Moscou Blues - Version intégrale | By : subarud Category: French > Books Views: 2348 -:- Recommendations : 0 -:- Currently Reading : 0 |
Disclaimer: I do not own the book(s) that this fanfiction is written for, nor any of the characters from it. I do not make any money from the writing of this story. |
Style : Yaoi, espionnage
Inspiré de : Alex rider
Couple :
Alex rider X Yassen Gregorovich
MOSCOU BLUES
Cette histoire se déroule à la fin
de “jeu de tueur » SPOILERS au sujet de jeu de tueur et de Yassen.
L’été se terminait à Londres,
laissant derrière lui les derniers relents de canicule, accrochés aux parois de
béton des bâtiments hospitaliers. Mais Alex n’avait pas chaud…
Il se sentait même glacé, depuis
ce coup de téléphone. Un docteur lui avait parlé d’une voix douce, de celles
qui vont annoncer une mauvaise nouvelle.
Alex n’aurait su dire si cette
nouvelle était mauvaise ou bonne, en fait.
« Vous êtes Alex
rider ? »
« Oui »
« Je suis le docteur… »
Il n’avait pas retenu le nom du
médecin, mais ses mots, oui. Son oncle était à l’hôpital. La raison lui avait
murmuré de corriger son interlocuteur mais quelque chose l’avait retenu… son
intuition ?
Son expérience des situations
inhabituelles ? En tout cas, il avait laissé le médecin poursuivre :
une mauvaise blessure, dû à un accident d’avion.
C’était précisément ce qui avait
mit Alex sur la piste : accident d’avion. Et que « son oncle »
voulait le voir, semblant connaître son adresse et son numéro de téléphone par
cœur.
Après avoir hésité, il avait
décidé de se rendre sur les lieux sans rien dire à Jack. Un blessé ne pouvait
pas grand-chose contre lui.
« Vous êtes venus pour la
chambre 64? »
Il hocha simplement la tête,
réalisant qu’il avait la gore nouée.
« Votre oncle va être ravi de
vous voir. Il vous a beaucoup réclamé »
« Ça je n’en doute
pas. »
Sa voix était très froide,
beaucoup trop pour un garçon de son âge, mais l’infirmière ne releva pas et se
contenta de pousser la porte.
« Bonjour Alex. »
« Bonjour tonton »
Ils s’étaient salués avec naturel,
parfaits dans leur rôle l’un comme l’autre. Pourtant, Yassen Gregorovich ne
ressemblait absolument pas à Alex, ni par son physique, ni par ses attitudes.
Mais l’infirmière n’étais pas la pour poser des questions et voir l’adolescent
s’approcher du lit sans hésitation lui suffit.
« Je vous laisse messieurs.
Monsieur Rider, si vous avez besoin de quoi que ce soit… »
Elle jeta un regard enamouré au
russe qui donna envie de ricaner à Alex. Yassen se contenta de hocher la tête,
sans la moindre émotion, comme à son habitude.
Alex n’osait pas penser au travail
sur soi nécessaire à une telle impassibilité. La première fois qu’il avait eu
affaire à Yassen, Alex l’avait trouvé terrifiant par sa froideur. Maintenant il
ne pouvait pas s’empêcher d’éprouver une certaine admiration qui semblait
réciproque pour le tueur. Il aurait aimé maîtriser aussi bien ses émotions.
« C’était mesquin comme
plaisanterie. » Fit-il acidement en fixant le russe « mon oncle…
j’apprécie, vraiment ».
Yassen se contenta de lui rendre
son regard : « je ne sais pas plaisanter. Je n’avais pas de moyen plus
efficace pour te contacter sans éveiller les soupçons. »
« Si. Ne pas me
contacter. »
Cette fois le tueur eu un
imperceptible sourire.
« Après ce que je t’ai dit,
tu ne me feras pas croire ça Alex. »
Le garçon se rembrunit.
« M’apprendre que mon père était
un tueur à gages que le MI6 a pourchassé et éliminé, j’aurais pu vivre sans le
savoir, figurez-vous. »
« Bien sur. Je vais te dire
une chose Alex : tu aurais fini par le savoir par ce que c’est dans ton
caractère. Les adultes croient tout connaître, mais toi tu veux tout
comprendre. Ça n’a rien à voir avec une formation d’espion, c’est plus fort que
toi. »
« Je vous dois combien pour
l’analyse ? » Trancha l’adolescent.
« Nierais-tu cette curiosité
maladive ? Sayle et Cray te l’auraient volontiers enfoncée dans la
gorge. »
« Merci de me rappeler de
merveilleux moments. »
« Je te rappelle que tu n’as
pas écouté mon conseil. »
La voix de Yassen, d’ordinaire
dénuée d’intonation ou d’émotion était soudain devenue glaciale, rappelant à
Alex qui exactement il avait en face de lui.
« Je t’avais dit que tu
n’étais pas de ce monde. Tu ne m’as pas écouté. »
« J’ai du mal à croire que
vos conseils aient pu être pour mon bien, désolé. »
Ce fut rapide. Gregorovich attrapa
Alex par le col de sa chemise, entre deux doigts, et le fixa.
« Peut-être aurais-je mieux
fait de te le dire en t’enfonçant un revolver sous la gorge ? »
Alex n’osait plus bouger. Même
sans arme, Yassen pouvait se débarrasser de lui. Il se maudit d’être venu,
jusqu'à ce que l’autre le lâche. Le russe avait compris qu’il lui faisait
encore peur, et son regard s’adoucit vaguement.
« Désolé. Je n’ai pas de tact
avec les enfants. Et puis tu es le fils de Hunter, ça ne m’aide pas à faire
preuve de diplomatie. »
« Hunter ? »
« C’était le nom de code de
ton père. »
Il abaissa le col de son pyjama et
montra la cicatrice sur son cou.
« J’ai toujours su son
véritable nom mais je ne l’employais presque jamais. »
Alex garda le silence mais Yassen
vit nettement à son expression qu’il brûlait de poser des questions.
« Tu veux savoir quel genre
d’homme c’était. »
« Oui » déglutit Alex.
Gregorovich eut à nouveau un
sourire vague.
« C’est pour ça que je
voulais te voir. En fait je te propose un petit voyage… »
« Et où ? »
Yassen se leva lentement et se
dirigea vers ses vêtements, encore tachés de sang.
« En Russie. »
****
Alex songea qu’il était fou.
Suivre un tueur à gage russe sans la moindre arme ou le moindre gadget, ça ne
pouvait qu’être de la folie... mais Gregorovich n’allait certainement pas se
donner la peine de l’emmener jusqu’en Russie pour l’éliminer.
« Tu veux boire quelque
chose ? »
Le garçon tressaillit et se tourna
vers Yassen comme un chat mordu par un serpent.
« Quoi ? »
« Je te demandais si tu as
soif. » répéta le russe en continuant à le fixer. « Cesse de
t’agiter. Si tu as le mal de l’air, tu peux réclamer un cachet. »
« Très drôle ».
« Je t’ai déjà dit que je ne
plaisantais jamais. Et je t’ai dis aussi que tu n’auras pas d’arme. »
« Ça m’aiderait à vous faire
confiance. »
« Tu n’arriverais pas à me toucher. »
Le ton n’était pas condescendant.
Yassen avait dit cela comme ce que c’était : une évidence.
Alex ne savait pas tirer.
« Écoute. Je t’ai dit la
vérité au sujet de ton père. Si tu veux tout savoir… il m’a même présenté quand
tu étais petit. »
« Pardon ? »
« J’étais là pour ta
naissance. Je ne suis resté qu’une minute ou deux, bien sûr. Mais ça me faisait
plaisir de voir John aussi fier. »
Alex se sentit humilié en songeant
que Gregorovich l’avait vu pleurer et hurler en layette. Encore heureux qu’il
n’en ait aucun souvenir.
« Et ma mère ? »
Gregorovich haussa les épaules.
« Je la connaissais à peine.
Elle avait l’air heureuse. »
« Elle savait pas pour mon
père ? »
« Pas à ma connaissance. »
Il y eut un nouveau silence, puis
Alex osa une autre question :
« Il y a une chose que je ne
comprends pas. J’ai vu Cray… »
« Me tirer dessus. »
« Il vous a
loupé ? »
« J’aurais une cicatrice. Il
ne m’a pas loupé. »
« Mais je vous ai vu
mourir ! »
« Tu m’as vu mettre en
pratique une excellente technique pour simuler la mort. »
« À quoi ça vous a
servi ? »
« À sortir de l’avion sans
que personne ne me remarque. Le MI6 ne t’as pas dit qu’il n’avait trouvé que le
cadavre du pilote ? »
« Ils auraient eu du mal pour
celui de Cray. Ils vont vous rechercher ? »
« Comme ils le font depuis
des années. » se contenta-t-il de répondre indifféremment. « Ce
n’est pas la première fois que je « meurs ». »
« Ravi de l’apprendre. »
Alex se renfonça dans son siège,
plus bougon qu’apeuré. Gregorovich le fixa encore, puis s’adressa en russe à
une hôtesse qui passait. Elle lui apporta une bouteille de vodka et une
canette, qu’il posa sur la tablette en face d'Alex. Ce dernier grommela un
vague « merci » mais n’y toucha pas.
Quelques heures plus tard, l’avion
fut prit d’une violente secousse, qui réveilla Alex, à moitié assoupi. A ses
côtés Gregorovich n’avait pas bougé, feuilletant une revue avec un air de
désintérêt absolu.
« Que… Que se
passe-t-il ? » Balbutia le garçon en voyant passer deux hôtesses
affolées. Yassen consulta sa montre.
« Pas une seconde de
retard. »
« De quoi
parlez-vous ? »
« Vois-tu, j’ai été un peu
pressé par le temps et je n’ai pas pu t’obtenir un faux passeport. Il y a une
bombe à l’arrière de l’appareil. J’ai un parachute pour toi. »
****
Alex avait déjà sauté en parachute,
et pas dans les meilleures conditions : il en avait gardé tout au plus un
certain malaise en y repensant, rien de plus. La nage en eau glacée ne le
dérangeait pas davantage, ce n’était pas son premier voyage en Russie ni sa
première expérience du froid. Mais jamais encore il n’avait expérimenté les
deux en même temps. Gregorovich l’avait poussé dans le vide alors qu’un
mouvement de panique agitait l’avion entier, juste au-dessus d’un lac. Personne
ne les avait arrêtés.
Alex suffoquait, se débattait et
sentit enfin qu’on le hissait hors du lac.
La glace s’entrechoqua près de sa
tête et un élan irrépressible de panique lui compressa l’estomac.
« Sortez-moi de
la ! »
« Du calme. Si tu gesticules,
je ne vais pas y arriver. »
Yassen le saisit sous les bras et
le souleva jusqu'à lui. En entendant les petits hoquets de panique, il songea
qu’il avait peut-être exagéré.
« Alex, tu as déjà sauté en
parachute. »
« Pas dans un lac
gelé ! » se défendit le garçon « et je n’ai jamais vu quelqu’un
me couper les attaches de mon parachutes à plus de dix mètres du
sol ! »
« Cela t’aurait entraîné au
fond de l’eau, et puis je veux être sûr que les passagers nous croient noyés,
au cas ou certains nous aient vu sauter. »
Alex s’était mis à grelotter.
