Manège d'une vie cassée | By : Lakesis Category: French > Originals Views: 911 -:- Recommendations : 0 -:- Currently Reading : 0 |
Disclaimer: This is a work of fiction. Any resemblance of characters to actual persons, living or dead, is purely coincidental. The Author holds exclusive rights to this work. Unauthorized duplication is prohibited. |
Titre : Manège d’une vie cassée
Auteur : Lakesis
Genre : POV / Yaoi
~Manège d’une vie cassée~
Comme un vieux carrousel, rouillé, aux chevaux de bois
qui ont perdu leur vernis, j’ai continué à tourner, par fierté, par douleur, et
par peur de m’arrêter. La fantasia devait poursuivre, en tout cas, je m’en
persuadais. Ne pas avoir le droit de cesser de virevolter, jouer la même
musique, et oublier les maux de tête de ces tours sans fin, sans but.
Chaque jour, mon rituel reprenait, dans ma glace, je
me voyais, comme celui que j’étais et que j’abhorrais, j’ai voulu briser ces
miroirs, mais j’y ai renoncé. Peine perdue. Je ne déjeunais pas le matin, le
ventre noué par ma peur quotidienne, par mes souffrances égarées. J’ai rêvé
parfois, du sol, en bas de mon immeuble, au goudron froid, qui m’accueillerait
à bras ouverts, si je décidais de me précipiter vers lui. Le neuvième étage
serait mon dernier tremplin, et finir le crâne brisé m’était plus doux,
peut-être, que de me débattre pour avancer. Mais j’avais toujours renoncé, la
fenêtre finalement ouverte sur le ciel gris de Paris, et je m’éloignais du bord
de ma mort, je retournais m’asseoir sur le divan, reprenant une lecture
évanescente et inutile.
Mon sac sur le dos, je descendais les escaliers, qui
grincèrent sous mes pas, et je sortais dans l’atmosphère froide et hivernale,
d’une ville encore endormie. J’avais à marcher jusqu’à la station de métro
quelques mètres plus loin, et me laisser porter jusqu’à l’université. Faculté
de médecine, choisie par hasard, ou par dépit, je n’aimais pas mes cours, mais
mes parents étaient fiers de moi, pour une fois. Depuis deux ans maintenant, je
continuais, imperturbable, à me rendre dans cet amphithéâtre, à écouter mes
professeurs, à noter, à mourir, à petit feu. Je n’ai jamais eu beaucoup d’amis,
mais peu me suffisait, de toute façon. Il y avait Jérémy et Thomas, Sandra et
Mathilde, et tout allait bien comme ça.
Alors, dis-moi, pourquoi ai-je croisé ton regard ce
jour-là ?
J’arrivais tout le temps quelques minutes seulement
avant le début des cours, je n’aimais pas particulièrement discuter, de toute
façon, c’était pour moi plus une corvée qu’autre chose. Quand la parole était
creuse, la discussion était inutile. Et malheureusement pour moi, jamais mes
mots ne trouvaient un écho intelligible. Je me suis installé près de Thomas,
qui, affalé sur le pupitre, semblait repartir dans le sommeil qu’il venait de
quitter, mais je l’ai tout de même poussé, il s’est redressé, les cheveux en
bataille, et le pli de son pull figé sur sa joue. J’ai souri, gentiment, et il
m’a dit, en baillant :
« -Salut, ça va ?
-Ca va, merci.
-Sandra est malade, la grippe, à ce qu’il paraît.
-Oh…
-On passera la voir après les cours, tu viens avec
nous ? »
J’ai réfléchi l’espace d’une petite seconde et j’ai
refusé, je n’avais pas envie de prolonger de quelques instants de plus mon
séjour dans cet univers extérieur au mien. Thomas a haussé les sourcils, blasé,
il savait pourtant bien que je n’aimais pas ça, j’avais toujours autre chose en
tête, mon propre macrocosme, où tout était beau, archétypal, où je me trouvais
comme l’impeccable reflet de la finition à laquelle j’aspirais. Dans mon monde
à moi, je n’étais pas qu’une ombre, j’étais un être à part entière. Et quand la
réalité revenait comme un boomerang, ça faisait mal.
La réalité, tu y croyais, toi ?
Jérémy est arrivé, avec Mathilde, et ils m’ont salué.
Je les enviais, pour trouver un équilibre dans l’autre, pour avoir deviné
quelque chose qui me demeurait comme un mirage, une illusion étrange, que je ne
comprenais pas, et que je n’ai pas jamais compris.
Même avec toi, encore plus avec toi.
Ils parlaient de mariage, ils n’avaient que vingt ans,
voulaient une famille et oubliaient
tout. Je n’étais pas comme ça, je ne m’embarrassais pas de ces fadaises
stupides, de ce que je ne comprenais pas de toute façon. J’ai sorti mon bloc
note et un stylo, avec lequel je me suis amusé un petit instant, et là, je t’ai
vu. Tu es rentré, un peu apeuré, tu serrais ton sac contre toi, et tu as
parcouru l’amphithéâtre d’un regard mouillé de frayeur. Va savoir pourquoi,
tout de suite, je t’ai aimé. Tu t’es assis au premier rang, la tête dans tes
feuilles, et les paroles de Thomas m’ont arraché à ta vue. Je n’ai pas eu trop
à me forcer, c’était vrai, mais tu m’avais marqué ; rareté, étrangeté. Le
professeur est arrivé, comme d’habitude, il a remonté ses petites lunettes d’un
doigt crispé. Je voulais me concentrer, mais c’était ta silhouette que je
voyais, c’étaient tes cheveux un peu ébouriffés qui me passionnaient, c’était
toi, mon cours, irrémédiablement. Chaque parole me passait au-dessus, mon
crayon était fébrile sur le papier blanc, il ne m’obéissait pas, mais
l’avait-il déjà fait, était-ce vraiment cette science stupide qui
m’intéressait. Qu’est-ce qui m’intéressait d’ailleurs ?
Toi, peut-être, maintenant. Je ne te l’ai jamais dit,
je n’ai pas de regrets, mais j’aurais dû, car maintenant, c’est trop tard.
