai-je dit, l�air
d�tach�. Tu as quel �ge, en fait ?
-J�ai vingt-et-un an, m�as-tu r�pondu, en
souriant. �
Je fus surpris, ton visage n�avait rien d�un adulte,
tu �tais juste un enfant, tu en donnais l�impression. Tu me plaisais, je crois.
Je n�avais pas honte, dans ce seul domaine, de me
dire, que j��tais homosexuel, d�autant plus maintenant, alors que Silvyan �tait
en face de moi. Je reconnaissais pourtant que je n�avais jamais eu beaucoup de
relations, peu stables, en tout cas. Je n�ai jamais compt� les histoires sans
lendemain, les fantaisies d�une nuit. Si je ne me plaisais pas, pour les
autres, il semblait que je n��tais pas ce monstre. Etrange paradoxe, j�avais
arr�t� de me poser des questions, je prenais mon pied, �a me suffisait
amplement. Je n��tais pas tr�s regardant pour mon partenaire, je ne leur
demandais parfois m�me pas leurs noms, je les rencontrais au hasard d�une
soir�e, d�une sortie, rares, au demeurant. Les aimer �tait trop dur pour moi,
je me contentais juste d�appr�cier leurs corps, ce qu�ils m�offraient. Je
n��tais pas d�un caract�re soumis, je refusais la position du domin�, ce
n��tait vraiment pas pour moi.
Toi, je ne savais pas. Je voulais croire que tu �tais
comme moi, c��tait tellement attractif, de penser que tu serais � moi, je
venais de me trouver un nouveau but, mais pas un nouveau jeu. Soudain, je ne
voulais plus jouer. Il a fallu revenir en cours, je t�ai propos� de venir avec
moi. Tu l�as fait, tu m�as suivi, tu t�es assis � c�t� de moi. Supplice et
b�atitude, tu �tais les deux choses en m�me temps. Torture de te sentir pr�s de
moi, exaltation de te savoir juste l�, je n�avais qu�� lever la main, pour te
toucher.
Thomas vint nous rejoindre, je te pr�sentai. Il t�a
tout de suite appr�ci�, qui ne l�aurait pas fait. Tu jetais parfois quelques
regards � mes notes, tu �tais un peu en retard, tu n��tais pas vraiment
concentr�. J�avais l�espoir que je te troublais, �a me faisait plaisir de
songer � �a, je m�imaginais d�j�, que j��tais important pour toi, en l�espace
de quelques moments, dilapid�s, au bon gr� d�un jour banal.
Ma rencontre avec Silvyan ne pouvait pas �tre anodine,
le hasard et la fortune n�existaient pas dans de telles circonstances,
peut-�tre que si pouvoir m��tait donn� de le refaire, je passerai certainement
mon chemin, je l�ignorerai, pour fermer les yeux, et m��loigner de lui. Les
heures ont coul� lentement dans le sablier de mon cerveau, ma volont� n�avait
aucun droit sur les aiguilles noires de ma montre, je n��tais rien, finalement,
face � ce temps tra�tre. Oui, je n��tais rien, je l�ai su � mes d�pends, lui,
il avait d�j� compris, mais il ne prit jamais la peine de me l�expliquer.
Silvyan poussa soudain ma main, qui �tait rest�e
quelques instants, inerte, sur la feuille, sans que je ne m�en aper�oive. Je
m��tais �gar� moi-m�me, j�avais zigzagu� dans le vague opaque de mes
phantasmes, o� je distinguais confus�ment les contours f�briles de sa
silhouette.
Je sursautais � peine, je ne te regardai qu�une
seconde, et dans un murmure, je demandais ce que tu voulais.
� -Tu as pris en note ce qu�il vient de
dire ? �
Je secouais la t�te, d�sol�, et je te conseillais de
prendre la feuille de Thomas. Quand tu t�es tourn� vers lui, j��tais loin
d��tre r�joui, j�aurais aim� pouvoir t�aider. Echec insignifiant, premier
�chec, pas le dernier.
J�ai recopi� � mon tour sur Silvyan, j�aimais son
�criture ronde, fine et r�guli�re, qui se lisait sans effort. J�en ai presque
oubli� le pourquoi du comment, et ce fut ta voix qui m�obligea � continuer, un
peu tremblant. Je n��tais m�me pas certain de pouvoir me relire. Quand la fin
des cours a retenti, tu as ferm� ta pochette, y rangeant tes pages pleines de
mots, avec soin, glissant son crayon, entre l��lastique gris la poche en
carton. Quelques dessins le maculaient, j�ai trouv� �a mignon, parmi ses anges,
et ses d�mons, que tu semblais appr�cier, et que tu jetais sous ton trait
habile.
� -Je te remercie d��tre venu me parler, me
dis-tu, d�un coup. Je me sentais largu�, en arrivant, j��tais terroris�.
-J�avais cru le comprendre, r�torquai-je, en
souriant. �
Thomas avait disparu de mon champ de vision, je
n�avais pas cherch� � attendre mes amis, Silvyan venait de tout me prendre,
sans que je ne m�en aper�oive, sans que somme toute, je ne m�y oppose. Sa
d�marche chaloup�e m�attirait � elle, ses bras se balan�aient sans exc�s, ses
mains se repliaient de temps � autre sur elles-m�mes. Il n��tait pas bien gros.