« Et maintenant ? »
« Nous sommes à quelques
minutes d’un village proche de Moscou. Je vais te trouver des vêtements
secs. »
Il tira la bouteille de vodka de
sa poche.
« Bois une gorgée. »
« Je suis trop jeune. »
« Je l’ai prise pour toi. Tu
vas mourir de froid si tu ne bois pas. »
Alex se résigna. Il n’était pas
frileux mais son plongeon dans l’eau froide l’avait complètement transi. Gregorovich
lui avait pressé sa canette froide dans le cou juste avant de le pousser et il
comprenait pourquoi. Il avait frisé le choc thermique.
Un goût horrible lui brûla le
palais et il dut lutter pour ne pas recracher.
« Avale, ça passera. »
« On dirait de l’alcool à
brûler ! »
« Quelque chose comme ça
oui. »
Yassen reboucha la bouteille et la
fit à nouveau disparaître dans sa poche.
« Je te frictionnerais au
village. En route. »
Il tourna les talons et commença à
avancer dans la neige. Alex lui emboîta le pas, encore étourdi par son saut, à
demi engourdi par le froid et assommé par la vodka. Marcher même une demi-heure
dans ce état lui demanda un effort considérable.
Le village dont parlait Gregorovich
ne devait compter guère plus d’une cinquantaine d’habitants. Le bâtiment ou ils
étaient rentrés avec Alex dégageait une horrible odeur de mazout émanant des poêles
disposés dans les pièces. Yassen salua un homme et parlementa quelques minutes
avant de se tourner vers Alex.
« Il a une chambre pour
nous. »
« Yassen … je ne me sens pas
bien. »
« Ça se voit. »
Gregorovich s’avança vers Alex et,
sans plus de cérémonie, le souleva et le chargea sur ses épaules, les bras et
les jambes ballants.
« Tu as les pieds glacés. »Constata-t-il
avec une moue inquiète. « Je vais demander à faire chauffer de
l’eau ».
Alex ne répondit pas. Il était au
bout. L’alcool lui brûlait l’estomac et le cerveau depuis un petit moment.
L’homme qui avait parlé avec Gregorovich le montra du doigt et se mit à rire.
Alex avait juste saisi le mot
« vodka ».
Il sentit Yassen monter une volée
de marches et eut un soupir de soulagement lorsque son dos rencontra un
matelas.
« Relaxe-toi. Il vaut mieux
que je frictionne tout de suite, tu es gelé. »
« J’ai la gueule de bois
surtout. » grogna Alex.
« Pas encore. »
« Super. »
Yassen sourit et installa Alex pour
caler ses épaules contre l’oreiller. Il ôta le pull humide du garçon puis son
tricot de corps, déboutonna le jean.
« J’ai demandé de l’eau
chaude. »
Le tueur frictionna les épaules
frêles, puis le torse et les hanches.
« Le Mi6 ne t’a pas entraîné
aux températures rigoureuses, je vois. »
« Ils n’ont pas eu le temps
de me balancer au fond d’un glacier c’est vrai. »
Rétorqua Alex en claquant des
dents.
« Ça peut s’arranger. »
« Sans façon. Combien de
temps va-t-on rester ici ? »
Gregorovich finit par ôter les
sous-vêtements trempés d’Alex.
« Quelques heures. Ils
pourraient bien envoyer une équipe chercher nos corps. »
« Pourraient ? »
« Nous sommes en Russie. Le
KGB a d’autres chats à fouetter, comme vous dites en Angleterre. »
« J’aime déjà ce pays. »
Alex grelottait toujours et Gregorovich
reprit ses frictions de la gorge aux cuisses.
« Hem… Yassen… je crois que
c’est bon. »
Le regard glacé du russe fixa les
prunelles sombres et sembla remarquer la rougeur su les joues du garçon. Il
haussa un sourcil puis baissa les yeux, avant de sourire.
« Effectivement. »
Relâchant Alex, il se déshabilla à
son tour.
« On va nous amener des
vêtements secs. Ensuite nous irons à Moscou. J’y ai un appartement et pas mal
de souvenirs. Dont certains de ton père.
« Qu’avez-vous fait quand il
est mort ? »
« Rien. J’étais en mission
quand c’est arrivé. A vrai dire, je pensais que tu étais mort toi aussi.
Imagine quand je t’ai retrouvé à jouer les héros avec du R-5 dans les
laboratoires de Sayle. »
« Vous m’auriez
recueilli ? »Interrogea Alex en s’asseyant sur le lit.
« Tu veux dire avant que tu
ne fasses exploser les hélicoptères et manie le kalachnikov ? »
« Oui, bon… on ne m’a pas
laissé le choix. »
« Tu m’as l’air du genre de
garçon à savoir dire non, pourtant. »
« Vous connaissez le Mi6. »
Gregorovich opina du chef avec une
lueur amusée dans le regard. On frappa la porte et il alla chercher les piles
de vêtement, en posant une à coté d’Alex.
« Voilà pour toi. »
« Mais… ce n’est pas ma
taille. »
« Tu as tes vêtements de
petit bourgeois anglais : imbibé d’eau froide et de vent glaciaire, mais
rigoureusement à ta taille. A moins que tu ne préfères une nouvelle
friction. »
****
C’est le col du pull-over remonté
jusqu'à cou qu’Alex entra dans Moscou. Il faisait si froid qu’il n’aurait pas
été surpris de sentir ses oreilles se décoller et tomber.
Lui et Yassen portaient les mêmes
vêtements : un pull verdâtre informe, un pantalon épais marron et de
grosses bottes incolores couvertes l’éraflures. En regardant le peuple
moscovite, Alex put s’apercevoir qu’ils étaient tous les deux dans le
ton : Moscou était une ville qui aurait pu être belle mais elle lui
paraissait … morne.
« Mon appartement est par là.
Ne traînons pas, je ne veux pas que tu te fasses remarquer. »
« Je vois pas comment. »
rétorqua Alex en jetant un coup d’œil aux vêtements informes qu’il portait.
« Moi j’ai vu, et à plusieurs
reprises. » fit Gregorovich en s’enfonçant dans une ruelle.
Ils marchèrent quelques minutes
dans les rues étroites engluées dans une neige sale à demi fondue, recouvrant
une partie des détritus qui envahissaient les trottoirs.
Yassen marchait d’un pas rapide,
jetant parfois un regard en arrière pour s’assurer qu’Alex n’était pas
distancé. Ce dernier devait presser le pas : il ne tenait pas à se perdre
ici, certains riverains lui avaient l’air aussi avenants qu’un ban de piranhas.
La neige avait recommencé à tomber lorsqu’ils parvinrent sous un petit porche,
si sombre qu’il était difficile de distinguer la porte sans s’approcher. Ni
sonnette ni nom, pas même une décoration.
L’appartement était minuscule, et
il y faisait aussi glacial qu’a l’extérieur. Yassen referma la porte et poussa
le verrou.
« Reste dans un coin, je vais
allumer. »
Alex obéit. Bien qu’il ne vit pas
le contenu des lieux, il devinait des silhouettes massives dans l’obscurité,
dans laquelle Gregorovich s’engouffra. Une minute plus tard, une lueur blafarde
se répandit dans la pièce, dévoilant un salon étroit, garni d’un canapé noir et
d’une table basse. La kitchenette, dans un recoin, entassait sur un pan de mur
un frigo et un réchaud masqué. Derrière un épais rideau sombre, une autre porte
se dessinait.
C’était l’appartement d’un homme
seul qui avait décidé de le rester.
« Sois le bienvenu. »
Cette phrase, Alex l’avait
entendue à plusieurs reprises aux différents endroits qu’il avait visités. Mais
pour la première fois, il avait le sentiment qu’elle était sincère :
Yassen Gregorovich n’avait pas un duplex luxueux ou un manoir mais il laissait
Alex pénétrer dans son monde.
« Assois-toi ou tu
veux. »
« J’ai pas beaucoup de
choix. »
Il hésita quelques secondes, puis
se cala contre le plan de travail de la kitchenette, en face du fauteuil.
« J’ai mis le chauffage en route. Tu
pourras te changer. »
Malgré son ton monocorde, il y
avait de la chaleur dans la voix du russe. Alex balaya a nouveau la pièce du
regard… Gregorovich l’observa et vit une sorte de déception dans ses yeux.
« Qu’est-ce qui ne va
pas ? Tu t’attendais… à quelque chose de particulier ? »
« Je suis pas sûr… vous venez
souvent ici ? »
Yassen eut un vague sourire et
alla s’asseoir.
« Quand j’en ai
besoin. »
« ‘A cause… de vos
contrats ? »
« A cause de moi. »
« De… vous ? »
« Même quelqu’un comme moi a
besoin de se retrouver de temps en temps. Après une mission, n’as-tu pas envie
d’être seul, tranquille, chez toi ? »
Alex hocha la tête.
« Moi je suis un
espion. »
« Tu ne fais pas un travail
ordinaire de toute façon. »
« Je suis quelqu’un
d’ordinaire. »
Alex regretta aussitôt d’avoir dit
ça. Il aurait pu affirmer cela à n’importe qui, mais devant Gregorovich, il
passait pour un imbécile. Yassen ne fit aucun commentaire et se leva, avant de
faire signe à Alex.
« Viens voir à coté. »
Le russe poussa le rideau et le
laissa passer devant lui.
La seconde pièce était plus vaste
que la première, mais paraissait plus étroite, du fait du désordre qui y
régnait : des piles de livre encadraient un lit couvert d’épaisses
couvertures aux couleurs ternes. Dans un coin, il y avait un ordinateur, et sur
le mur qui le surplombait une vieille affiche russe.
On aurait dit une chambre
d’étudiant. Alex songea que même la sienne était moins pagaille.
« C’était ce que tu voulais
voir ? » s’amusa Gregorovich « tu sais, ton père a contribué à
la décoration. »
« Il est venu
ici ? »
« Plusieurs fois. Il
m’apportait des livres d’angleterre. »
« Qu’est-ce qu’il
représentait pour vous ? Vous n’avez simplement dit que vous aviez
travaillé ensemble. »
Gregorovich laissa planer un
silence, puis s’approcha de l’ordinateur et repoussa l’écran, dévoilant une
petite boîte aux gonds rouillés.
« Viens t’asseoir, je vais te
montrer. »
Alex s’installa sur le lit et
tendit les mains pour avoir la boîte. Elle était pleine de photos.
« Tu le sais sans doute, mais
ton père était militaire. Il a été mon instructeur. »
« Il… vous a appris à
tuer ? » demanda Alex, la gorge nouée, recevant un sourire indulgent.
« Tuer, Alex, c’est d’abord
savoir survivre. C’est la base. »
« Vous cherchez à faire
quoi ? Trouver des excuses ? »
« Je ne vois pas pourquoi.