Quand chacun s’est levé, tandis que le débit assommant de l’homme en bas
prenait fin, j’ai fourré mes affaires dans mon sac, et je suis descendu, sautant
parfois une marche, Thomas sur les talons, qui me demandait ce qui m’arrivait
soudain. Ce qui se passait ? Je ne le savais même pas moi-même, alors
comment aurais-je pu le lui dire ?
On est rentré dans le RU, et je l’ai cherché, pour le
trouver enfin, assis seul à une table, loin de la porte d’entrée. J’ai prié
pour que personne d’autre n’ait l’idée saugrenue de le rejoindre, et je me suis
précipité vers les présentoirs, j’ai pris n’importe quoi, j’étais dans un état
second, d’excitation, d’impatience. Etonnant mélange, en vérité.
Je me suis approché, tremblant et hésitant, je n’avais
pas confiance en moi, et cela se voyait, mais toi, tu avais la tête baissée, tu
n’avais pas compris. J’ai posé mon plateau, le verre a fait du bruit, et tu
m’as regardé, tu ne saisissais toujours pas, mais tu ne m’as pas repris, tu ne
m’as pas interdit de m’asseoir. Thomas ne m’a pas rejoint, il a dû se demander
quelle mouche me piquait, avant d’aller rejoindre la table dite habituelle,
pour bavasser avec Jérémy et Mathilde. Je t’ai demandé du regard si je pouvais
rester, et tu as souris. J’aimais ton sourire, dès lors que tu me l’eus offert.
Je suis resté silencieux, toi aussi, puis j’en ai eu
assez, j’ai parlé, enfin.
« -J’espère que je ne te dérange pas.
-Non, ne t’inquiète pas. »
Ta voix aussi était belle, tu semblais tellement
parfait, comment aurais-je pu savoir ? Tu jouais avec ta nourriture, tu la
repoussais sur le bord de l’assiette avant de la remettre au centre, et j’ai
continué, puisque tu ne semblais disposer à le faire toi-même :
« -Je m’appelle Stéphane.
-Silvyan, ravi de te rencontrer. »
Tu as encore souri, et tu m’as tendu ta main, une main
blanche et fragile, que je me suis empressée de serrer. J’ai eu peur de la
briser, mais elle t’est revenue intacte. Ton prénom était étrange, mais il
t’allait bien, tout ce qui t’appartenait t’allait bien, de toute manière. En
tout cas, moi je le pensais.
« -Tu es nouveau ?
-Oui, j’ai déménagé il y a un mois, avec mes parents.
Le temps de trouver la fac, de réintégrer le bon département…
-Je pourrais t’aider, si tu le souhaites. »
Qu’est-ce que tu m’avais fait, Silvyan ? Un coup
d’œil, une parole, et je te proposais déjà de te faire rattraper ce que tu
avais manqué. Mais ce n’était pas anodin, je ne pouvais pas mentir, quant à
cela. Ta beauté m’avait frappé, mon dieu, tu étais magnifique. Tes jolis yeux
bleus, ta bouche fine, ton nez droit, tes cheveux blonds, ta peau lactescente…
Ta voix, aussi. Ton être entier, ce que tu étais, Silvyan, me subjuguait, tu
semblais comme inhumain, au-dessus de nous. Un ange, peut-être. Je ne croyais
pas si bien penser… Tu mangeais sans faim, apparemment, parfois tu portais à
tes lèvres rouges, le verre d’eau, que tu buvais à petites gorgées.
« -Tu es là depuis combien de temps ? m’as-tu demandé.
-Depuis deux ans. J’ai commencé ici.
-Tu vis à Paris ?
-Oui… Mes parents vivent en banlieue, j’ai préféré
m’installer plus près.
-Je comprends. Moi, j’ai un logement dans un petit
quartier pas trop cher. Ce n’est pas le paradis, mais je suis content.
-C’est bien. Tu parais jeune, t’ai-je dit, l’air
détaché. Tu as quel âge, en fait ?
-J’ai vingt-et-un an, m’as-tu répondu, en
souriant. »
Je fus surpris, ton visage n’avait rien d’un adulte,
tu étais juste un enfant, tu en donnais l’impression. Tu me plaisais, je crois.
Je n’avais pas honte, dans ce seul domaine, de me
dire, que j’étais homosexuel, d’autant plus maintenant, alors que Silvyan était
en face de moi. Je reconnaissais pourtant que je n’avais jamais eu beaucoup de
relations, peu stables, en tout cas. Je n’ai jamais compté les histoires sans
lendemain, les fantaisies d’une nuit. Si je ne me plaisais pas, pour les
autres, il semblait que je n’étais pas ce monstre. Etrange paradoxe, j’avais
arrêté de me poser des questions, je prenais mon pied, ça me suffisait
amplement. Je n’étais pas très regardant pour mon partenaire, je ne leur
demandais parfois même pas leurs noms, je les rencontrais au hasard d’une
soirée, d’une sortie, rares, au demeurant. Les aimer était trop dur pour moi,
je me contentais juste d’apprécier leurs corps, ce qu’ils m’offraient. Je
n’étais pas d’un caractère soumis, je refusais la position du dominé, ce
n’était vraiment pas pour moi.
Toi, je ne savais pas. Je voulais croire que tu étais
comme moi, c’était tellement attractif, de penser que tu serais à moi, je
venais de me trouver un nouveau but, mais pas un nouveau jeu. Soudain, je ne
voulais plus jouer. Il a fallu revenir en cours, je t’ai proposé de venir avec
moi. Tu l’as fait, tu m’as suivi, tu t’es assis à côté de moi. Supplice et
béatitude, tu étais les deux choses en même temps. Torture de te sentir près de
moi, exaltation de te savoir juste là, je n’avais qu’à lever la main, pour te
toucher.
Thomas vint nous rejoindre, je te présentai. Il t’a
tout de suite apprécié, qui ne l’aurait pas fait. Tu jetais parfois quelques
regards à mes notes, tu étais un peu en retard, tu n’étais pas vraiment
concentré. J’avais l’espoir que je te troublais, ça me faisait plaisir de
songer à ça, je m’imaginais déjà, que j’étais important pour toi, en l’espace
de quelques moments, dilapidés, au bon gré d’un jour banal.