Plut�t mince, si ce n�est maigre, mais �a lui allait bien, s�il avait �t�
diff�rent, il m�aurait paru invisible et transparent. Le temps s��tait couvert,
il faisait froid, et Silvyan a remont� la fermeture de sa veste, qui lui allait
� ravir. Il s�habillait simplement mais tout sur lui se transformait en un luxe
divin, � mes yeux. Il a crois� ses bras sur sa poitrine, et il a frissonn�,
maugr�ant qu�il ne pouvait d�finitivement pas s�adapter au climat parisien. Je
ne lui ai pas demand� d�o� il venait, pas encore, du moins. Je voulais
attendre, un peu, pour avoir la joie de le d�couvrir, petit � petit.
Dans un �lan soudain, je lui ai propos� de faire un
bout de chemin avec lui, je ne savais m�me pas o� il habitait, et partir �
l�autre bout de Paris ne paraissait en rien impossible. Mais il a secou� la
t�te, il m�a dit que ce n��tait pas n�cessaire, et que le voyage en m�tro que
nous aurions � partager, serait un palliatif correct. Nous avons attendu, dans
ce sous-sol naus�abond, que les wagons d�fonc�s s�arr�tent devant nous. Ils
�taient bond�s, et il a fallu nous serrer pour pouvoir entrer. Le sac d�une
vieille femme s�enfon�ait dans ma cuisse, mais je ne pouvais pas bouger, et je
dus faire le voyage avec cette douleur d�sagr�able. Silvyan �tait si fr�le que
j�ai cru un moment qu�il allait finir sa vie �craser sous ces montagnes de
chair et de tissu, odorants de cigarettes, ou de transpiration. Je d�testais
ces voyages, mais aujourd�hui, parmi cet amas d�hommes d�affaire, de
secr�taires, d��tudiants, il y avait quelqu�un qui me permettait de compenser
cette r�pugnance. A chaque arr�t, certains sortaient, d�autres rentraient,
encore plus nombreux, tant et si bien que de peur que je perde Silvyan pour de
bon, j�ai r�ussi � l�attraper par le bras pour le ramener vers moi. Il a
soupir�, et s�est accroch� � mon pull, avant de me murmurer :
� -Merci. Ce gars l�-bas commen�ait � me para�tre
suspect� �
J�ai relev� les yeux, et j�ai fusill� du regard
l�homme rondouillet accroch� � la barre en m�tal. S�il avait ne fut-ce que
touch� d�un doigt Silvyan, j�aurais certainement entach� mon casier judiciaire,
d�un homicide volontaire, avec torture. Un quart d�heure plus tard, Silvyan m�a
dit qu�il allait descendre, et je l�ai suivi sur le quai, il n��tait m�me pas
question de se dire au revoir, dans ce m�tro pourri de toutes parts. Tu m�as
encore remerci�, tu m�as fait remarqu� qu�il n��tait pas n�cessaire que je
t�accompagne jusqu�en haut, et que de toute fa�on, tu allais me retarder. Je
n�ai pas insist�, je ne voulais pas te faire peur, et je suis remont�, en te
regardant partir.
Quand je suis arriv� chez moi, j�ai jet� mes affaires
sur le parquet, et je suis rentr� en trombe dans la cuisine, j�ai renvers� la
moiti� du th� et j�ai manqu� de me br�ler avec l�eau que j�avais mise �
bouillir. Je ne savais rien de Silvyan, et pour la premi�re fois, je voulais
retourner � la fac, aussi vite que je l�avais quitt�e. La soir�e s�annon�ait
longue.
Je regardais la t�l�vision, �tal� comme une masse sur
le canap�, quand mon t�l�phone a sonn�. J�ai fait un effort surhumain pour
attraper le mobile pos� sur la table, et j�ai pliss� les yeux pour lire le nom
qui �tait affich� sur le cadran digital.
� -Salut, Thomas�
-Tu ne devais pas m�attendre, cet apr�s-midi ?
Hmm, je sais, mais�
-T�inqui�te, ce n�est pas grave. Tu es rentr� avec
Silvyan, non ?
-Oui, comment tu le sais ?
-Je m�en suis dout�. �
Je l�ai senti sourire, � l�autre bout du fil, puis il
a reprit :
� -Entre nous, St�phane, tu n�es pas int�ress�
par lui ?
-Tu crois ?
-Oui, j�en suis s�r m�me. Mais ce n�est pas comme
d�habitude. �
Thomas �tait la seule personne au monde, en plus de
mes conqu�tes, � conna�tre la v�rit� sur ma sexualit�. J�aurais eu du mal � lui
cacher, il ne me connaissait que trop bien, et je le lui avais avou� un jour,
je ne pouvais pas non plus passer ma vie � mentir. A Thomas, en tout cas. Mes
parents ignoraient avec extase que je pr�f�rais les hommes, et ma m�re
attendait de pied ferme ses hypoth�tiques petits-enfants. Tu pouvais toujours
patienter, maman.