Alex, c’est important que tu le comprennes : tuer est un acte moralement
horrible, mais dans la logique de notre société actuelle. Les meurtres modèlent
souvent l’histoire. Pas de la meilleure façon, je te l’accorde…
Mais si tu veux entendre une
excuse… »
Gregorovich s’installa à son tour,
les mains croisées.
« Connais-tu l’histoire de la
Russie ? »
« Un peu. J’ai étudié la guerre
froide. »
« Alors tu dois savoir que la
chute communiste est plutôt récente. J’étais un peu plus âgé que toi lorsque le
mur de Berlin est tombé et en même temps que lui le futur de centaines
d’enfants russes : plus de travail, plus d’études, plus de pays. J’ai vu
l’histoire hacher mon futur sans rien pouvoir y faire. »
Alex baissa la tête. Sarov lui
avait tenu le même discours à Skeleton Key… Combien de gens comme lui ou Gregorovich
avaient leur revanche à prendre ?
« J’ai voulu faire partie de
ceux qui changent l’histoire, pas ceux qui la subissent. En bien, en mal… c’est
subjectif. Sans l’holocauste nazi, jamais l’Europe n’aurait pris de mesures
contre les discriminations. Sans la débâcle du Vietnam, l’opinion américaine
serait restée amorphe… l’histoire regorge d’exemples. »
« Avec Sayle, vous vous
apprêtiez à assassiner des centaines de millions d’écoliers ! Là aussi,
c’aurait été un bien ? »
« Cela aurait pu alerter
l’opinion publique sur les bizutages dans les grandes écoles, sur
l’incompétence de leur gouvernement… je ne veux pas que tu pardonnes, Alex,
juste que tu comprennes. »
Il lui désigna une photo ou un bel
homme en costume militaire serrait la main d’un politicien.
« Ton père voulait changer
l’histoire… comme tu le fait. Nous ne voulons pas être des pions. »
Alex contempla le sourire de John
Rider et sentit qu’une boule se formait dans sa gorge. Lorsque Gregorovich lui
posa une main sur l’épaule, il céda et se mit à pleurer.
****
« J’ai
pris quelque chose de chaud. »
Yassen
posa le bol devant Alex et lui servit une tasse de café.
« Tu
te sens mieux ? » s’enquit-il.
« J’ai
vu pire. »
« Je
sais. »
Le
russe s’assit à son tour.
« J’aurais
préféré t’expliquer des choses plus réjouissantes. »
« Comment
mon père vous a-t-il sauvé la vie ? »
Alex
avait encor les yeux rougis mais il avait reprit contenance. Yassen avala
quelques bouchées avant de répondre :
« Nous
étions en amazonie. J’ai failli être attaqué par une veuve noire mais je ne
voulais pas qu’il intervienne car il risquait de faire échouer toute
l’opération. »
« Et ? »
« Il
a abattu l’araignée et la cible d’un seul coup. En revanche, il s’en est voulu
pour la cicatrice. »
Le
russe sourit
« Il
n’aimait pas l’idée de n’avoir pas fait les choses parfaitement, je
crois. »
Le
portable posé sur la table, se mit alors à sonner. Il y eut un silence, puis Gregorovich
le prit lentement et décrocha. Ses yeux glace perdirent instantanément toute
leur chaleur : il avait posé un masque sur son visage.
Il
parla en russe pendant quelques secondes, puis reposa l’appareil.
« Je
vais devoir te laisser seul demain. »
« Où
allez-vous ? »
« A
l’ambassade américaine. J’en aurais probablement pour la matinée. »
Vous
en profitez pour faire mon passeport ? » Ironisa Alex.
« Et
te rapporter d’autres bouteilles de vodka. Pas trop mal à la tête, à ce
sujet ? »
Alex
fronça le nez, vexé.
« Vous
allez encore… »
« C’est
une mission d’infiltration. Je dois simplement récupérer des documents. »
« En
tirant sur ceux qui s’y opposeront ? »
« Dans
ce milieu, le dialogue n’est pas très utile, Alex, termine ton bol, ton
organisme est déjà affaibli par le changement climatique, inutile de
l’affamer. »
« Je
ne me sens pas faible. »
« Tu
n’as pas encore subi le contrecoup. D’ici une heure, tu t’écrouleras de
fatigue. Une douche serait la bienvenue je pense. Sans vouloir paraître
méprisant, j’ai senti des uniformes militaires qui avaient moins d’odeur que
toi. »
« Désolé
que l’eau froide n’ait pas des relents de violette. »
Gregorovich
se leva et écarta à nouveau le rideau.
« Le
bac est à droite. Plie tes vêtements sous la table s’il te plaît. »
Il
commença à se déshabiller à son tour et Alex le fixa, réalisant ce que ça
impliquait.
« Attendez…
vous allez la prendre avec moi ? »
« Il
faudra une journée entière pour chauffer suffisamment d’eau une fois que tu te
seras lavé. Je n’ai pas l’intention de rester sale, tu sais. »
« Pourquoi,
les gardes de l’ambassade pourraient vous suivre à l’odeur ? »
« Alex. »
La
voix du tueur était restée calme, posée, très douce… mais laissait filtrer une
once de menace.
« Tu
aimes que les choses soient claires, je serais donc limpide : ou bien tu
te rends sous la douche pour profiter d’une eau chaude –avec moi- ou bien je te
traîne sous le jet d’eau froide et je t’y laisse jusqu'à ce que tu ne sentes
plus le bout de ton nez. Je tolère ta colère, ta tristesse, pas tes caprices.
Tu as dix secondes. »
Alex
hésita mais il savait que le russe mettrait sa menace à exécution. Il ôta donc
le pull, le pantalon et le slip.
« Suis-moi. »
Il
traversa la chambre et tira un deuxième rideau, près du lit. La salle de bain
ressemblait davantage à une colonne creuse, uniquement occupée par la douche,
sans carrelage, sans fenêtre… juste un mur de brique rouge qui s’enfonçait vers
le ciel.
« C’est
une ancienne cheminée. »
« C’est
trop étroit pour nous deux. » constata Alex en jetant un œil au corps sec
et nerveux du russe.
« Colle-toi
au mur. Nous y arrivions avec Hunter. »
« Je
vous savais pas contorsionniste. »
Yassen
le poussa à l’intérieur du conduit et alluma l’eau chaude. Alex émit un soupir…
il en avait vraiment besoin.
Gregorovich
lui tendit un bout de savon qui tenait dans son poing. Il était si proche
qu’Alex devinait son souffle sur ses cheveux. Il frissonna mais prit le savon
avant de se frotter les épaules et le torse.
« Je
n’arrive pas à me tourner. » signala-t-il finalement en se penchant pour
passer sur les cuisses.
« Je
peux te frotter derrière. Fais doucement Alex, tu as encore une vilaine
cicatrice… un cadeau de Cray je présume ? »
« Vous
présumez bien. » rétorqua Alex en rendant le bout de savon au russe.
« Je
vais faire en douceur. Je ne veux pas devoir t’aliter pour le voyage. »
Yassen
passa les doigts sur les omoplates, puis le creux du dos d’Alex. La petite
cicatrice, encore rose, courait sur son flanc.
« J’aurais
dû tuer ce porc quand j’en ai eu l’occasion. » Fit le russe en frôlant les
bords de la plaie.
Alex
frémit. A part Jack, peu d’adultes s’étaient inquiétés de le voir aussi abîmé…
mais la voix de Yassen contenait de la colère.
« Pardon
Alex. Tu n’aimes pas que je parle de ça. »
« Pas
vraiment. »
« Tu
as d’autres cicatrices, je vois. »
Alex
haussa les épaules.
« Ce
sera pas les dernières. »
« Je
veillerais à ce que ça le soit. Jamais je n’aurais dû laisser Sayle et Cray te
malmener. »
Il
termina le bas du dos et Alex se tendit en le sentant toucher ses fesses. Bien
sûr, il n’avait jamais aimé qu’on le touche… mais la, c’était différent, comme
une sorte de malaise. Yassen parut s’en apercevoir car il cessa aussitôt pour
se laver à son tour.
« Je
te fais peur ? »
« Non. »
« Je
te dégoûte alors ? »
« Non
plus. »
« Ma
proximité te gène. »
« Je
suis pudique, c’est tout. »
« C’est
les filles qui le sont. »
« J’en
sais rien mais moi la douche pressé contre vous, j’aime pas ça ! »
Yassen
se colla à son tour contre le conduit pour le laisser passer, conscient qu’il
ne faisait qu’éloigner le garçon de lui en le forçant à la promiscuité.
Alex
passa en trombe, les joues rougies. Gregorovich sourit mais ne fit aucun
commentaire.
****
Yassen
était parti vers deux heures du matin et avait laissé une note griffonnée sur
la table.
« Je
serais de retour avant midi. »
La
belle affaire… Alex serait bien sorti prendre l’air mais il ne se donnait pas
deux minutes avant de se perdre au cœur de Moscou… ses affaires avaient prit
l’eau, difficile de jouer à une console devenue aquatique. Son livre n’était
pas en meilleur état…
Restait
les photos.
Gregorovich
ne les lui avait pas toutes montrées, mais avait laissé la boîte à sa
disposition. Alex avait à nouveau la gorge nouée en l’ouvrant, le visage
souriant de son père lui renvoyant la scène d’hier en pleine face.
Il
avait vraiment du mal à croire que cet homme propre sur lui ait pu abattre des
gens… ait pu sciemment braquer une arme sur eux, ait pu appuyer sur la
gâchette, enfoncer la lame… une vague de nausée lui remonta dans la gorge mais
il la contint. Revoir ces photos n’arrangeait rien, décidément… autant les
remettre à leur place…
Il
s’agenouilla devant l’ordinateur et repoussa l’écran pour ranger la boîte, et
remarqua alors quelque chose fixé au câble… comme une feuille de papier
enroulée.
Bien
sûr, fouiner dans les secrets de Gregorovich ne pouvait que lui apporter des
ennuis… mais si près des photos de son père… peut-être cela avait-il un
lien ?
Non.
Il
valait mieux éviter. Certaines choses étaient plus tranquillisantes cachées,
Alex en avait suffisamment fait l’expérience. Et il n’avait plus envie d’en
apprendre plus sur ton père maintenant. Encore moins dans cet appartement.
Il
regagna le lit et prit un livre au hasard. Ecrit en russe. Dépité, il en essaya
un autre, qui se trouva être en anglais, mais dont il ne put lire plus de dix
lignes. La feuille derrière l’écran l’obsédait. Un coup d’œil à la pendule lui
apprit qu’il était onze heures mois cinq. Yassen lui avait assuré qu’il serait
là à midi… le mieux serait de lui demander… au moins pour voir sa réaction, si
jamais il en avait une. Onze heures pile… Alex reposa le livre, renonçant à
relire la même phrase une dixième fois. Inconsciemment, son regard se posa à
nouveau sur l’écran de l’ordinateur…
Gregorovich
allait être furieux, tant pis.
Alex
retourna dans la cuisine et prit un petit couteau émoussé, qu’il enroula dans
son mouchoir, à peu près sec : la feuille autour du câble était mince, il
risquait e l’entamer sans aucune barrière avec le couteau.