Ma rencontre avec Silvyan ne pouvait pas être anodine,
le hasard et la fortune n’existaient pas dans de telles circonstances,
peut-être que si pouvoir m’était donné de le refaire, je passerai certainement
mon chemin, je l’ignorerai, pour fermer les yeux, et m’éloigner de lui. Les
heures ont coulé lentement dans le sablier de mon cerveau, ma volonté n’avait
aucun droit sur les aiguilles noires de ma montre, je n’étais rien, finalement,
face à ce temps traître. Oui, je n’étais rien, je l’ai su à mes dépends, lui,
il avait déjà compris, mais il ne prit jamais la peine de me l’expliquer.
Silvyan poussa soudain ma main, qui était restée
quelques instants, inerte, sur la feuille, sans que je ne m’en aperçoive. Je
m’étais égaré moi-même, j’avais zigzagué dans le vague opaque de mes
phantasmes, où je distinguais confusément les contours fébriles de sa
silhouette.
Je sursautais à peine, je ne te regardai qu’une
seconde, et dans un murmure, je demandais ce que tu voulais.
« -Tu as pris en note ce qu’il vient de
dire ? »
Je secouais la tête, désolé, et je te conseillais de
prendre la feuille de Thomas. Quand tu t’es tourné vers lui, j’étais loin
d’être réjoui, j’aurais aimé pouvoir t’aider. Echec insignifiant, premier
échec, pas le dernier.
J’ai recopié à mon tour sur Silvyan, j’aimais son
écriture ronde, fine et régulière, qui se lisait sans effort. J’en ai presque
oublié le pourquoi du comment, et ce fut ta voix qui m’obligea à continuer, un
peu tremblant. Je n’étais même pas certain de pouvoir me relire. Quand la fin
des cours a retenti, tu as fermé ta pochette, y rangeant tes pages pleines de
mots, avec soin, glissant son crayon, entre l’élastique gris la poche en
carton. Quelques dessins le maculaient, j’ai trouvé ça mignon, parmi ses anges,
et ses démons, que tu semblais apprécier, et que tu jetais sous ton trait
habile.
« -Je te remercie d’être venu me parler, me
dis-tu, d’un coup. Je me sentais largué, en arrivant, j’étais terrorisé.
-J’avais cru le comprendre, rétorquai-je, en
souriant. »
Thomas avait disparu de mon champ de vision, je
n’avais pas cherché à attendre mes amis, Silvyan venait de tout me prendre,
sans que je ne m’en aperçoive, sans que somme toute, je ne m’y oppose. Sa
démarche chaloupée m’attirait à elle, ses bras se balançaient sans excès, ses
mains se repliaient de temps à autre sur elles-mêmes. Il n’était pas bien gros.
Plutôt mince, si ce n’est maigre, mais ça lui allait bien, s’il avait été
différent, il m’aurait paru invisible et transparent. Le temps s’était couvert,
il faisait froid, et Silvyan a remonté la fermeture de sa veste, qui lui allait
à ravir. Il s’habillait simplement mais tout sur lui se transformait en un luxe
divin, à mes yeux. Il a croisé ses bras sur sa poitrine, et il a frissonné,
maugréant qu’il ne pouvait définitivement pas s’adapter au climat parisien. Je
ne lui ai pas demandé d’où il venait, pas encore, du moins. Je voulais
attendre, un peu, pour avoir la joie de le découvrir, petit à petit.
Dans un élan soudain, je lui ai proposé de faire un
bout de chemin avec lui, je ne savais même pas où il habitait, et partir à
l’autre bout de Paris ne paraissait en rien impossible. Mais il a secoué la
tête, il m’a dit que ce n’était pas nécessaire, et que le voyage en métro que
nous aurions à partager, serait un palliatif correct. Nous avons attendu, dans
ce sous-sol nauséabond, que les wagons défoncés s’arrêtent devant nous. Ils
étaient bondés, et il a fallu nous serrer pour pouvoir entrer. Le sac d’une
vieille femme s’enfonçait dans ma cuisse, mais je ne pouvais pas bouger, et je
dus faire le voyage avec cette douleur désagréable. Silvyan était si frêle que
j’ai cru un moment qu’il allait finir sa vie écraser sous ces montagnes de
chair et de tissu, odorants de cigarettes, ou de transpiration. Je détestais
ces voyages, mais aujourd’hui, parmi cet amas d’hommes d’affaire, de
secrétaires, d’étudiants, il y avait quelqu’un qui me permettait de compenser
cette répugnance. A chaque arrêt, certains sortaient, d’autres rentraient,
encore plus nombreux, tant et si bien que de peur que je perde Silvyan pour de
bon, j’ai réussi à l’attraper par le bras pour le ramener vers moi. Il a
soupiré, et s’est accroché à mon pull, avant de me murmurer :
« -Merci. Ce gars là-bas commençait à me paraître
suspect… »
J’ai relevé les yeux, et j’ai fusillé du regard
l’homme rondouillet accroché à la barre en métal. S’il avait ne fut-ce que
touché d’un doigt Silvyan, j’aurais certainement entaché mon casier judiciaire,
d’un homicide volontaire, avec torture. Un quart d’heure plus tard, Silvyan m’a
dit qu’il allait descendre, et je l’ai suivi sur le quai, il n’était même pas
question de se dire au revoir, dans ce métro pourri de toutes parts. Tu m’as
encore remercié, tu m’as fait remarqué qu’il n’était pas nécessaire que je
t’accompagne jusqu’en haut, et que de toute façon, tu allais me retarder. Je
n’ai pas insisté, je ne voulais pas te faire peur, et je suis remonté, en te
regardant partir.
Quand je suis arrivé chez moi, j’ai jeté mes affaires
sur le parquet, et je suis rentré en trombe dans la cuisine, j’ai renversé la
moitié du thé et j’ai manqué de me brûler avec l’eau que j’avais mise à
bouillir. Je ne savais rien de Silvyan, et pour la première fois, je voulais
retourner à la fac, aussi vite que je l’avais quittée. La soirée s’annonçait
longue.