� -Tu ne le connais pas encore, m�a fait
remarquer Thomas, apr�s un petit silence. Et tu t�enflammes d�j�. Ce n�est pas
dans tes habitudes, St�phane.
-Bah� Ouais, tu as peut-�tre raison� Mais� je viens �
peine de le rencontrer, alors, au-del� du physique, je suis incapable de te
dire ce qui me pla�t chez lui.
-Peut-�tre juste que tu ne sais
pas exactement ce qui t�attire. Ca me rappelle quelque chose�
-Arr�te. Tu sais bien que c�est impossible.
-Ouais, si tu le dis. Je vais te laisser, je suis
mort, et il faut que je bosse.
-A demain. �
J�ai raccroch� et j�ai �teint le poste par la m�me
occasion. Je n�avais aucune envie de dormir, et je me voyais tout d�un coup
prisonnier de quatre murs. Je ne voulais pas penser � Silvyan, et j�ai d�cid�
moi aussi d�ouvrir mes cours. Ceux d�aujourd�hui �taient juste un tas immonde
de mots incompr�hensibles, dont il manquait une ou deux lettres � chaque fois,
mais ils avaient l��trange avantage de te rappeler � moi, tout le temps.
J��tais stupide.
Je suis all� me coucher � une heure du matin, je me
suis d�shabill�, mon cerveau venait de passer en mode pilote automatique. Mon
lit me paraissait froid, et vide, je m��tais tourn� vers la fen�tre. Je ne
voulais pas voir cette place vierge pr�s de moi, qui �tait comme un pi�ge. Un
pi�ge que j�aurais d� �viter, mais dans lequel je me suis pr�cipit� sottement.
Je n�avais pas ferm� le volet, je n�en avais pas eu la force, � vrai dire, et
je restais l�, dans la p�nombre trouble de ma chambre, � songer encore � toi.
Tout me ramenait � ton souvenir ; la p�leur de la lune, la placidit� de la
nuit, la fragilit� du vent faible qui soufflait. Peu importait l�endroit que je
choisissais pour absorber ta pens�e, tu y �tais tout de m�me. J�ai ferm� les
yeux, et j�ai refus� de les rouvrir, j�ai attendu le sommeil, comme on
attendrait la mort, et je dois avouer que ce n�en �tait pas si loin.
Je me suis lev� le lendemain, aussi �puis� que la
veille, mais l�espoir au c�ur. Je me suis lav� avec rapidit�, et je suis parti
vers la cuisine, avec le s�choir dans la main. J�avais la f�cheuse tendance �
faire plusieurs choses en m�me temps, mais j�abandonnais vite l�id�e de faire
du caf� en me s�chant les cheveux. Trop p�rilleux. J�ai pos� la tasse fumante sur le bord de la
table, et je suis reparti dans la salle de bain, d�o� je suis revenu quelques
instants apr�s, enfin pr�sentable. J��tais en avance pour une fois, et j�eus
tout le temps n�cessaire pour fouiller dans mon armoire. Je n�aimais pas
m�attarder sur une futilit� pareille, et j��tais � pr�sent comme une
coll�gienne, � farfouiller dans les �tag�res, � m�interroger sur le probl�me
corn�lien de l�assortiment des couleurs. Je me suis observ� dans la psych�
pos�e dans un coin, et le r�sultat �tait convenable, pour une fois, j��tais
heureux de mon apparence. On m�avait toujours dit autour de moi, que j��tais
mignon � ce qui me vexait un peu, je jugeais ce terme p�joratif � avec un
charme certain. Sans �tre un g�ant, je n��tais pas non plus un nain, je vivais
dans la normalit� physique, oui, on peut le dire comme �a. Je n��tais pas bien
�pais non plus, �a me suffisait amplement. Les traits de mon visage n��taient
pas parfaitement r�guliers, et j�avais cru apercevoir que ma bouche �tait
l�g�rement asym�trique. Ce n��tait pas flagrant, mais je l�avais remarqu�,
c��tait d�j� bien assez pour m��nerver. Je n��tais pas aussi beau que Silvyan,
mais je ne pouvais pas y faire grand-chose, juste esp�rer qu�il ne le remarque
pas lui-m�me.
Je suis parti � sept heures et demie, j�avais presque
une demie heure d�avance sur mes horaires habituels, et j�ai jou� des coudes
pour me frayer un passage dans le m�tro. J�ai esp�r� le croiser devant le
portail de l�universit�, mais mes espoirs furent bien vite r�duits � n�ant.
Personne, o� du moins, pas celle qu�il m�int�ressait de voir. Enerv�, j�ai
gagn� l�amphith��tre, o� j�ai retrouv� Thomas, en charmante compagnie. Silvyan
�tait assis � ses c�t�s et a souri gentiment, d�s qu�il m�eut aper�u. J�ai jet�
un regard de chien enrag� � mon tra�tre de meilleur ami, qui me tira un petit
bout de langue discret et je me suis install� aussi.
� -J�ai rencontr� Silvyan en arrivant.
-Oh�
-Oui� On a un peu parl�, en attendant que tu arrives.