S’agenouillant
à nouveau devant la machine, il fit complètement pivoter l’écran et examina
l’attache de la feuille. Un morceau de scotch pour la tenir attachée et une
ficelle qui la maintenait contre le câble qu’Alex débrancha avant de le poser
sur ses genoux. S’il n’avait pas quasiment collé son nez derrière l’écran,
jamais il ne l’aurait remarquée… elle semblait faire partie du câble.
Tirant
la langue, Alex commença à attaquer la corde, prudemment, pour ne pas entailler
l’objet de sa convoitise. Elle céda rapidement. Restait le scotch. Alex incisa
lentement dans le sens de la largeur mais grimaça lorsque la lame s’enfonça
dans le papier.
Reposant
le couteau, il déplia la feuille avec soin et s’aperçut qu’il s’agissait d’une
autre photo. Mais elle avait de bonnes raisons d’être cachée…
Alex
savait que certains hommes n’aimaient pas les femmes. Ça ne l’avait jamais
dérangé, du moins dans la théorie… sur la photo, deux hommes étaient enlacés.
L’un
d’eux était Yassen Gregorovich.
L’autre,
blond et souriant, lui touchait la nuque. Alex avait du mal à le regarder en
face.
Il
n’avait pas saisi l’ambiguïté de ces paroles.
Et je t’aime aussi…
Cette
fois, il devint écarlate et se remémora la douche de la veille… il comprenait
mieux son malaise, tout à coup !
Il
resta ainsi, comme hébété, pendant plusieurs minutes, les yeux rivés sur la
photographie. Yassen et son père étaient nus, le russe avait le visage à demi
enfoui dans le visage de John Rider, avec une expression qu’Alex ne lui avait
jamais vu…
Sauf…
Avec
lui.
Yassen
disait la vérité dans l’avion de Cray. Mais Alex ne se sentait certainement pas
prêt à vivre ça. Des que le russe rentrerait, il exigerait d’être renvoyé à Londres.
Alors
qu’il retournait ces pensées, la pendule sonna midi.
Ou
était passé Gregorovich ? Sans le connaître vraiment, Alex se doutait
qu’il devait être ponctuel…
Mais
son métier pouvait avoir des imprévus… de graves imprévus. Soudain inquiet,
Alex alla se poster près de l’entrée. Il y resta une heure sans que Gregorovich
ne se manifeste.
Il
lui était arrivé quelque chose… il avait été pris. Qu’avait-il dit déjà ?
Où devait-il aller ? Alex se repassa leur conversation de la veille dans
la tête, tendu : à l’ambassade américaine.
Encore
fallait-il la trouver.
****
Alex
avait les oreilles et le nez gelés lorsqu’il trouva enfin l’ambassade. Une
carte dénichée dans la bibliothèque mêlée à son anglais à demi compris par les
habitants moscovites lui avaient fait perdre plus d’une heure avant d’arriver
sur les lieux. Tout était calme, rien ne semblait indiquer une bagarre ou une
poursuite. Les gardes semblaient s’ennuyer ferme. Alex s’avança l’air
hagard :
« Speak
english ? »
Le
garde considéra cet enfant, apparemment perdu et se pencha :
« Je
peux t’aider ? »
« J’étais
avec mes parents pour une visite guidée… je les ai perdus. »
Il
renifla
« Personne
m’a réclamé ? »
« Tu
es anglais ? »
Alex
hocha la tête, souriant avec confiance.
« Je
suis désolé, petit, mais tu es à l’ambassade américaine, ici. »
« Quoi ?
Mais… vous pouvez pas m’aider ? »
Les
deux gardes échangèrent un regard.
« Tu
as des papiers ? »
Alex
prit sa carte d’identité- plastifiée - et la tendit. Le garde qui lui parlait
la parcourut rapidement.
« Écoute,
on peut te recevoir ici… tu appelleras l’ambassade de Grande-bretagne et tout
rentrera dans l’ordre, d’accord ? »
Alex
approuva à nouveau en reniflant, avant de se laisser conduire à l’intérieur. Il
jeta discrètement quelques regards aux jardins mais rien ne lui indiqua la
présence de Yassen.
On
le fit asseoir sur un sofa.
« Attends
là. »
Alex
fit un sourire reconnaissant au garde. Dés que celui-ci eut tourné l’angle, il
vérifia qu’il avait bien gardé le couteau et le reste de la bouteille de vodka
que Gregorovich lui avait fait boire, puis il s’enfonça dans le couloir à sa
gauche.
Il
passa plusieurs portes et entendit des murmures derrière l’une d’elle.
« Vous
ferez parvenir cette note… »
Discussion
administrative. Aucun intérêt. Alex reprit sa marche, guettant d’autres
murmures.
« Qu’est-ce
que tu fiches là ? »
Alex
réprima une grimace. Un autre garde…
« Je
cherche le bureau de mon père : il m’a appelé pour que je lui amènes une
note importante. »
L’homme
lui jeta un regard soupçonneux et Alex fit une mine déconfite :
« Dites
vous pourriez pas me montrer son bureau ? Ma mère va pas me rater si je
dérange tout le monde pour le voir… »
« Tu
va m’accompagner, je vais vérifier ton identité d’abord. Comment s’appelle ton
père ? »
Zut.
Si jamais le garde vérifiait ses papiers, il comprendrait tout de suite la
supercherie… pire, il alerterait le MI6, qui viendrait aussitôt le récupérer…
et voudrait savoir ce qu’il faisait à Moscou.
Alex
jeta des regards désespérés autour de lui, mais à part le couloir d’où il
venait, il n’y avait aucune issue. Un placard à sa droite, les toilettes à sa
gauche.
« Allez,
viens… »
Plus
le temps… en examinant rapidement les toilettes, Alex avait eu une idée :
il ne pourrait assommer l’homme que si celui-ci baissait sa garde.
Il
s’accroupit brusquement et saisit la bombe désodorisante avant de l’ouvrir.
« Mais
qu’est-ce que… »
Se
redressant d’un seul coup, comme projeté en avant, Alex vaporisa un jet en
pleine figure du garde. Une épouvantable odeur de violette tout droit sortie
d’un Tchernobyl floral envahit le couloir, en même temps que les hurlements du
garde, plié en deux. C’était tout ce qu’attendait Alex. Il pivota sur lui-même
et asséna à l’homme un coup de pied derrière l’oreille.
Un
de moins… mais on n’allait pas tarder à s’enquérir du bruit et de l’odeur… Alex
traversa donc le couloir en courant, jusqu'à un croisement. A sa gauche, une
secrétaire plongée dans ses papiers, qui venait dans sa direction, à sa droite,
un chariot recouvert par une longue nappe blanche.
Pas
besoin de réfléchir longtemps : Alex plongea sous la nappe, repoussa les
assiettes et se recroquevilla au dernière niveau du chariot, tendant l’oreille,
le nez chatouillé par les fourche en argent.
Il
entendit le claquement des talons aiguilles de la secrétaire se rapprocher,
puis le dépasser. Mieux valait attendre qu’ils se soient complètement éteints
pour sortir…
« Monsieur
Starley ! » Cria une voix aigrelette « L’ambassadeur attend son
café, comment expliquez-vous qu’il soit au beau milieu du couloir ? »
Alex
se recroquevilla davantage. Le café en question, c’était lui. Mais le
piaillement avait évoqué l’ambassadeur… si quelqu’un savait ce qu’était devenu Gregorovich,
c’était bien lui.
Pourvu
surtout que personne n’ait l’idée de soulever la nappe… il n’avait aucune envie
de devoir justifier sa présence, langoureusement collé au service d’argenterie.
« On
y va, on y va... » Grommela une voix masculine alors que le chariot
s’ébranlait. Alex craignait que les assiettes qu’il avait repoussé ne glissent,
le trahissant, et dut les maintenir droites, rendant sa position plus
inconfortable encore. A chaque cahot il avait l’impression que ses bras
allaient se disloquer. Encore quelques minutes, et il allait être le parfait
jumeau de Conrad en sortant de là-dessous.
Il
allait demander grâce lorsqu’après un dernier soubresaut, le chariot
s’immobilisa.
« Le
café. »
« Ha
enfin ! Mon cher, je suis désolé pour l’attente... comment aimez-vous
votre café ? »
« Noir,
sans sucre. »
Alex
sentit une décharge lui descendre dans l’échine. C’était la voix de Gregorovich.
Il
y eut un cliquetis de porcelaine et un bruit d’eau… puis le dénommé Starley
demanda à se retirer, autorisation que lui donna l’ambassadeur, avant de
s’exclamer :
« Décidément,
ce pauvre garçon n’a pas la tête sur ces épaules ! Il n’a même pas sorti
les couverts pour le dessert et le café ! Mon ami,
pourriez-vous ? »
« Bien
sûr. »
Alex
se mordit la langue. Les couverts étaient devant son nez... la nappe fut à demi
rabattue et le visage de Gregorovich apparut. Il resta un instant immobile,
puis son regard se durcit et sa mâchoire se crispa. Alex aurait voulu éviter
ses yeux mais dans sa position, tourner la tête relevait du miracle.
Yassen
lui indiqua les cuillers, qu’Alex lui tendit. Le russe ne dit pas un mot mais
son expression était suffisamment éloquente.
« Un
problème ? Vous semblez troublé ? »
« Un
peu fatigué, rien de grave… »
« Je
sais, vous aviez décliné mon invitation à dîner… mais que voulez-vous, c’est
nous qui inventons le protocole, il faut bien le respecter… »
L’ambassadeur
se mit à rire. Alex ne sentait plus ses jambes de son coté et essaya d’arranger
sa position en bougeant les épaules, récoltant un coup de pied sous la nappe. Gregorovich
n’avait pas tapé fort : c’était une sommation.
Plusieurs
minutes s’écoulèrent ainsi, dans le silence, jusqu'à ce que la porte s’ouvre
brutalement.
« Monsieur
l’ambassadeur ! »
« Mais
que… l’armée ne vous apprend pas à frapper aux portes ? »
« Désolé
mais il s’agit d’une situation d’urgence : un garde a été
agressé ! »
« Agressé ? »
« Par
un enfant… nous pensons à un porteur de bombes. Il a abusé les gardes à
l’entrée et en a assommé un troisième avant de fuir dans les couloirs. Il faut
évacuer.
Alex
pouvait deviner le regard de Gregorovich au travers de la nappe. Quel imbécile
il était… et en prime, les gardes allaient faire évacuer l’ambassade avant de
lui mettre le grappin dessus…Yassen ne pouvait pas le sortir de là.
« Par
ici… »
Apparemment,
le militaire les accompagnait à l’extérieur. Ça laissait à Alex un peu de
répit… il roula hors de sa cachette et se redressa promptement.
Sans
tarder, il testa les fenêtres. Scellées. Quant aux carreaux il n’aurait pas
passé le bras à l’intérieur. Les gardes connaissaient son signalement, inutile
d’espérer se mêler au flot des employés…
Alex
examina le bureau de l’ambassadeur… un presse-papier, une pléthore de documents
un piano, une collection de coupe-papier… et un bar. Il reporta son regard sur
le chariot et la nappe…
****
« Tout
le monde est sorti ? »
« Oui,
je les ai contrôlés. »
Les
gardes se tenaient à l’entrée de l’ambassade.