Je regardais la télévision, étalé comme une masse sur
le canapé, quand mon téléphone a sonné. J’ai fait un effort surhumain pour
attraper le mobile posé sur la table, et j’ai plissé les yeux pour lire le nom
qui était affiché sur le cadran digital.
« -Salut, Thomas…
-Tu ne devais pas m’attendre, cet après-midi ?
Hmm, je sais, mais…
-T’inquiète, ce n’est pas grave. Tu es rentré avec
Silvyan, non ?
-Oui, comment tu le sais ?
-Je m’en suis douté. »
Je l’ai senti sourire, à l’autre bout du fil, puis il
a reprit :
« -Entre nous, Stéphane, tu n’es pas intéressé
par lui ?
-Tu crois ?
-Oui, j’en suis sûr même. Mais ce n’est pas comme
d’habitude. »
Thomas était la seule personne au monde, en plus de
mes conquêtes, à connaître la vérité sur ma sexualité. J’aurais eu du mal à lui
cacher, il ne me connaissait que trop bien, et je le lui avais avoué un jour,
je ne pouvais pas non plus passer ma vie à mentir. A Thomas, en tout cas. Mes
parents ignoraient avec extase que je préférais les hommes, et ma mère
attendait de pied ferme ses hypothétiques petits-enfants. Tu pouvais toujours
patienter, maman.
« -Tu ne le connais pas encore, m’a fait
remarquer Thomas, après un petit silence. Et tu t’enflammes déjà. Ce n’est pas
dans tes habitudes, Stéphane.
-Bah… Ouais, tu as peut-être raison… Mais… je viens à
peine de le rencontrer, alors, au-delà du physique, je suis incapable de te
dire ce qui me plaît chez lui.
-Peut-être juste que tu ne sais
pas exactement ce qui t’attire. Ca me rappelle quelque chose…
-Arrête. Tu sais bien que c’est impossible.
-Ouais, si tu le dis. Je vais te laisser, je suis
mort, et il faut que je bosse.
-A demain. »
J’ai raccroché et j’ai éteint le poste par la même
occasion. Je n’avais aucune envie de dormir, et je me voyais tout d’un coup
prisonnier de quatre murs. Je ne voulais pas penser à Silvyan, et j’ai décidé
moi aussi d’ouvrir mes cours. Ceux d’aujourd’hui étaient juste un tas immonde
de mots incompréhensibles, dont il manquait une ou deux lettres à chaque fois,
mais ils avaient l’étrange avantage de te rappeler à moi, tout le temps.
J’étais stupide.
Je suis allé me coucher à une heure du matin, je me
suis déshabillé, mon cerveau venait de passer en mode pilote automatique. Mon
lit me paraissait froid, et vide, je m’étais tourné vers la fenêtre. Je ne
voulais pas voir cette place vierge près de moi, qui était comme un piège. Un
piège que j’aurais dû éviter, mais dans lequel je me suis précipité sottement.
Je n’avais pas fermé le volet, je n’en avais pas eu la force, à vrai dire, et
je restais là, dans la pénombre trouble de ma chambre, à songer encore à toi.
Tout me ramenait à ton souvenir ; la pâleur de la lune, la placidité de la
nuit, la fragilité du vent faible qui soufflait. Peu importait l’endroit que je
choisissais pour absorber ta pensée, tu y étais tout de même. J’ai fermé les
yeux, et j’ai refusé de les rouvrir, j’ai attendu le sommeil, comme on
attendrait la mort, et je dois avouer que ce n’en était pas si loin.
Je me suis levé le lendemain, aussi épuisé que la
veille, mais l’espoir au cœur. Je me suis lavé avec rapidité, et je suis parti
vers la cuisine, avec le séchoir dans la main. J’avais la fâcheuse tendance à
faire plusieurs choses en même temps, mais j’abandonnais vite l’idée de faire
du café en me séchant les cheveux. Trop périlleux. J’ai posé la tasse fumante sur le bord de la
table, et je suis reparti dans la salle de bain, d’où je suis revenu quelques
instants après, enfin présentable. J’étais en avance pour une fois, et j’eus
tout le temps nécessaire pour fouiller dans mon armoire. Je n’aimais pas
m’attarder sur une futilité pareille, et j’étais à présent comme une
collégienne, à farfouiller dans les étagères, à m’interroger sur le problème
cornélien de l’assortiment des couleurs. Je me suis observé dans la psyché
posée dans un coin, et le résultat était convenable, pour une fois, j’étais
heureux de mon apparence. On m’avait toujours dit autour de moi, que j’étais
mignon – ce qui me vexait un peu, je jugeais ce terme péjoratif – avec un
charme certain. Sans être un géant, je n’étais pas non plus un nain, je vivais
dans la normalité physique, oui, on peut le dire comme ça. Je n’étais pas bien
épais non plus, ça me suffisait amplement. Les traits de mon visage n’étaient
pas parfaitement réguliers, et j’avais cru apercevoir que ma bouche était
légèrement asymétrique. Ce n’était pas flagrant, mais je l’avais remarqué,
c’était déjà bien assez pour m’énerver. Je n’étais pas aussi beau que Silvyan,
mais je ne pouvais pas y faire grand-chose, juste espérer qu’il ne le remarque
pas lui-même.
Je suis parti à sept heures et demie, j’avais presque
une demie heure d’avance sur mes horaires habituels, et j’ai joué des coudes
pour me frayer un passage dans le métro. J’ai espéré le croiser devant le
portail de l’université, mais mes espoirs furent bien vite réduits à néant.
Personne, où du moins, pas celle qu’il m’intéressait de voir. Enervé, j’ai
gagné l’amphithéâtre, où j’ai retrouvé Thomas, en charmante compagnie. Silvyan
était assis à ses côtés et a souri gentiment, dès qu’il m’eut aperçu. J’ai jeté
un regard de chien enragé à mon traître de meilleur ami, qui me tira un petit
bout de langue discret et je me suis installé aussi.
« -J’ai rencontré Silvyan en arrivant.
-Oh…
-Oui… On a un peu parlé, en attendant que tu arrives.