Tu es sacr�ment en avance, pour une fois, St�phane. �
J�ai maronn�, pour le plaisir, mais, trop heureux de
l�avoir retrouv�, j�ai balanc� mes feuilles de cours en tas, sous le regard
moqueur de Thomas. J�ai cru m�endormir � nouveau face � l'accablant discours du
tout aussi inint�ressant professeur juste en bas, mais j�avais d�cid� de rester
�veill� pour profiter de la pr�sence de Silvyan, � ma droite.
Je suivais du coin de l��il tes mouvements, ta main
qui parcourait, silencieuse et parfaite, la copie. Sans m�en rendre compte, je
me penchais par-dessus ton �paule, pour traquer des phrases, que je ne
connaissais pas, que je n�avais pas �cout�es. Je faisais semblant de chercher
un paragraphe, pour profiter de ton odeur l�g�re et sucr�e, j�aimais ton
parfum, ent�tante volupt� dont je me souviens encore, maintenant. Tu t�es
doucement tourn� vers moi � ton tour, et tu m�as dit :
� -Dis, St�phane ?
-Oui�
-Tu pourrais me passer tes cours ? J�ai demand� �
Thomas, mais il m�a dit que les tiens �taient beaucoup plus organis�s�
-Ce n�est pas trop dur non plus� Mais je te les
donnerai, si tu as besoin d�explication, je suis l� aussi. �
Tu as souris, tu m�as remerci� et tu as continu�, moi,
je n�avais plus la t�te � �a, une parole, un mot, et je me pr�cipitais dans
l�inconscience de la passion.
~*~
Un premier mois �tait pass�, avec ses lenteurs
p�nibles, ses vitesses ex�crables, et Silvyan, toujours � mes c�t�s. Avec
Thomas, nous avions form� un �trange trio, entre jalousie et besoin commun de
l�autre. Envie de s�accaparer un des mon�mes de l��quation, d�sir sans cesse
renouveler de se retrouver, et de partager. Je voulais Silvyan, Thomas
jalousait cette n�cessit�, comme je convoitais la complicit� qui le nouait �
lui. Et Silvyan au milieu de tout �a, qui ne comprenait pas ou faisait comme si
tout ceci n��tait pas vraiment r�el. Novembre �tait venu, et avec lui, la
froideur des pr�mices de l�hiver, la brume au petit matin, et le verglas sur
les trottoirs.
J��tais rest� � me pr�lasser dans mon lit, je me
tournais parfois dans les draps trop l�gers, pour une saison pareille. Mais je
n�avais pas froid, j��tais bien, j��tais repos� ; et heureux, aussi. Pour
la premi�re fois, Silvyan venait me rendre visite, j�avais tellement insist�,
qu�il m�avait c�d�, et je craignis un moment qu�il
fisse tomber mon masque. J��tais effray� de sa r�action, s�il pouvait soudain
s�imaginer que mes attentions pour lui n��taient pas vaines, que ferai_je ? Le voir s��loigner de moi et de mon
app�tence coupable que j�avais pour sa chair, m�aurait tu�, sans aucun doute.
L�instinct primaire de la nourriture m�a pouss� hors
de la prison dor�e de mes couvertures, et je suis sorti, d�braill�, de ma
chambre, marchant � t�tons dans l�obscurit� de l�appartement. Pourtant, je le
connaissais par c�ur, mais j�avais toujours l�appr�hension de me cogner, et de
me faire mal. En arrivant dans la cuisine, j�ai lev� le store, un soleil aussi
matinal que fade m�effleura � peine de ses rayons timides, et troubla en
demi-mesure, mes yeux sensibles. J�ai tent� une perc�e dans le frigidaire, et
le vide interstellaire auquel je me suis heurt�, m�a fait prendre conscience
qu�il fallait que j�aille faire des courses. Le ventre creux, et de mauvaise humeur,
je suis all� prendre ma douche, l�eau �tait � peine chauff�e, et
d�finitivement, cette journ�e commen�ait mal.
J�ai fait un peu de m�nage, ensuite, il n�y avait pas
grand-chose, � part quelques poussi�res de-ci, de-l�, vite aspir�es par la
bouche vorace de mon aspirateur. Les voisins du dessous devaient encore dormir,
mais tant pis, si j�avais envie de nettoyer � huit heures du matin, cela me
regardait, et puis, ce n��taient pas eux qui recevaient Silvyan, c��tait moi,
et tout devait �tre parfait. J�aurais d� savoir que la perfection n�existait
pas.
Je remis m�me de l�ordre dans ma chambre, pourtant
d�clar�e bastion incurable. L�heure �parpill�e � reclasser mes livres, plier
mes v�tements, et chasser une ou deux araign�es � tout en gardant celle que j�avais
au plafond � ne fut pas un regret pour moi, et je suis parti vers dix heures,
dans la grande mission de r�approvisionnement. Mon budget �tait stable, et je
ne faisais jamais de folies, je n�avais aucune inqui�tude, je n�allais pas
finir le mois, � manger des p�tes et du riz, avec un bout de pain noir.