« C’est
pas un peu exagéré pour un gosse ? »
« Le
gosse a assommé Johnson quand il a voulu contrôler son identité. Les russes
sont assez tarés pour en avoir fait un kamikaze. »
« On
va pas le tuer, quand même ! »
« Pas
s’il ne nous y oblige pas… »
« C’est
un gosse ! Tu crois quoi ? Qu’il planque un Beretta dans ses
malabars ?
« On
est en train de vérifier son identité… fait reculer les civils derrière les
grilles de l’ambassade… j’envoie une première équipe… »
À
peine finissait-il sa phrase qu’une première explosion retentit dans le
bâtiment.
La
seconde se produisit moins d’une minute plus tard.
« Nom
de dieu ! »
****
Alex avait disposé les bouteilles
dans toute l’ambassade, un morceau de nappe imbibé enfoncé dans le goulot de
chacune. Il espérait sincèrement ne pas devoir toute les enflammer pour
dissuader les gardes de rentrer…à la troisième explosion, il les vit reculer
derrière les grilles. Ils abandonnaient.
Restait à trouver une issue pour
sortir sans se faire remarquer… Alex examinait chaque bureau mais ne trouvait
que des fenêtres similaires à celles de l’ambassadeur. L’odeur acre de la fumée
commençait à emplir ses poumons lorsqu’il songea que la cuisine avait sûrement
une porte de service…courant dans le couloir, il s’arrêta devant le plan de
secours, qui l'informa qu’il n’y avait que deux issues : la porte
principale et celle des cuisines.
Les cuisines qui se trouvaient
derrière lui, déjà embrasées. Alex se tourna pour voir les murs blancs prendre
peu à peu une teinte noirâtre et se maudit intérieurement : il avait voulu
agir trop vite et il se retrouvait coincé…
Une quatrième bouteille s’enflamma
alors et projeta Alex contre le mur, l’étourdissant. Il suffoquait déjà lorsque
les fenêtres au dessus de lui explosèrent sous une rafale de balle, le criblant
d’éclat de verres.
Une silhouette franchit
l’encadrement et deux mains le saisirent sous les genoux et à la nuque.
« Yassen… »
« Tu as le diable au corps.
Et il a bien failli te rattraper. » Fit le russe en calant Alex dans le
creux de ses bras. « Mais n’espère pas mon indulgence pour la peur que tu
viens d’avoir. »
Souplement, il enjamba de nouveau
la fenêtre fracassée, que les flammes commençaient à lécher.
****
« Débarbouille-toi. »
Yassen avait posé un linge et une
bassine d’eau froide devant Alex. Ses yeux ne cessaient plus de le fixer, mais
ils étaient son seul signe apparent de colère. Il croisa les bras, toisant
Alex :
« Je t’écoute. »
« Je… vous aviez du retard.
Je me suis inquiété, j’ai pensé que ça avait mal tourné. Alors j’ai cherché
l’ambassade… et j’ai fait croire que j’étais un touriste perdu… comme j’avais
encore ma carte d’identité… »
« Donc ils savent qui tu es.
Parfait. »
La voix avait claqué.
« Et le garde ? »
« Je… je l’ai aveuglé et
assommé avec un mawashigiri. »
« Quant aux bombes je suppose
qu’il s’agissait de cocktail molotovs ? Tu as utilisé le bar de
l’ambassadeur ? »
« Oui. »
« De mieux en mieux. Tu as
détruit l’ambassade américaine et fait croire à une attaque terroriste. J’ai
été retenu auprès de l’ambassadeur, après m’être fait passer pour un diplomate…
tu as failli me compromettre. Et je ne parle pas du capharnaüm politique et
diplomatique que tu as déclenché. Le MI6 va te remettre les idées en place,
crois-moi. »
Yassen se pencha et le saisit par
l’arrière de son pull.
« Mais ce n’est rien comparé
à ce que je vais faire. »
« Ce serait possible que vous
me descendiez à la place ? »
Alex regretta aussitôt d’avoir
fait de l’humour. Gregorovich le traîna jusqu'à la cheminée et le poussa dans
le conduit.
« Rassure-toi, je ne vais pas
te frapper. Je méprise la violence sur des enfants et ce serait une punition de
faible. »
« Dites… j’ai quand même fait
ça pour vous ! »
« Sinon je t’aurais renvoyé
au mi6 en te faisant enfermer dans une cale d’avion. »
Gregorovich s’accroupit quelques
secondes mais Alex ne vit pas pourquoi… pas tout de suite du moins. Le russe
alluma ensuite le pommeau de douche, déversant une eau glaciale dans tout le
conduit.
« Vous… vous avez bouché
l’évacuation ? » demanda Alex d’une voix blanche.
« Je te l’ai dit, ceci est
une ancienne cheminée, tu ne risques pas de te noyer. En revanche, lorsque tu
seras trempés jusqu’aux os et à une hauteur raisonnable dans le conduit, ce que
j’ai mis dans le conduit devrait céder. »
« Mais… vous allez inonder
l’appartement ? »
« J’en doute. J’ai gardé
l’ancienne condamnation du conduit. Vois-tu, il s’agit d’une issue si jamais
quelqu’un pénètre ici et tente de me suivre. »
Il indiqua l’un des pans de mur,
plus sombre que les autres.
« Étanche et à l’épreuve des
balles. Je t’ai dis que la Russie est un pays troublé, Alex : tout le
monde fuit tout le monde. Ho, c’est une vieille porte, je pense que l’eau fuira
bien un peu… »
« V… vous allez me laisser
toute la nuit là-dedans ? »
« Je t’y laisserais le temps
que tu regrettes. »
« Heu… je regrette
déjà. »
Gregorovich eut un semblant de
sourire.
« Bien essayé. »
Puis il fit glisser la porte de
métal rouillée, plongeant Alex dans l’obscurité. L’eau montait lentement, mais
il ne tarda pas à avoir les pieds immergés.
Tu ne peux pas te noyer…
Alex se renfonça dans un coin du
conduit : hormis un rhume, il voyait mal ce qu’il risquait, effectivement.
Il avait du mal à voir la punition dans cette douche forcée, et il était sûr
que la porte ou la bonde ne tiendraient pas. Il tenta de protéger ses épaules
mais en vain…Lorsque l’eau lui arriva au genou, il grelottait…
Il n’y avait rien dans cette
cellule qui puisse le faire penser à autre chose…rien d’autre que ces murs de
brique nus et rouge vif. Alex éternua et renifla : il ne s’en était pas
aperçu lors de sa première douche, mais un petit vent insidieux se glissait en
haut du conduit, jusqu’à ses os trempés. Il leva la tête jusqu’au pâle carré de
lumière qui se détachait au-dessus de sa tête, mais y renonça rapidement :
lorsqu’il ne regardait pas l’eau, il avait l’impression d’être aspiré par une
chape froide. Il tenta de bouger un peu pour juguler la sensation de froid mais
il peinait à étendre les bras sans que ses mains ne heurtent le mur. Ses yeux
s’habituaient à peine à la semi obscurité.
A nouveau, il leva les yeux vers
la lumière alors que l’eau lui frôlait la taille. Un court, instant, il regarda
la porte, parfaitement close, essayant de deviner la présence de Yassen
derrière le métal, mais l’eau couvrait tous les sons, devenant même assourdissante.
Lorsque la morsure glacé passa son torse, Alex eut l’impression d’avoir du mal
à respirer. Il bougea plus vigoureusement et son dos heurta les briques alors
qu’il tentait d’étirer ses muscles. Tournant la tête autour de lui, dans un
réflexe, il eut l’impression que les murs s’étaient resserrés…Cette fois il en
était certain, sa respiration était devenue pesante, presque douloureuse.
Les briques autour de lui étaient
disjointes, peut-être pourrait-il escalader…Le conduit n’était pas si haut…il
devait escalader, avant que l’eau ne l’immobilise complètement. Si jamais il
n’arrivait pas à surnager, il coulerait comme une pierre…l’eau qui
s’engouffrait dans ses poumons, qui faisait exploser son cœur. Alex tendit le
bras vers la paroi face à lui…
Ce simple mouvement lui parut
surhumain. Sa main retomba, laissant une traînée humide sur la brique : il
ne sentait plus ses jambes et il avait la nette impression de suffoquer alors
que le froid gagnait sa gorge et le bruit de l’eau lui tambourinait aux oreilles.
A moins que ce ne fut les battements désordonnés de son cœur. A nouveau, son
regard se posa sur la porte…
« Yassen ? »
Il lutta contre l’eau jusqu’à la
porte, tandis qu’elle lui frôlait la taille, intensifiant le froid et couvrant
son corps de chair de poule jusqu’à la gorge.
« Yassen, vous êtes
là ? »
Pas de réponse. Le russe avait
très bien pu retourner au salon, ou pire, être sorti sans se soucier de
lui…Cette idée commença à rendre Alex nerveux…il pouvait très bien rester là
des heures, voire la journée et la nuit. D’ailleurs, qui pouvait l’entendre
derrière une telle épaisseur de métal ?
« YASSEN !!! »
Cria-t-il de toute la force de ses poumons, alors qu’un filet d’eau
s’engouffrait dans sa bouche.
Il frappa, la force de ses coups
atténués par l’eau : la chape froide et le silence l’engloutissait soudain
plus vite. Il sentait déjà ses jambes le trahir et ses bras battre
douloureusement contre le poids glacé qui pesait sur son torse.
« YASSEN !!!!! »
Les larmes roulaient sur sa joue
alors qu’il se cramponnait à la partie émergée de la porte, hurlant contre le
chambranle, s’écorchant les doigts contre la rouille du métal, sanglotant de
manière convulsive.
« YASSEN !!! SORTEZ-MOI
DE LA !!!!!! »
L’eau s’engouffra dans sa nuque,
coulant le long de son dos, le paralysant quelques secondes.
« ARRETEZ CA !!!!
YASSEN, YASSEN !!!!!! »
Ses poings saignaient et sa voix
était cassée par la panique, mais il avait la certitude que Gregorovich ne
l’entendait pas…Il avala une autre goulée d’air et se laissa retomber dans
l’eau.
Il entendit alors la voix calme du
russe.
« Sous la porte. »
Alex baissa les yeux et vit un
couteau à ses pieds. Il retint son souffle et s’immergea. Le froid le paralysa
un instant, mais il s’obligea à rester alerte.
Ce qui bouchait la bonde ne résista
pas au couteau, à la surprise d’Alex.
Gregorovich s’était moqué de
lui : le morceau de plâtre qu’il tenait à la main avait commencé à
s’effriter et n’aurait pas résisté longtemps à la pression de l’eau. Au pire,
le niveau aurait atteint sa gorge avant de s’évacuer.
Sarov avait utilisé la même
méthode : lui faire croire à un châtiment douloureux pour lui inspirer la
peur avant de se rétracter.