Tu es sacrément en avance, pour une fois, Stéphane. »
J’ai maronné, pour le plaisir, mais, trop heureux de
l’avoir retrouvé, j’ai balancé mes feuilles de cours en tas, sous le regard
moqueur de Thomas. J’ai cru m’endormir à nouveau face à l'accablant discours du
tout aussi inintéressant professeur juste en bas, mais j’avais décidé de rester
éveillé pour profiter de la présence de Silvyan, à ma droite.
Je suivais du coin de l’œil tes mouvements, ta main
qui parcourait, silencieuse et parfaite, la copie. Sans m’en rendre compte, je
me penchais par-dessus ton épaule, pour traquer des phrases, que je ne
connaissais pas, que je n’avais pas écoutées. Je faisais semblant de chercher
un paragraphe, pour profiter de ton odeur légère et sucrée, j’aimais ton
parfum, entêtante volupté dont je me souviens encore, maintenant. Tu t’es
doucement tourné vers moi à ton tour, et tu m’as dit :
« -Dis, Stéphane ?
-Oui…
-Tu pourrais me passer tes cours ? J’ai demandé à
Thomas, mais il m’a dit que les tiens étaient beaucoup plus organisés…
-Ce n’est pas trop dur non plus… Mais je te les
donnerai, si tu as besoin d’explication, je suis là aussi. »
Tu as souris, tu m’as remercié et tu as continué, moi,
je n’avais plus la tête à ça, une parole, un mot, et je me précipitais dans
l’inconscience de la passion.
~*~
Un premier mois était passé, avec ses lenteurs
pénibles, ses vitesses exécrables, et Silvyan, toujours à mes côtés. Avec
Thomas, nous avions formé un étrange trio, entre jalousie et besoin commun de
l’autre. Envie de s’accaparer un des monômes de l’équation, désir sans cesse
renouveler de se retrouver, et de partager. Je voulais Silvyan, Thomas
jalousait cette nécessité, comme je convoitais la complicité qui le nouait à
lui. Et Silvyan au milieu de tout ça, qui ne comprenait pas ou faisait comme si
tout ceci n’était pas vraiment réel. Novembre était venu, et avec lui, la
froideur des prémices de l’hiver, la brume au petit matin, et le verglas sur
les trottoirs.
J’étais resté à me prélasser dans mon lit, je me
tournais parfois dans les draps trop légers, pour une saison pareille. Mais je
n’avais pas froid, j’étais bien, j’étais reposé ; et heureux, aussi. Pour
la première fois, Silvyan venait me rendre visite, j’avais tellement insisté,
qu’il m’avait cédé, et je craignis un moment qu’il
fisse tomber mon masque. J’étais effrayé de sa réaction, s’il pouvait soudain
s’imaginer que mes attentions pour lui n’étaient pas vaines, que ferai_je ? Le voir s’éloigner de moi et de mon
appétence coupable que j’avais pour sa chair, m’aurait tué, sans aucun doute.
L’instinct primaire de la nourriture m’a poussé hors
de la prison dorée de mes couvertures, et je suis sorti, débraillé, de ma
chambre, marchant à tâtons dans l’obscurité de l’appartement. Pourtant, je le
connaissais par cœur, mais j’avais toujours l’appréhension de me cogner, et de
me faire mal. En arrivant dans la cuisine, j’ai levé le store, un soleil aussi
matinal que fade m’effleura à peine de ses rayons timides, et troubla en
demi-mesure, mes yeux sensibles. J’ai tenté une percée dans le frigidaire, et
le vide interstellaire auquel je me suis heurté, m’a fait prendre conscience
qu’il fallait que j’aille faire des courses. Le ventre creux, et de mauvaise humeur,
je suis allé prendre ma douche, l’eau était à peine chauffée, et
définitivement, cette journée commençait mal.
J’ai fait un peu de ménage, ensuite, il n’y avait pas
grand-chose, à part quelques poussières de-ci, de-là, vite aspirées par la
bouche vorace de mon aspirateur. Les voisins du dessous devaient encore dormir,
mais tant pis, si j’avais envie de nettoyer à huit heures du matin, cela me
regardait, et puis, ce n’étaient pas eux qui recevaient Silvyan, c’était moi,
et tout devait être parfait. J’aurais dû savoir que la perfection n’existait
pas.
Je remis même de l’ordre dans ma chambre, pourtant
déclarée bastion incurable. L’heure éparpillée à reclasser mes livres, plier
mes vêtements, et chasser une ou deux araignées – tout en gardant celle que j’avais
au plafond – ne fut pas un regret pour moi, et je suis parti vers dix heures,
dans la grande mission de réapprovisionnement. Mon budget était stable, et je
ne faisais jamais de folies, je n’avais aucune inquiétude, je n’allais pas
finir le mois, à manger des pâtes et du riz, avec un bout de pain noir.
Je suis descendu à l’épicerie au coin de la rue,
j’avais sympathisé – un grand mot – avec le patron, et le tout était aimable,
il n’y avait pas lieu ici de s’énerver face à une petite grand-mère agaçante,
ou à un moutard hurleur. J’aimais le calme chronique de ce magasin, la
fraîcheur agréable de ses allées, et son odeur grasse, de fruit, de légumes, de
choses simples. Pas besoin d’aller jusqu’au super marché pour trouver ce qui me
faisait envie.
J’ai échangé quelques commodités avec le vendeur, on a
un peu parlé du temps, de Paris, de nos vie, puis je suis rentré. Les doigts
serrés autour des poignées des sacs, qui me lacéraient la peau, affaiblie par
le froid, j’ai repris le chemin du retour, tranquillement. J’avais oublié mon
écharpe, et je grelottais légèrement, je n’étais pas mécontent de retrouver la
chaleur du foyer, et de remplir le frigo, surtout.