Je suis descendu � l��picerie au coin de la rue,
j�avais sympathis� � un grand mot � avec le patron, et le tout �tait aimable,
il n�y avait pas lieu ici de s��nerver face � une petite grand-m�re aga�ante,
ou � un moutard hurleur. J�aimais le calme chronique de ce magasin, la
fra�cheur agr�able de ses all�es, et son odeur grasse, de fruit, de l�gumes, de
choses simples. Pas besoin d�aller jusqu�au super march� pour trouver ce qui me
faisait envie.
J�ai �chang� quelques commodit�s avec le vendeur, on a
un peu parl� du temps, de Paris, de nos vie, puis je suis rentr�. Les doigts
serr�s autour des poign�es des sacs, qui me lac�raient la peau, affaiblie par
le froid, j�ai repris le chemin du retour, tranquillement. J�avais oubli� mon
�charpe, et je grelottais l�g�rement, je n��tais pas m�content de retrouver la
chaleur du foyer, et de remplir le frigo, surtout.
L�heure tournait lentement, tellement lentement que
l�id�e de jeter la pendule par la fen�tre me prit � de nombreuses reprises,
mais un tel geste aurait d�rang� la propret� de la pi�ce, alors je m�en suis
abstenu. Je suis all� faire un tour sur mon ordinateur, consulter mes mails,
parler un peu avec quelques personnes et �couter de la musique. J�ai pens� �
regarder un film, mais finalement cette perspective ne me disait rien, alors
j�ai pr�f�r� prendre racine dans mon salon, et suivre d�un �il les programmes
matinaux. Heureusement pour moi, nous n��tions pas dimanche, et je n��tais pas
condamn� � regarder la messe, ou une de ces �missions sportives. Vivre avec les
cinq cha�nes nationales �tait un pari difficilement relevable pour moi,
pourtant, je devais m�y habituer, tandis que chez mes parents, il y avait le
c�ble, et tous ces avantages.
J�ai fini par tout �teindre, �a devenait vraiment
insupportable. Je suis all� un peu r�vis�, et puis enfin, le bruit de la
sonnette a retenti, j�ai l�ch� la m�decine, puis je suis all� courir ouvrir la
porte. Silvyan �tait derri�re, il serrait son sac contre lui, et il m�a souri,
dieu, que j�aimais le voir sourire.
� -Bonjour, Steph.
-Salut, Silvyan. Rentre, ne reste pas l�.
-Merci. J�ai eu du mal � trouver, je ne connais pas
bien Paris.
-L�essentiel, c�est que tu sois arriv�.
-Thomas ne vient pas ?
-Non� Il est all� voir ses parents, � Ormesson, pour
le week-end. C�est grave ?
-Non� Bien s�r que non, c��tait juste une
question. �
Je l�ai laiss� entrer, il �tait timide, et j�ai
attrap� sa veste, que j�ai accroch�e au portemanteau, puis je l�ai conduit
jusque dans le salon.
� -J�aime bien ton appartement, il est agr�able.
-Et pas trop cher� Ce qui est plut�t bienvenu, pour
moi. Euh� Tu peux t�asseoir.
-Merci. �
Silvyan se laissa tomber sur le divan, et croisa ses
jambes qui me paraissaient soudain interminables, il �tai plus grand que moi,
finalement. Je n�y avais m�me pas fait attention.
� -Ne bouge pas, je vais chercher deux verres.
Et� Il faut que je fasse la bouffe, aussi. Quelle organisation ! terminais-je avec ironie.
-Je vais t�aider.
-Non, non, pas la peine�
-Mais, si� Allez, on y va. �
Silvyan m�a suivi, il est pass� devant moi, et s�est
retourn�, s�appuyant contre le bord de la table, les bras crois�s. Il �tait
bien habill�, serr� dans son petit jeans, et son pull fin � col roul� noir. Il
a attrap� les assiettes que je lui ai tendues, avant de les poser avec soin,
l�une en face de l�autre. Moi, je me chargeais de mettre de l�eau � bouillir,
le d�jeuner ne s�annon�ait pas tr�s gourmet, mais je n��tais pas cordon bleu et
il n�y avait rien d�autre � attendre de ma part. J�ai montr� du doigt un
placard, sous l��vier, � Silvyan, qui m�avait demand� o� je rangeais les
boissons, et j�ai manqu� de me br�ler en me retournant trop brutalement.
� -Ca va ?
-Oui, pas de probl�me. Plus de peur du de mal.
-D�accord. Bon, je crois que la table est mise.
-Je vois �a� Faut attendre encore un peu� Je suis
d�sol�, je suis franchement nul.
-Mais non� Enfin, je te dirais �a, tout �
l�heure. �
Il a accompagn� sa phrase d�un autre joli sourire, et
il s�est assis sur une des chaises, avant de s�exclamer :
� -Ca fait d�j� un mois qu�on se conna�t. J�ai
l�impression que c��tait hier.
-C�est vrai.
-Merci encore d�avoir �t� l�. Sans toi�
-Bah� Il y en aurait eu d�autres pour
t�aider ! �
Ma r�ponse s�inscrivait clairement dans le ton de la
plaisanterie, mais l��vidence �tait limpide dans mon esprit. Silvyan n�aurait
pas trop eu � s�en fait, si ce n�avait pas �t� moi, un autre s�en serait
charg�, avec autant de plaisir.