Alex eut un regard hébété sur
Gregorovich alors que ce dernier ouvrait la porte, mais ne vit pas de mépris dans
son expression :
« Maintenant, je sais que tu
regrettes. »
En douceur, il l’attrapa au bras
et le fit lever.
« Souvent, l’attente de la
douleur est pire que la douleur en elle-même. Je savais que tu aurais
peur : lorsque tu n’es pas en mission, tu redeviens un enfant, sans quoi
tu aurais compris que je ne pouvais pas être sérieux. »
Alex eut un sursaut et frappa
Yassen au visage. Le russe encaissa le coup.
« Vous êtes
malade ! »
« Je n’ai pas fait brûler
d’ambassade. J’avais tout préparé pour qu’il n’y ait pas d’effusion de sang
mais à cause de toi, j’ai du utiliser mes armes. Imagine que les gardes aient
ouvert le feu sur toi. »
Il y eut un silence. Yassen
s’agenouilla devant Alex et écarta une mèche trempée de son front.
« Alex…entre deux actions insensées,
est-ce que tu penses à ceux qui t’aiment ? Tu imagines ce que j’ai pu
ressentir en voyant l’ambassade s’embraser ? C’est la pire des peurs et tu
le sais. C’est immature et prétentieux de l’infliger aux autres, surtout quand
rien ne t’y oblige. »
« Je m’inquiétais. »
« Je suis un professionnel et
– aussi doué sois-tu – tu n’as pas mon niveau de compétence. Si j’échoue, tu
échoueras aussi. »
« On ne se méfie jamais de
moi. » Se défendit Alex.
« Ce n’est pas toujours
suffisant. »
Gregorovich se redressa.
« Allons. Je t’ai préparé
quelque chose de chaud…et nous parlerons de la photo. »
Alex se raidit, puis rougit et
baissa les yeux.
« Je me doutais que tu
fouillerais. Tu ne résistes pas à ce genre de tentation. »
Le russe eut un semblant de
sourire en emmenant Alex dans la chambre, l’aidant à ôter ses vêtements
trempés.
« Je pense aussi que tu t’es
fait de drôles idées sur mon compte. »
« Mon père était
marié. » Grommela Alex.
« Je suis au courant. »
« Et vous avez l’air d’adorer
me déshabiller. »
« Tu es trop transi pour le
faire. »
« Et vous m’avez regardé sous
la douche. »
« Ce n’est pas moi qui en
suis sorti comme un chat échaudé, que je sache. De toute manière, tu es
trop jeune pour que je te fasse quoi que ce soit. »
Il tapota la tête d’Alex avec un
sourire qui faisait apparaître une fossette au coin de sa joue.
« Mais si je te mets mal à
l’aise, je te laisse te changer tranquille. Il y a du café chaud dans la
cuisine. »
****
Emmitouflé dans une épaisse
couverture, Alex sirotait son café au lait en silence. Le léger sourire de
Yassen l’agaçait.
« Vous allez repartir en
mission ? » Finit-il par grogner.
« Pas dans l’immédiat. »
« Dommage. »
« Tu projetais de brûler
autre chose ? »
Alex se renfrogna davantage.
« Veux-tu en savoir plus sur
ma relation avec ton père ou comptes-tu bouder comme un petit bourgeois qui n’a
pas touché son argent de poche ? »
« Faites comme vous voulez.»
« Ton père n’a pas trahi ta
mère. »
« C’est marrant, moi j’ai
entendu le terme « cocu » pour désigner ce genre de chose. »
« Appelle-le comme tu veux,
peu importe. Tu sais de quelle manière peut se subir une double vie : des
amis différents, un environnement différent…et des relations amoureuses
différentes. John aimait sa vie de famille, il adorait ta mère. Il m’aimait
aussi et j’ai toujours respecté sa femme. »
« Drôle de façon de le
montrer. »
« Oh, je pense que ta mère se
doutait de quelque chose à notre sujet : officiellement j’étais l’ami de
la famille. »
« Super. Y’a 48 heures,
j’étais juste le fils d’un tueur reconnu et vous venez de m’apprendre que je
suis aussi un croisement entre un mari adultère et sa femme heureuse de
l’être. »
« Cesse de faire ta mauvaise
tête, Alex. »
« Vrai que j’ai aucune raison
de la faire. Vous comptiez me convertir aussi ? »
« Je ne touche pas les bébés,
je te l’ai dit. »
« Les bébés ? »
Alex fronça le nez, vexé.
« Oh je t’en prie, Alex…Tu es
à l’âge où tu commences à peine à comprendre que les filles peuvent être
embrassées. »
« Vous avez raison. Je vais
attendre d’être marié. » Persifla Alex.
« Excellente idée. Tu as
quelqu’un en tête ? Peut-être cette jeune française ? »
Il y eut un silence, puis
Gregorovich soupira.
« Je crains que ce ne soit
peine perdue, Alex. »
C’était la première fois qu’il
paraissait réellement triste.
« Je ne m’attendais pas à ce
que tout se passe parfaitement bien entre nous. Mais si je suis le seul à faire
un effort, inutile de continuer. Je vais tâcher de te faire rentrer à Londres
le plus vite possible. »
Alex se mordit la lèvre. Il avait
raison…Gregorovich s’inquiétait sincèrement pour lui et faisait de son mieux pour
le mettre à l’aise.
« Ca…Ca va peut-être être
long pour me faire rentrer. »
« Peut-être, oui. »
Yassen fixait Alex à présent,
attendant patiemment que celui-ci se décide.
« Je n’ai jamais visité
Moscou. »
La fossette réapparut au coin de
la bouche de Gregorovich.
« Je vais réparer cette
erreur, si tu es d’accord. Mais attention, Alex : si tu te fais à nouveau
remarquer… »
« La douche ? »
« La douche. »
« J’avais compris. »
****
La momie de Lénine était nappée
d’un voile de lumière crue, irréelle, qui donnait au mausolée une ambiance
presque apaisante. Il y avait du monde mais tout était si silencieux qu’Alex
aurait pu se croire seul. A ses côtés, Gregorovich restait immobile. Depuis le
matin, il guidait Alex dans Moscou et lui avait même offert un appareil photo
en constatant que pas une seule de ses affaires n’avait échappé à leur plongée
improvisée.
Le russe s’était d’ailleurs
étonné :
« Tu n’as pas un sac
étanche ? »
« Je suis pas en mission mais
en vacances. »
« Heureusement. Quand je vois
ce dont tu es capable pendant tes congés…tu m’avais affirmé la même chose dans
le sud de la France. »
La plaisanterie avait arraché un
sourire à Alex.
En sortant du mausolée, un pâle
soleil éclairait les rues, donnant un aspect presque lisse au bitume humide de
neige fondue. Sans vraiment apprécier l’architecture russe, Alex devait
reconnaître qu’ainsi éclairée, Moscou était majestueuse.
« Où allons-nous,
maintenant ? »
Yassen sourit et indiqua une
devanture, à quelques pas.
« Tu as faim ? »
« Je mangerais un
bœuf. »
Le russe jaugea Alex quelques
secondes et lui tâta le ventre et les hanches.
« Un poussin te suffira, à
mon avis. »
« Je suis trop
petit ? »
« Trop maigre. Très jolies
côtes, ceci dit. Manque de muscle. Quand nous rentrerons, tu feras un peu
d’exercice. »
« Karaté ? »
Gregorovich eut une moue
moqueuse :
« Tu as envie de te battre
contre moi ? Tu ne crains pas que j’aille trop loin ? »
Il poussa la porte du restaurant
et Alex lui emboîta le pas. Le patron salua Gregorovich et lui indiqua une
alcôve, en fond de salle.
« Vous êtes connu. »
« Je lui ai dit que tu étais
mon neveu. »
« Ha oui, j’oubliais. Alexeï
Gregorovich, c’est ça. ? »
Une fois assis, Alex ouvrit la
carte, mais la referma aussitôt.
« Il y a un problème ? »
« C’est écrit en
russe… »
« C’est vrai, désolé. Je vais
traduire… »
« Pas la peine, choisissez
pour moi, je suis pas difficile. »
Gregorovich haussa un sourcil mais
s’exécuta sans poser de questions. C’était ce qu’Alex appréciait le plus avec
lui : il ne critiquait pas, ne jugeait pas, n’essayait pas de lui imposer
ses opinions. C’était inhabituel pour un adulte.
Lorsque le serveur revint avec un
plat de légume et de bœuf sauté, Alex fronça le nez :
« J’en étais sûr. »
« Sûr de quoi ? »
« Vous m’avez espionné. Au
magasin, vous m’avez acheté un Nikon, sans hésiter, et je suis le premier à
dire que ce sont les seuls appareils photos valables. Quand nous sommes allés
m’acheter des vêtements, vous m’avez tout de suite dirigé vers les vêtements
bas prix, sans même regarder les marques… »
« Je n’avais peut-être pas
envie de payer cher pour que tu puisses en profiter. » Répondit
tranquillement Gregorovich sans cesser de sourire.
« Après m’avoir acheté un Nikon
à 180 dollars ? Vous voulez faire croire ça à qui ? Vous saviez
que je déteste les vêtements de marque et que je préfère porter des treillis et
des vêtements confortables. Et pour finir, vous commandez un plat que je mange
souvent chez moi. »
« Que ta gouvernante te fait
souvent, Alex. Mais je plaide coupable. Après la mort de Sayle je suis allé
chez toi. Je pensais que le MI6 t’avait placé dans un orphelinat après le décès
de ton oncle. J’ai été surpris de rencontrer cette jeune américaine. Elle a été
charmante avec moi. »
« Vous avez rencontré
Jack ? »
« Je lui ai dit que je venais
de la part du MI6. »
Alex fixa Gregorovich, ébahi par
autant de culot.
« Cela m’a permit de me
rassurer : elle s’occupe bien de toi. Elle m’a aussi permis d’en apprendre
plus à ton sujet. »
« Comme ? »
« Tu ne supportes pas les
films comiques français, tu aimes les jeunes filles brunes, tu es incapable de
rentrer d’un cour de sport sans bleus ou sans plaies…et tu parles dans ton
sommeil. »
Alex s’étrangla :
« Pardon ? »
« Tu parles dans ton sommeil.
Je t’ai entendu la nuit dernière. Tu te plaignais. »
« C’est pas mon genre de me
plaindre. »
« Je veux dire que tu
pleurais. » Précisa Gregorovich avec douceur, en posant ses couverts
« Tu appelais Jack. »
« Vous m’avez
entendu ? »
« Je dors très peu, et je me
doutais que tu aurais le sommeil agité, alors je me suis installé à ton chevet.
Je voulais être sûr que tu serais calmé lorsque je partirais pour
l’ambassade. »
Alex baissa les yeux …Il passait
pour un faible, pour un gosse qui réclamait sa nurse. Yassen parut deviner ses
pensées.
« Je ne considère pas ça
comme honteux, Alex. A 14 ans, ce serait inquiétant que tu n’ais besoin de
personne. »
« Personne a besoin de moi,
par contre. » Marmonna Alex.
La gifle le prit par surprise. Il
fixa Gregorovich, hébété, la joue enflée. Le russe était immobile, comme si son
bras n’avait jamais bougé.