L’heure tournait lentement, tellement lentement que
l’idée de jeter la pendule par la fenêtre me prit à de nombreuses reprises,
mais un tel geste aurait dérangé la propreté de la pièce, alors je m’en suis
abstenu. Je suis allé faire un tour sur mon ordinateur, consulter mes mails,
parler un peu avec quelques personnes et écouter de la musique. J’ai pensé à
regarder un film, mais finalement cette perspective ne me disait rien, alors
j’ai préféré prendre racine dans mon salon, et suivre d’un œil les programmes
matinaux. Heureusement pour moi, nous n’étions pas dimanche, et je n’étais pas
condamné à regarder la messe, ou une de ces émissions sportives. Vivre avec les
cinq chaînes nationales était un pari difficilement relevable pour moi,
pourtant, je devais m’y habituer, tandis que chez mes parents, il y avait le
câble, et tous ces avantages.
J’ai fini par tout éteindre, ça devenait vraiment
insupportable. Je suis allé un peu révisé, et puis enfin, le bruit de la
sonnette a retenti, j’ai lâché la médecine, puis je suis allé courir ouvrir la
porte. Silvyan était derrière, il serrait son sac contre lui, et il m’a souri,
dieu, que j’aimais le voir sourire.
« -Bonjour, Steph.
-Salut, Silvyan. Rentre, ne reste pas là.
-Merci. J’ai eu du mal à trouver, je ne connais pas
bien Paris.
-L’essentiel, c’est que tu sois arrivé.
-Thomas ne vient pas ?
-Non… Il est allé voir ses parents, à Ormesson, pour
le week-end. C’est grave ?
-Non… Bien sûr que non, c’était juste une
question. »
Je l’ai laissé entrer, il était timide, et j’ai
attrapé sa veste, que j’ai accrochée au portemanteau, puis je l’ai conduit
jusque dans le salon.
« -J’aime bien ton appartement, il est agréable.
-Et pas trop cher… Ce qui est plutôt bienvenu, pour
moi. Euh… Tu peux t’asseoir.
-Merci. »
Silvyan se laissa tomber sur le divan, et croisa ses
jambes qui me paraissaient soudain interminables, il étai plus grand que moi,
finalement. Je n’y avais même pas fait attention.
« -Ne bouge pas, je vais chercher deux verres.
Et… Il faut que je fasse la bouffe, aussi. Quelle organisation ! terminais-je avec ironie.
-Je vais t’aider.
-Non, non, pas la peine…
-Mais, si… Allez, on y va. »
Silvyan m’a suivi, il est passé devant moi, et s’est
retourné, s’appuyant contre le bord de la table, les bras croisés. Il était
bien habillé, serré dans son petit jeans, et son pull fin à col roulé noir. Il
a attrapé les assiettes que je lui ai tendues, avant de les poser avec soin,
l’une en face de l’autre. Moi, je me chargeais de mettre de l’eau à bouillir,
le déjeuner ne s’annonçait pas très gourmet, mais je n’étais pas cordon bleu et
il n’y avait rien d’autre à attendre de ma part. J’ai montré du doigt un
placard, sous l’évier, à Silvyan, qui m’avait demandé où je rangeais les
boissons, et j’ai manqué de me brûler en me retournant trop brutalement.
« -Ca va ?
-Oui, pas de problème. Plus de peur du de mal.
-D’accord. Bon, je crois que la table est mise.
-Je vois ça… Faut attendre encore un peu… Je suis
désolé, je suis franchement nul.
-Mais non… Enfin, je te dirais ça, tout à
l’heure. »
Il a accompagné sa phrase d’un autre joli sourire, et
il s’est assis sur une des chaises, avant de s’exclamer :
« -Ca fait déjà un mois qu’on se connaît. J’ai
l’impression que c’était hier.
-C’est vrai.
-Merci encore d’avoir été là. Sans toi…
-Bah… Il y en aurait eu d’autres pour
t’aider ! »
Ma réponse s’inscrivait clairement dans le ton de la
plaisanterie, mais l’évidence était limpide dans mon esprit. Silvyan n’aurait
pas trop eu à s’en fait, si ce n’avait pas été moi, un autre s’en serait
chargé, avec autant de plaisir.
« -Ca se passe bien dans la cité u ?
-Pas trop mal. J’ai un voisin chiant, mais sinon,
c’est bon.
-Chiant ?
-Oui… Enfin, disons qu’il me drague gentiment, mais ça
devient pénible.
-Je vois… Ca ne te dérange pas, qu’il te drague ?
-Ca m’arrive souvent, tu sais. Que ce soit des hommes
ou des femmes… Ca m’amuse plus qu’autre chose.
-Mais les hommes… C’est bizarre quand même,
non ? »
J’étais vraiment un hypocrite, mais je ne pouvais pas
consciemment lui demander s’il était gay. Il a appuyé son coude contre la
table, et a déposé son menton contre sa paume, puis il a répondu :
« -Je ne trouve pas ça étrange. Ca ne me gène
pas, au contraire. Plaire à quelqu’un est toujours agréable. Non ?
-Si, si… Mais ça en reste à ce stade là… ou… ça peut
aller plus loin ?
-Quoi ? Avec un homme… ?
-Oui… ai-je affirmé, innocemment.
-S’il me plaît, pourquoi pas. Mais j’avoue que j’ai
rarement envie d’aller plus loin… »
J’ai eu une exclamation blasée, mais ça ne me
surprenait pas, Silvyan était sublime, comment pouvait-il alors se contenter de
la normalité pathétique de la masse médiocre. Dont je faisais parti, malgré
moi.
« -Ca passe par-dessus !
-Et merde ! »
Je me suis levé avec brusquerie, j’ai soulevé la
casserole de la plaque électrique brûlante, et je l’ai posée un peu plus loin,
avant d’aller chercher la passoire.
« -C’est bon ?
-Ouais… J’aurais juste à nettoyer tout à l’heure.
Attention, c’est chaud. »
Silvyan a rapproché son assiette, et les pattes y ont
coulé dans un nuage de vapeur, déposant une fine buée sur les verres. Le bruit
de la fourchette heurtait parfois les dents blanches de Silvyan, et je
m’amusais à y trouver une mélodie, un petit air calme. Je mangeais
distraitement, tentant d’obtenir un semblant de conversation cherchant à en
savoir plus et plus encore. Je n’ai pas vraiment fait attention à ce qu’il me disait, chacune de ses paroles était comme pour moi un
cadeau, et je buvais ses mots, peu importait le fond.
« -Tu n’es pas une catastrophe culinaire,
finalement.