� -Ca se passe bien dans la cit� u ?
-Pas trop mal. J�ai un voisin chiant, mais sinon,
c�est bon.
-Chiant ?
-Oui� Enfin, disons qu�il me drague gentiment, mais �a
devient p�nible.
-Je vois� Ca ne te d�range pas, qu�il te drague ?
-Ca m�arrive souvent, tu sais. Que ce soit des hommes
ou des femmes� Ca m�amuse plus qu�autre chose.
-Mais les hommes� C�est bizarre quand m�me,
non ? �
J��tais vraiment un hypocrite, mais je ne pouvais pas
consciemment lui demander s�il �tait gay. Il a appuy� son coude contre la
table, et a d�pos� son menton contre sa paume, puis il a r�pondu :
� -Je ne trouve pas �a �trange. Ca ne me g�ne
pas, au contraire. Plaire � quelqu�un est toujours agr�able. Non ?
-Si, si� Mais �a en reste � ce stade l�� ou� �a peut
aller plus loin ?
-Quoi ? Avec un homme� ?
-Oui� ai-je affirm�, innocemment.
-S�il me pla�t, pourquoi pas. Mais j�avoue que j�ai
rarement envie d�aller plus loin� �
J�ai eu une exclamation blas�e, mais �a ne me
surprenait pas, Silvyan �tait sublime, comment pouvait-il alors se contenter de
la normalit� path�tique de la masse m�diocre. Dont je faisais parti, malgr�
moi.
� -Ca passe par-dessus !
-Et merde ! �
Je me suis lev� avec brusquerie, j�ai soulev� la
casserole de la plaque �lectrique br�lante, et je l�ai pos�e un peu plus loin,
avant d�aller chercher la passoire.
� -C�est bon ?
-Ouais� J�aurais juste � nettoyer tout � l�heure.
Attention, c�est chaud. �
Silvyan a rapproch� son assiette, et les pattes y ont
coul� dans un nuage de vapeur, d�posant une fine bu�e sur les verres. Le bruit
de la fourchette heurtait parfois les dents blanches de Silvyan, et je
m�amusais � y trouver une m�lodie, un petit air calme. Je mangeais
distraitement, tentant d�obtenir un semblant de conversation cherchant � en
savoir plus et plus encore. Je n�ai pas vraiment fait attention � ce qu�il me disait, chacune de ses paroles �tait comme pour moi un
cadeau, et je buvais ses mots, peu importait le fond.
� -Tu n�es pas une catastrophe culinaire,
finalement.
-Tu es encore en vie, c�est bon signe. �
Silvyan a souri encore, et il a port� le verre rempli
de soda � ses l�vres pleines. Il a stopp� d�un doigt offens� la goutte sucr�e
qui s��tait �gar�e sur sa peau.
� On bosse ?
-Comme tu veux. Je mets un peu d�ordre, d�abord.
-Pas de probl�me. �
Il s�est lev�, il a attrap� les couverts, et il m�a
demand� o� �tait le lave-vaisselle, apr�s un petit tour sur lui-m�me.
� Il n�y en a pas, il faut se d�brouiller tout
seul, avec tout �a.
-Je peux m�en charger !
-Ne te fais pas de souci avec �a, tu n�es pas l� pour
faire le m�nage. Viens plut�t dans le salon. �
Silvyan a pos� son fardeau dans l��vier et m�a suivi
dans la pi�ce principale, en sautillant d�un pied sur l�autre. J�ai pouss� la
table basse, et j�ai jet� les livres sur l��pais et doux tapis de laine. Il
s�est assis � c�t� de moi, en tailleur, et il s�est soudain �cri� :
� Tu ne veux pas mettre un peu de musique.
J�adore �a, je travaille tout le temps avec, chez moi.
-Pas de probl�me. Ne bouge pas, je vais te chercher ma
collection de cd. �
J�ai fonc� dans ma chambre, j�ai ouvert tous les
tiroirs, � la recherche da la pochette qui contenait tous mes disques. Je l�ai
finalement trouv�e sous le lit, parmi un t-shirt sale, et la batterie de mon
t�l�phone portable, puis je suis revenu. Silvyan feuilletait, avec int�r�t un
livre, certainement un de ces bouquins que j�avais commenc�s, mais que je ne
finirais jamais.
� Je te le donne, si tu veux.
-Non. Ca me g�nerait.
-Je n�aurais jamais le courage d�aller jusqu�au bout,
alors tu peux le prendre.
-Merci ! Ca me fait plaisir ! Tu me montres
tes cd ?
Je lui ai tendu ce qu�il m�avait demand�, et il a
cherch�, lentement, avant de s�arr�ter, en en tapant un du doigt.
� Je connais ce groupe, c�est tr�s sympa. C�est
calme, et �a ne g�ne pas la concentration. �
Adjug�. Je me suis lev� une nouvelle fois, j�ai
install� la cha�ne hi-fi, et la musique donnait une autre ambiance, qui allait
si bien � Silvyan. Il commen�ait � se sentir comme chez lui, fouinant dans mes
cours, en fredonnant au gr� des notes.