« Ne sois pas insultant.
Tu l’es pour ta gouvernante, mais aussi pour moi. »
« Vous êtes un tueur respecté
et reconnu, vous avez pas besoin de moi. »
« Tu es un espion prodige,
estimé par le gouvernement britannique. Tu ne devrais pas non plus avoir besoin
de moi. »
Yassen écarta une mèche de cheveux
clairs qui masquait les yeux d’Alex.
« Et pourtant, tu t’es blotti
contre moi en pleurant, la nuit dernière. Ca m’a fait plaisir de pouvoir te
rassurer. »
****
L’avion en provenance de Londres
n’avait pas une seconde de retard sur l’horaire. Et pour cause : il avait
été affrété spécialement pour trois passagers. L’aéroport de Moscou avait tout
fait pour que la piste soit dégagée à temps.
L’ambassadeur américain avait
personnellement demandé à venir pour accueillir ses visiteurs, un homme à l’air
grave et aux cheveux déjà gris malgré son visage qui n’affichait pas davantage
que la quarantaine, un autre à l’air pincé et aux rides qui formait un masque
sévère et une femme brune dépourvue de la plus totale expression. Malgré le peu
de sympathie des visiteurs, l’ambassadeur les reçut avec un large sourire.
« Monsieur l’ambassadeur, M.
Blunt, Madame Jones. Merci d’être venus si vite ! »
« Nous avions d’excellentes
raisons de faire vite. » Rétorqua Alan Blunt, approuvé par Madame
Jones.
« Je n’en doute pas. Ma
voiture vous attend. »
Les trois britanniques suivirent
en silence. L’ambassadeur anglais, Martin Freeman, paraissait être le seul
inquiet.
A peine étaient-ils installés dans
la limousine que Blunt s’enquit :
« Pourriez-vous nous donner
de plus amples au sujet de…l’incident ? »
« L’attaque, vous voulez
dire ! »
« C’est pour pouvoir utiliser
le terme exact que Monsieur Blunt souhaite en savoir plus. » Intervint
Freeman en jetant un regard courroucé au directeur du MI6, qui l’ignora.
L’ambassadeur américain se
renfrogna :
« J’étais en dîner d’affaire
lorsqu’on m’a prévenu qu’un adolescent avait assommé un de mes gardes. Nous
avons évacué l’ambassade, selon la procédure de sécurité. Elle a prit feu peu
après. »
« Vous avez vu sortir
l’adolescent ? »
« Non. Ni moi, ni aucun de
mes gardes. Mais l’un des incompétents qui l’ont laissé entrer ont pu voir ses
papiers. »
« Et c’est en faisant des
recherches que vous avez pris contact avec M. Blunt. » Compléta Freeman,
apparemment de plus en plus nerveux.
L’ambassadeur américain
approuva :
« Alex Rider, affilié au
MI6 »
« J’ose espérer que vous
n’avez nullement songé à une attaque de la part du gouvernement
britannique ? » Demanda Madame Jones d’un ton neutre.
« C’est pour le vérifier que
je vous ai demandé de venir. »
M. Blunt et Madame Jones
échangèrent un regard avec Freeman. Après les incidents du 11 Septembre et les
récents événements avec Sarov, les américains étaient sur les dents.
« Et…hormis le garçon,
quelqu’un d’autre a disparu ? »
« Oui, mon invité. Un
diplomate du nom de Vladimir Sladivich. »
« Avec votre permission, nous
allons faire quelques recherches sur cet homme. »
« Ce que vous voulez pourvu
que vous fassiez vite. J’aimerais voir ce malentendu se dissiper
promptement. »
« L’ennui, Monsieur
l’ambassadeur, c’est que le malentendu s’est échappé. » Fit remarquer
madame Jones.
« Qui vous dit qu’il n’est
pas mort dans l’incendie ? »
Alan Blunt secoua la
tête :
« Vous pouvez me croire, Alex
Rider n’est pas mort. »
****
« Tu n’as jamais appris le
russe ? »
« Mon oncle ne m’a pas emmené
en Russie. »
« C’est déjà extraordinaire
de parler quatre langues à ton âge, tu sais. »
« Vous en parlez combien
vous ? » S’enquit Alex.
Ils étaient rentrés après le repas
et Gregorovich leur avait servi une boisson chaude avant de s’installer sur le
canapé, Alex assis sur l’accoudoir à côté de lui.
« Un demi-douzaine,
couramment. J’ai des notions dans une dizaine d’autres langues ou de
dialectes. »
« Vous n’en aimez pas une
plus que les autres ? »
Yassen sourit : « Il
s’agit de simples outils pour moi, tu sembles l’oublier. »
Alex fronça les sourcils :
« On avait dit fifty-fifty.
Avec tout ce que vous savez sur moi, j’ai le droit d’en savoir plus sur
vous. »
« Très bien, très bien,
j’abdique. Alors, que veux savoir le fils prodigue de Hunter ? »
« N’importe quoi, je m’en
fiche. »
Alex voulait surtout soulever ce
masque pour voir l’humain, la personne avec qui son père aimait passer du temps
et qui ne se dévoilait que lorsqu’il devenait vulnérable.
« J’adore la littérature
classique anglaise. C’était d’ailleurs la première raison qui m’a poussé à
apprendre ta langue. J’aime les filles blondes et délicates, je ne supporte pas
les opéras italiens et les fast-food, et pour moi rien ne remplace un morceau
de Blues. »
« Han, han…Donc votre soirée
idéale ce serait un Oscar Wilde, Jodie Foster et du Louis Jordan ? »
« Comme toi un épisode de
X-Files en mangeant tes chips chinoises sur fond « Oasis ». »
« C’est un peu ça oui…Et mon
père ? Il aimait quoi ? »
« Ton père ? Cuisine
instantanée, café noir et Jazz. »
« Rien à voir avec moi,
quoi. »
Gregorovich ébouriffa Alex.
« Les même goûts
gastronomiques déplorables, peut-être. »
« Désolé, mais je préfère un
ramen à un ragoût. C’est aussi comestible. »
« Et excellent pour compter
tes côtes. Tu es toujours d’accord pour une séance de karaté ? »
« Oui. »
« Parfait. »
Gregorovich se leva et repoussa la
table, dégageant un espace au milieu de la pièce, puis il ôta son pull,
révélant un torse aux muscles harmonieux, mince et nerveux.
« Le premier à terre a perdu,
ça te convient ? »
Alex descendit du canapé et se
plaça face au russe, qui l’arrêta :
« Echauffement d’abord. Tes
professeurs ne te l’ont pas appris ou tu es pressé de commencer ? »
Fit Yassen avec un sourire, en s’approchant. « Assieds-toi par terre, je
vais t’aider à faire tes étirements.
Alex étendit les jambes devant lui
et commença à tendre les mains pour toucher ses pieds. Il sentit alors Yassen
appuyer sur son dos.
« Bonne position. Tu as eu
des professeurs compétents. »
Le russe déplaça ses mains le long
du dos tendu, jusqu’à la nuque. Alex eut un long frisson. Il n’avait pas
vraiment l’habitude du contact physique, pas aussi intime en tout cas.
Gregorovich paraissait redessiner ses muscles et ses os du bout des doigts,
comme un sculpteur.
« Tes bras sont un peu trop
crispés. Délie tes muscles pour ne pas avoir de crampes. »
Se détendre ? Alex en aurait
été bien incapable. La main de Gregorovich était remontée jusqu’à sa nuque,
glissant sur sa gorge. Puis le contact disparut.
« Quand tu te sens
prêt… »
Alex se redressa brusquement et se
mit en défense. Yassen resta en face de lui, les bras le long du corps, en
attente. Il lui laissait l’avantage du premier coup. Alex tourna légèrement et
envoya brusquement la main vers la gorge du russe, qui para aussitôt.
« Joli coup…Rapide, bien
exécuté…Mais prévisible. C’est un début de combat classique. »
D’une torsion de poignet, il fit
perdre l’équilibre à Alex, et, pivotant sur lui-même, il envoya son pied vers
la tête de son adversaire. Alex s’accroupit rapidement, puis plaça les bras en
défense devant son visage, parant un coup de poing dont la force manqua le
faire basculer en arrière. Il effectua alors un coup de pied et fouetta
Gregorovich derrière les chevilles. Un instant, il crut avoir gagné mais du
ravaler sa fierté en sentant le coude de Yassen l’atteindre au plexus : le
russe avait concentrer son poids sur l’avant au lieu de basculer sur le dos.
« Ne descends pas ta garde
tant que ton adversaire ne touche pas le sol. » L’avertit-il alors qu’Alex
chancelait, le souffle coupé. « C’est l’erreur de ceux qui ont trop
l’habitude de gagner. »
Sans attendre d’avoir
intégralement retrouvé son souffle, Alex exécuta un mawashigiri vers le flanc
droit.
Une erreur.
La fin de son mouvement perdit en
précision et en vitesse et Gregorovich eut tout juste le temps de
l’intercepter, avant d’appliquer un coup de pied dans les chevilles d’Alex, qui
tomba lourdement sur le dos. Il cligna des yeux et vit le visage de Yassen se
rapprocher soudain du sien.
Le russe s’était installé
au-dessus de lui et l’empêchait de se relever en bloquant sa gorge de son
bras :
« Tu as un excellent
niveau : tes gestes sont précis, tes réflexes impeccables, tu analyses
vite la situation… »
« J’ai perdu,
pourtant. »
« Tu te reposes trop sur tes
compétences. Tu considères la victoire comme acquise. »
« Pas vous ? »
« Jamais et contre personne.
A fortiori contre toi. Mais tu as commis une faute d’orgueil. »
« Encore une
punition ? » S’inquiéta Alex.
« Une leçon, simplement. Mais ne m’en veut pas si je prends tout de
même un trophée. »
Alex ouvrit la bouche pour
répondre mais n’en eut pas le temps. Yassen l’avait bâillonné avec douceur en
l’embrassant, puis en caressant ses lèvres de sa langue. Alex sentit quelque
chose qui ressemblait à de la peur enfler dans sa poitrine, mais une caresse
dans ses cheveux et contre sa tempe l’apaisa. Il ne se débattit pas et se
contenta de fermer les yeux.
****
« Je me rappelle pas vous
avoir dit oui. »
Ils n’avaient pas reparlé du
baiser depuis la veille. Après le combat, Alex s’était simplement relevé et
avait regagné la chambre, où il était resté seul sans dire un mot. Yassen avait
respecté son silence.
Le lendemain, ils étaient repartis
promener dans Moscou, et Alex s’était décidé à aborder le sujet alors qu’ils
marquaient une pause dans un parc.
Gregorovich le fixa quelques
secondes, puis hocha la tête.
« Je sais. Mais tu n’as pas
refusé non plus. »
« Vous auriez
arrêté ? »
« Oui. »
Le russe n’avait pas joué les
indignés, il avait répondu franchement, sans hésitation.
« Mais ça n’avait pas l’air
de te déplaire. »
« Comment vous pouvez le
savoir ? »
« L’expérience. Je sens tout
de suite lorsque mon partenaire est réticent. »
« Votre…partenaire ? »
S’étrangla Alex. « Minute ! Je veux pas… »
« Tu me l’as déjà dit, Alex.