-Tu es encore en vie, c’est bon signe. »
Silvyan a souri encore, et il a porté le verre rempli
de soda à ses lèvres pleines. Il a stoppé d’un doigt offensé la goutte sucrée
qui s’était égarée sur sa peau.
« On bosse ?
-Comme tu veux. Je mets un peu d’ordre, d’abord.
-Pas de problème. »
Il s’est levé, il a attrapé les couverts, et il m’a
demandé où était le lave-vaisselle, après un petit tour sur lui-même.
« Il n’y en a pas, il faut se débrouiller tout
seul, avec tout ça.
-Je peux m’en charger !
-Ne te fais pas de souci avec ça, tu n’es pas là pour
faire le ménage. Viens plutôt dans le salon. »
Silvyan a posé son fardeau dans l’évier et m’a suivi
dans la pièce principale, en sautillant d’un pied sur l’autre. J’ai poussé la
table basse, et j’ai jeté les livres sur l’épais et doux tapis de laine. Il
s’est assis à côté de moi, en tailleur, et il s’est soudain écrié :
« Tu ne veux pas mettre un peu de musique.
J’adore ça, je travaille tout le temps avec, chez moi.
-Pas de problème. Ne bouge pas, je vais te chercher ma
collection de cd. »
J’ai foncé dans ma chambre, j’ai ouvert tous les
tiroirs, à la recherche da la pochette qui contenait tous mes disques. Je l’ai
finalement trouvée sous le lit, parmi un t-shirt sale, et la batterie de mon
téléphone portable, puis je suis revenu. Silvyan feuilletait, avec intérêt un
livre, certainement un de ces bouquins que j’avais commencés, mais que je ne
finirais jamais.
« Je te le donne, si tu veux.
-Non. Ca me gênerait.
-Je n’aurais jamais le courage d’aller jusqu’au bout,
alors tu peux le prendre.
-Merci ! Ca me fait plaisir ! Tu me montres
tes cd ?
Je lui ai tendu ce qu’il m’avait demandé, et il a
cherché, lentement, avant de s’arrêter, en en tapant un du doigt.
« Je connais ce groupe, c’est très sympa. C’est
calme, et ça ne gène pas la concentration. »
Adjugé. Je me suis levé une nouvelle fois, j’ai
installé la chaîne hi-fi, et la musique donnait une autre ambiance, qui allait
si bien à Silvyan. Il commençait à se sentir comme chez lui, fouinant dans mes
cours, en fredonnant au gré des notes.
« Il faudrait que tu m’aides à rattraper encore
un peu le premier mois.
-Sans souci… On va reprendre ça. »
Si tu avais su, Silvyan, à quel point je me
contrefichais de cette médecine, insipide, énervante et tellement moins
séduisante que toi. Toi… Tu étais l’aimant de mon attention, je ne voyais que
toi, et tu m’avais précipité dans un puit, duquel ne je sortirais plus,
maintenant. Tu me posais des questions, je te répondais, mais je ne pensais
même pas à ce que je disais, c’était mécanique, et sans âme. Mais j’en
profitais pour contempler tes yeux bleus. Tu dégageais un léger arôme de
vanille, grisant, qui brûlait ma raison. Ces exhalaisons sucrées soustrayaient
mon esprit à la concentration dont j’avais besoin, mais c’était tellement
agréable, je n’en avais cure.
Trois heures plus tard, la voix de Silvyan sonnait
enfin le glas de mon supplice, et il s’est étiré, comme un félin, dont il avait
la grâce. J’ai ramassé mes affaires, d’un geste rapide, rangeant les feuilles
dans un classeur, que je jetais un peu plus loin, le faisant glisser sur le
parquet.
« -J’avoue que j’en ai marre…
-Moi aussi… Ca te dit qu’on aille faire un tour ?
Je te montrerai un peu Paris !
-Pourquoi pas ? »
Il s’est redressé, son dos a craqué, et j’ai fait
pareil, il me dépassait de quelques centimètres, ça m’énervait un peu. Je suis
parti lui chercher sa veste, qu’il a boutonné avec calme, et je l’ai laissé
sortir le premier, fermant d’un tour de clé rapide la porte de mon appartement.
Nous sommes descendus, en discutant avec plaisir, d’un
sujet tellement banal, qu’était la fac. J’hésitais à lui poser des questions
sur sa famille, son passé, mais je m’en suis abstenu, peut-être à cause d’un
pressentiment, qui me taraudait.
Il n’était que cinq heures, mais l’atmosphère
s’assombrissait, il a même commencé à neiger, doucement, Silvyan a levé la tête
et a ouvert les mains. Les flocons ont échoué sur sa peau, et ils ont fondu,
lentement, mordant sa chair pâle.
« -Stéphane, tu ne veux pas qu’on aille prendre
un petit truc ? Je commence à avoir froid…
-Bien sûr. Je t’emmène dans un café sympa, mais il
faut prendre le métro… Tu es peut-être fatigué…
-Non... Au contraire ! »
Vint minutes
plus tard, je poussais la porte d’un café, en plein cœur du Marais – choix
hasardeux ou délibéré pour lui faire comprendre ? – mais il n’avait pas
l’air de saisir, ou alors, jouait-il à merveille la comédie ? Nous nous sommes installés sur une des banquettes, au fond du
bar, où le contraste avec l’extérieur était frappant. Ici, il faisait chaud, il
faisait bon, et Silvyan a lentement retiré sa veste, la laissant tomber
jusqu’en bas de son dos. Soudain, je commençais à regretter de l’avoir emmené
ici, mais le regard qu’il m’a lancé m’a vite fait oublier
cela. Je remarquais soudain le léger trait noir qui soulignait ces yeux, c’était
étonnant, mais attirant. Trop attirant. Il a commandé un cocktail, j’ai fait
pareil, et tandis qu’il sirotait sa boisson d’un air distrait, il s’est soudain
écrié :
« -J’aime bien cet endroit.
-Pourquoi ?
-Je ne sais pas, ça dégage quelque chose de… calme, de
reposant… Avec les cours, j’en avais besoin. Tu réviseras tes partiels avec
moi ?