� Il faudrait que tu m�aides � rattraper encore
un peu le premier mois.
-Sans souci� On va reprendre �a. �
Si tu avais su, Silvyan, � quel point je me
contrefichais de cette m�decine, insipide, �nervante et tellement moins
s�duisante que toi. Toi� Tu �tais l�aimant de mon attention, je ne voyais que
toi, et tu m�avais pr�cipit� dans un puit, duquel ne je sortirais plus,
maintenant. Tu me posais des questions, je te r�pondais, mais je ne pensais
m�me pas � ce que je disais, c��tait m�canique, et sans �me. Mais j�en
profitais pour contempler tes yeux bleus. Tu d�gageais un l�ger ar�me de
vanille, grisant, qui br�lait ma raison. Ces exhalaisons sucr�es soustrayaient
mon esprit � la concentration dont j�avais besoin, mais c��tait tellement
agr�able, je n�en avais cure.
Trois heures plus tard, la voix de Silvyan sonnait
enfin le glas de mon supplice, et il s�est �tir�, comme un f�lin, dont il avait
la gr�ce. J�ai ramass� mes affaires, d�un geste rapide, rangeant les feuilles
dans un classeur, que je jetais un peu plus loin, le faisant glisser sur le
parquet.
� -J�avoue que j�en ai marre�
-Moi aussi� Ca te dit qu�on aille faire un tour ?
Je te montrerai un peu Paris !
-Pourquoi pas ? �
Il s�est redress�, son dos a craqu�, et j�ai fait
pareil, il me d�passait de quelques centim�tres, �a m��nervait un peu. Je suis
parti lui chercher sa veste, qu�il a boutonn� avec calme, et je l�ai laiss�
sortir le premier, fermant d�un tour de cl� rapide la porte de mon appartement.
Nous sommes descendus, en discutant avec plaisir, d�un
sujet tellement banal, qu��tait la fac. J�h�sitais � lui poser des questions
sur sa famille, son pass�, mais je m�en suis abstenu, peut-�tre � cause d�un
pressentiment, qui me taraudait.
Il n��tait que cinq heures, mais l�atmosph�re
s�assombrissait, il a m�me commenc� � neiger, doucement, Silvyan a lev� la t�te
et a ouvert les mains. Les flocons ont �chou� sur sa peau, et ils ont fondu,
lentement, mordant sa chair p�le.
� -St�phane, tu ne veux pas qu�on aille prendre
un petit truc ? Je commence � avoir froid�
-Bien s�r. Je t�emm�ne dans un caf� sympa, mais il
faut prendre le m�tro� Tu es peut-�tre fatigu�
-Non... Au contraire ! �
Vint minutes
plus tard, je poussais la porte d�un caf�, en plein c�ur du Marais � choix
hasardeux ou d�lib�r� pour lui faire comprendre ? � mais il n�avait pas
l�air de saisir, ou alors, jouait-il � merveille la com�die ? Nous nous sommes install�s sur une des banquettes, au fond du
bar, o� le contraste avec l�ext�rieur �tait frappant. Ici, il faisait chaud, il
faisait bon, et Silvyan a lentement retir� sa veste, la laissant tomber
jusqu�en bas de son dos. Soudain, je commen�ais � regretter de l�avoir emmen�
ici, mais le regard qu�il m�a lanc� m�a vite fait oublier
cela. Je remarquais soudain le l�ger trait noir qui soulignait ces yeux, c��tait
�tonnant, mais attirant. Trop attirant. Il a command� un cocktail, j�ai fait
pareil, et tandis qu�il sirotait sa boisson d�un air distrait, il s�est soudain
�cri� :
� -J�aime bien cet endroit.
-Pourquoi ?
-Je ne sais pas, �a d�gage quelque chose de� calme, de
reposant� Avec les cours, j�en avais besoin. Tu r�viseras tes partiels avec
moi ?
-M�me pas la peine de demander, tu sais, lui ai-je
r�pondu en souriant. �
Il tournait le petit parasol bleu dans l�alcool, avant
de la porter � sa bouche, l�chant le bois qui retenait l�ombrelle de papier. Il
l�a pos� pr�s de son verre, puis s�est amus� � l�effiler, et il m�a fait
remarqu�, enfin :
� -C�est un bar gay, pas vrai ?
-Euh� je� En fait� oui� C�est� le quartier gay de
Paris, en fait�
-Pourquoi tu m�as emmen� ici ?
-Parce que j�aime bien� �
J��tais persuad� qu�il faisait juste semblant de ne
pas comprendre, et qu�il prenait m�me un malin plaisir � me faire languir, par
ses gestes, ses mots et ses regards. Tu le savais, Silvyan, et je m�en suis
aper�u, bien plus tard. Trop tard. Il a bu quelques gorg�es de bi�re, il a
repos� le verre, et il a pass� un coup de langue rapide sur ses l�vres humides,
puis il a reprit :
� -Tu es homo, St�phane ?