-Même pas la peine de demander, tu sais, lui ai-je
répondu en souriant. »
Il tournait le petit parasol bleu dans l’alcool, avant
de la porter à sa bouche, léchant le bois qui retenait l’ombrelle de papier. Il
l’a posé près de son verre, puis s’est amusé à l’effiler, et il m’a fait
remarqué, enfin :
« -C’est un bar gay, pas vrai ?
-Euh… je… En fait… oui… C’est… le quartier gay de
Paris, en fait…
-Pourquoi tu m’as emmené ici ?
-Parce que j’aime bien… »
J’étais persuadé qu’il faisait juste semblant de ne
pas comprendre, et qu’il prenait même un malin plaisir à me faire languir, par
ses gestes, ses mots et ses regards. Tu le savais, Silvyan, et je m’en suis
aperçu, bien plus tard. Trop tard. Il a bu quelques gorgées de bière, il a
reposé le verre, et il a passé un coup de langue rapide sur ses lèvres humides,
puis il a reprit :
« -Tu es homo, Stéphane ?
-Enfin… Non… Je… »
Pieux mensonge, en vérité. J’aurais voulu disparaître
sous terre, m’enfoncer dans le sol, et ne plus revenir, m’endormir dans les
flammes de Satan, et y rester. Silvyan m’a de nouveau appelé, et il m’a
rassuré, attrapant ma main, inerte, qui reposait sur la table. Il a joué avec
l’une des bagues en argent qui encerclaient trois de mes doigts, s’amusant à la
tirer vers lui, sans y parvenir. Je n’aimais pas ce nouveau jeu, je sentais que
je n’en serais pas le vainqueur.
« -Ce n’est pas grave, tu sais.
-Ce n’est pas ça… Arrête de me toucher, comme
ça. »
J’ai retiré brusquement ma main, et je l’ai ramené
vers moi, comme s’il ne s’en était fallu de peu pour qu’il me l’arrache.
Silvyan paraissait blessé de mon attitude, il s’est redressé, a relevé le
menton et a lâché :
« -Quoi ? Le fait que je te touche te déplaît ?
Je te dégoûte ?
-Non… Jamais de la vie, au contraire ! »
J’avais presque hurlé, pour couvrir le bruit de la
musique, assourdissante.
« -Je n’aurais pas dû t’emmener ici.
-Pourquoi ? Parce que tu te rends compte que je
suis vraiment pédé…
-Non… Silvyan… Ce n’est pas l’endroit pour parler de
ça.
-Au contraire ! Regarde-moi, quand je te parle.
Qu’est-ce que tu vois, là, devant toi ? Merde, je croyais qu’en venant à
Paris, on n’arrêterait de me juger. Et je découvre que c’est la personne qui
m’est la plus chère ici, qui me poignarde dans le dos.
-Tu as raison !
-Quoi ?
-Tu as raison… Je suis homosexuel. »
Silvyan allait répondre, mais quand il comprit enfin
le sens de ces trois mots, il referma la bouche et s’appuya sur le dossier de
la banquette. Aucun son, aucune parole ne s’éleva entre nous, nous étions
devenus muets, par la force des choses. Je n’osais plus le regarder, et lui non
plus, nous étions deux idiots, qui fuyions le regard de l’autre. Je ne savais
pas trop à quoi était dû cette gêne soudaine, peut-être à nos deux aveux, à
quelques secondes d’intervalles.
« -Tu as… honte ? »
Il avait enfin choisi de ne plus se taire, mais quand
j’ai entendu sa question, j’aurais préféré qu’il n’ait jamais rien dit. J’ai
soupiré, toussoté, et j’ai secoué la tête, avant de répondre :
« -Non… Mais ce n’est pas quelque chose que je
crie à chaque coin de rue. Je ne le dis qu’une fois que je suis certain que la
personne en face de moi n’en sera pas dérangée. Avec toi… Je n’en étais pas
très sûr, et je ne voulais pas que tu t’imagines des choses, qui n’avaient pas
lieu d’être. »
Silvyan a plissé le nez et m’a dit, gentiment :
« -Ca ne me dérange pas… Ce serait le comble
d’ailleurs… »
Ses immenses yeux bleus m’ont parcouru, m’ont
provoqué, aussi, mais je n’ai pas cédé, je ne voulais pas que ce soit si facile
pour lui et pour moi. Notre soulagement était palpable. Où résidait la
difficulté, finalement, de se faire face, de la sorte. Il a commandé un autre
verre, et le même petit parapluie, certainement destiné juste à me faire
languir, avec son rituel énervant. Je devais me réjouir de cette nouvelle, qui
aurait dû annoncer la chute d’un des murs qui nous séparaient, mais je n’y
parvenais pas, il y avait toujours un non-dit, qui m’empêchait fermement de le
faire.
Nous sommes sortis du bar vers sept heures, il faisait
nuit, et la neige n’avait eu cesse de tomber, mais elle ne s’épousait pas le
macadam surchauffé de Paris, et s’était transformé en un liquide havane, qui
s’accrochait aux chaussures des passants. La fumée blanchâtre qui sortait de la
bouche de Silvyan avait un je-ne-sais-quoi fantomatique, et j’ai préféré
détourner les yeux, j’ai cherché dans ma poche les gants que j’avais emportés.
Je n’étais pas mécontent de sentir ce tissu chaud d’être rester contre moi, enserrer
ma peau gelée, et je frottais mes mains, satisfait. Silvyan avait juste
enfilé des mitaines, en cuir, mais je n’en étais pas certain, ce dont j’étais
sûr, c’était que ça lui allait bien. Nous avons repris le métro,
tranquillement, aucun de nous deux n’était vraiment pressé.
Il est repassé pour prendre son sac. J’ai voulu
trouver la force de lui demander de rester pour dîner, mais j’ai abandonné, sur
le seuil de ma porte. Il m’a salué, d’un timide baiser sur la joue, et il m’a
dit à lundi. Sans s’en rendre compte, il venait de me prendre ma fatigue, par
ce simple effleurement, et le sommeil dans lequel je voulais me précipiter,
s’était détourné de moi, méprisant.
~~**~~
A suivre…
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