-Enfin� Non� Je� �
Pieux mensonge, en v�rit�. J�aurais voulu dispara�tre
sous terre, m�enfoncer dans le sol, et ne plus revenir, m�endormir dans les
flammes de Satan, et y rester. Silvyan m�a de nouveau appel�, et il m�a
rassur�, attrapant ma main, inerte, qui reposait sur la table. Il a jou� avec
l�une des bagues en argent qui encerclaient trois de mes doigts, s�amusant � la
tirer vers lui, sans y parvenir. Je n�aimais pas ce nouveau jeu, je sentais que
je n�en serais pas le vainqueur.
� -Ce n�est pas grave, tu sais.
-Ce n�est pas �a� Arr�te de me toucher, comme
�a. �
J�ai retir� brusquement ma main, et je l�ai ramen�
vers moi, comme s�il ne s�en �tait fallu de peu pour qu�il me l�arrache.
Silvyan paraissait bless� de mon attitude, il s�est redress�, a relev� le
menton et a l�ch� :
� -Quoi ? Le fait que je te touche te d�pla�t ?
Je te d�go�te ?
-Non� Jamais de la vie, au contraire ! �
J�avais presque hurl�, pour couvrir le bruit de la
musique, assourdissante.
� -Je n�aurais pas d� t�emmener ici.
-Pourquoi ? Parce que tu te rends compte que je
suis vraiment p�d�
-Non� Silvyan� Ce n�est pas l�endroit pour parler de
�a.
-Au contraire ! Regarde-moi, quand je te parle.
Qu�est-ce que tu vois, l�, devant toi ? Merde, je croyais qu�en venant �
Paris, on n�arr�terait de me juger. Et je d�couvre que c�est la personne qui
m�est la plus ch�re ici, qui me poignarde dans le dos.
-Tu as raison !
-Quoi ?
-Tu as raison� Je suis homosexuel. �
Silvyan allait r�pondre, mais quand il comprit enfin
le sens de ces trois mots, il referma la bouche et s�appuya sur le dossier de
la banquette. Aucun son, aucune parole ne s��leva entre nous, nous �tions
devenus muets, par la force des choses. Je n�osais plus le regarder, et lui non
plus, nous �tions deux idiots, qui fuyions le regard de l�autre. Je ne savais
pas trop � quoi �tait d� cette g�ne soudaine, peut-�tre � nos deux aveux, �
quelques secondes d�intervalles.
� -Tu as� honte ? �
Il avait enfin choisi de ne plus se taire, mais quand
j�ai entendu sa question, j�aurais pr�f�r� qu�il n�ait jamais rien dit. J�ai
soupir�, toussot�, et j�ai secou� la t�te, avant de r�pondre :
� -Non� Mais ce n�est pas quelque chose que je
crie � chaque coin de rue. Je ne le dis qu�une fois que je suis certain que la
personne en face de moi n�en sera pas d�rang�e. Avec toi� Je n�en �tais pas
tr�s s�r, et je ne voulais pas que tu t�imagines des choses, qui n�avaient pas
lieu d��tre. �
Silvyan a pliss� le nez et m�a dit, gentiment :
� -Ca ne me d�range pas� Ce serait le comble
d�ailleurs� �
Ses immenses yeux bleus m�ont parcouru, m�ont
provoqu�, aussi, mais je n�ai pas c�d�, je ne voulais pas que ce soit si facile
pour lui et pour moi. Notre soulagement �tait palpable. O� r�sidait la
difficult�, finalement, de se faire face, de la sorte. Il a command� un autre
verre, et le m�me petit parapluie, certainement destin� juste � me faire
languir, avec son rituel �nervant. Je devais me r�jouir de cette nouvelle, qui
aurait d� annoncer la chute d�un des murs qui nous s�paraient, mais je n�y
parvenais pas, il y avait toujours un non-dit, qui m�emp�chait fermement de le
faire.
Nous sommes sortis du bar vers sept heures, il faisait
nuit, et la neige n�avait eu cesse de tomber, mais elle ne s��pousait pas le
macadam surchauff� de Paris, et s��tait transform� en un liquide havane, qui
s�accrochait aux chaussures des passants. La fum�e blanch�tre qui sortait de la
bouche de Silvyan avait un je-ne-sais-quoi fantomatique, et j�ai pr�f�r�
d�tourner les yeux, j�ai cherch� dans ma poche les gants que j�avais emport�s.
Je n��tais pas m�content de sentir ce tissu chaud d��tre rester contre moi, enserrer
ma peau gel�e, et je frottais mes mains, satisfait. Silvyan avait juste
enfil� des mitaines, en cuir, mais je n�en �tais pas certain, ce dont j��tais
s�r, c��tait que �a lui allait bien. Nous avons repris le m�tro,
tranquillement, aucun de nous deux n��tait vraiment press�.
Il est repass� pour prendre son sac. J�ai voulu
trouver la force de lui demander de rester pour d�ner, mais j�ai abandonn�, sur
le seuil de ma porte. Il m�a salu�, d�un timide baiser sur la joue, et il m�a
dit � lundi. Sans s�en rendre compte, il venait de me prendre ma fatigue, par
ce simple effleurement, et le sommeil dans lequel je voulais me pr�cipiter,
s��tait d�tourn� de moi, m�prisant.
~~**~~
A suivre�
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