Mais je sens que tu n’es pas sûr de toi : tu es moins vindicatif lorsque
je passe vraiment à l’acte. Tu devrais essayer de mettre un peu d’ordre dans
tes pensées. »
« Vous m’avez affirmé que les
bébés ne vous intéressaient pas ! »
« J’ai dit cela pour te
provoquer. » S’amusa Gregorovich « Pour que tu me prouves que tu n’en
étais pas un. »
Il y eut un silence, qu’Alex brisa
finalement :
« Mais je reste un gamin pour
vous. »
« Un enfant, nuance. »
« Où est la nuance ? »
« Ton jeune âge n’est pas
préjudiciable pour moi : je ne te prendrais jamais de haut à cause de ça,
comme certains. »
Alex se tendit, le souvenir
cuisant de l’affaire Cray lui revenant en mémoire : le MI6 lui avait ri au
nez, mais ne lui avait pas présenté d’excuses, même s’il avait empêché la
destruction d’une partie d’une monde. Madame Jones s’était bornée à lui poser
des questions au sujet de Gregorovich.
« Ils ne supportent pas que
tu puisses être meilleur qu’eux. Et tu es meilleur qu’eux par ce que tu as
envie de vivre : tu es jeune et tu veux apprendre, voir ce que tu n’as pas
vu. C’est ta supériorité. »
« Comment vous savez
ça ? »
Gregorovich sourit :
« J’ai été un enfant moi aussi. »
« Tout le monde,
non ? »
« Moi j’ai grandi, pas
vieilli. »
Alex observa les petites rides qui
se dessinaient au coin des yeux glace d’un air sceptique. Cela fit rire le
russe :
« J’admets : j’ai un peu
vieilli. Mais pas suffisamment pour que mon étroitesse d’esprit me rende inefficace. »
« Et comment
fait-on ? »
Gregorovich toucha le front
d’Alex.
« On continue à penser par
soi-même. Ce que tu fais très bien, je crois. »
Alex hocha la tête. Ces mots, il
se serait attendu à les entendre dans la bouche des hommes du MI6…ou il aurait
préféré, du moins. Préféré s’attacher à
ceux qui étaient dans le bon camp plutôt qu’à l’assassin de son oncle.
Mais il l’avait suffisamment
entendu, le monde n’était pas en noir et blanc.
Gregorovich s’était levé, le
visage soudain plus sérieux. Son regard balaya le parc et Alex comprit qu’il y
avait un problème. Il attendit donc, toujours sur le banc, guettant à son
tour :
Une femme traversait le parc, le
visage enfoui dans son col, deux hommes parlaient sur le banc en face d’eux et
un vendeur ambulant semblait s’ennuyer ferme derrière sa baraque.
« Donne-moi ton appareil
photo. » Murmura finalement Yassen.
Alex s’exécuta et Yassen plaqua
aussitôt l’appareil sur son œil, effectuant un zoom en direction du vendeur,
qui se troubla aussitôt. Vu.
« J’ai perçu un
flash…Mets-toi derrière moi et couvre tes yeux. »
« Vous allez… »
La main du vendeur disparut
quelques secondes sous son stand. Lorsqu’elle revint dans leur champ de vision,
elle tenait un pistolet, pointé droit sur eux. Alex vit Gregorovich se courber
légèrement, puis un trait d’argent fila en direction de l’homme, qui n’eut pas
le temps d’esquiver le couteau. Il chancela et, un instant, Alex crut qu’il
allait s’écrouler. Mais au lieu de cela, il se cramponna à son stand et
affermit sa prise sur son arme, le visage crispé.
Alex sentit un poing de glace se
refermer sur son estomac en comprenant qu’il allait tirer. Pourquoi Yassen
restait-il immobile ?
La réponse était évidente :
il faisait écran entre l’arme et Alex.
Lorsque le coup partit, tout se
passa en moins d’une seconde : Alex poussa Gregorovich et une intense
douleur inonda alors tout son corps.
« Alex, ALEX !!! »
Il hoqueta et voulut répondre au
russe, pour le rassurer…Mais il en était déjà incapable et pour cause : le
pistolet l’avait atteint à la gorge. Alex eut un pauvre sourire et s’effondra
alors que des flashs de douleur dansaient devant ses yeux.
****
« Il a été repéré dans un
parc près de la place rouge, mais il n’était pas seul : il parlait avec un
homme… »
Alan Blunt, Madame Jones et Martin
Freeman étaient assis en cercle autour d’un bureau, face à l’ambassadeur
américain, qui leur tendit quelques photos flous où l’on distinguait un
adolescent blond et un homme plus grand, blond lui aussi.
« Ils semblaient proches ? »
S’enquit Madame Jones.
« Impossible de savoir mais
il semblerait que l’homme ait emmené Rider après l’échange de coups. Notre
homme a pu enregistré leur conversation mais la bande a été endommagée lorsque
le compagnon de Rider a attaqué. »
« Votre informateur est
décédé ? »
« Oui. Les cervicales et les
côtes brisées. On ne lui a laissé aucune chance. » Fit l’ambassadeur d’un
ton calme, mais où perçait une froideur de plus en plus marquée.
« Alex n’aurait pas fait
ça. » Intervint Freeman « Jamais il n’aurait pu faire ça. »
« Aucun risque en
effet : il a apparemment été touché dès le début du combat. »
Alan Blunt repoussa les photos.
« Je pense avoir une idée au
sujet de l’identité du meurtrier, une idée que ma collègue approuvera, je
pense… N’est-ce pas, Madame Jones ? »
« Yassen Gregorovich… »
« Il est connu de vos
services ? »
« C’est un mercenaire et un
tueur professionnel, parmi les meilleurs. Alex et lui ont eu des démêlés par le
passé. » Expliqua madame Jones d’une voix qui, pour la première foi,
exprimait un certain émoi.
« Hé bien ils semblent avoir
réglé leur différends. » Trancha l’ambassadeur d’un air sinistre
« Vous pensez que ce…Gregorovich a pu envoyer Alex Rider brûler
l’ambassade ? Un attentat ? »
« Ou une diversion. Vous
disiez que votre invité, un diplomate russe, avait disparu ? »
« En effet. »
Alan Blunt se caressa le menton.
« Nos services font
actuellement des recherches sur ce…Vladimir Sladivich. Nous pourrons sans doute
analyser les faits avec certitude une fois que nous en saurons plus à son
sujet. Pourriez-vous nous faire écouter
cet enregistrement ? »
« Certainement. »
L’ambassadeur pressa le bouton du
petit appareil placé devant lui et la voix d’Alex Rider s’éleva :
« …me rappelle pas. »
« En fait, nous n’avons que
des bribes de la conversation…Je ne suis pas sûr que cela nous en apprenne
beaucoup. »
Ce fut ensuite la voix de
Gregorovich qui répondit :
« …refusé…plus. »
« Vous auriez
arrêté ? »
« Manifestement ce
Gregorovich a proposé quelque chose à Rider. » analysa Freeman.
« …n’avait pas l’air… »
« Comment vous pouvez le
savoir ? »
« L’expérience…mon partenaire…réticent. »
Blunt et Jones échangèrent un
regard rapide. Le terme « partenaire » leur avait écorché l’oreille.
« Tu …essayer de mettre un
peu…ordre…tes pensées. »
Il y eut un silence prolongé où
une friture déforma ou effaça les propos échangés, puis la voix d’Alex,
incertaine, reprit :
« Où est la nuance ? »
« …jeune âge…pas
préjudiciable pour moi…Ils ne supportent pas…meilleur qu’eux…tu es meilleur
qu’eux…tu es…tu veux apprendre…»
Cette fois, le regard échangé
entre les deux agents du MI6 fut plus long, plus sombre.
« Tout le monde, non ? » Interrogea la voix d’Alex Rider,
qui semblait plus assurée.
« …admets : …un peu…Mais pas
suffisamment …»
« Et comment fait-on ? »
« …tu fais très bien… »
« L’enregistrement s’arrête
ici. Apparemment, ils ont repéré notre informateur peu après. Je vous l’ai dit,
cela nous avance guère. »
« Personnellement, je trouve
cela éloquent. » Rétorqua Blunt « Gregorovich a parlé de partenaire
réticent, d’expérience, de jeune âge qui ne lui était pas préjudiciable, et ce
« tu es meilleur qu’eux »…Il monte Alex Rider contre nous. »
Madame Jones resta silencieuse
mais paraissait troublée :
« Ce qui est surprenant c’est
que Gregorovich n’ait pas détruit l’enregistrement et les photos avant
d’emmener Alex. »
****
La première chose que sentit Alex
en se réveillant fut la douce chaleur qui l’enveloppait, et le contact des
doigts sur sa joue.
« Réveille-toi… »
Il gémit et cligna des yeux,
essayant de reprendre contact avec la réalité.
« Alex… »
La voix de Gregorovich cachait mal
son inquiétude. Alex parvint enfin à ouvrir les yeux et à les poser sur le
russe. Il sourit péniblement et tendit la main dans sa direction.
Yassen était assis à son chevet.
« Ne fais pas d’efforts,
Alex…Je pense que tes muscles sont encore endormis. »
« Endor…mis… ? »
Ales fut surpris par sa propre
voix : enrouée et faible, comme coincée au fond de sa gorge.
« C’était un pistolet
hypodermique. Ils avaient ordre de nous prendre vivants. Tu es complètement fou
de m’avoir écarté, tu aurais pu être tué ! »
« La…douche…alors ? »
Fit Alex avec un pauvre sourire.
Gregorovich soupira et se pencha
pour l’embrasser sur le front.
« Petit imbécile. Te voilà
alité pour une bonne journée, en tout cas : tes muscles sont complètement
anesthésiés. Je vais te préparer quelque chose. »
« …’ci. » Marmonna Alex
en fermant à nouveau les yeux.
« Ne te rendors pas. »
Lorsque Gregorovich revint avec un
bol de bouillon, il put constater qu’Alex ne l’avait pas écouté. Il soupira et
posa le bol sur le chevet avant de prendre le garçon aux épaules et de le
redresser contre les oreillers, obtenant un grognement plaintif.
« Désolé, mais il faut que tu
manges. »
L’odeur parut sortir Alex de sa
torpeur :
« Pourquoi…peut pas
dormir ? »
« Par ce que ton organisme
assimilera plus rapidement la drogue si tu restes conscient. »
Il pressa le bol contre ses lèvres
et le fit boire à petites gorgées, lui maintenant la tête droite de sa main
libre.
« Tu n’as pas de fièvre, tant
mieux. »
Le laissant finir, il reposa
ensuite le bol.
« Tu as besoin d’autre
chose ? »
« Mal à la tête… »
« C’est normal. J’ai eu peur
que la seringue se soit enfoncée dans ton larynx mais il y a eu plus de peur
que de mal. »
« Qui… »
« Je pense que l’ambassadeur
a ordonné une enquête. Cela devient trop dangereux pour toi, je vais te
renvoyer à Londres le plus vite possible. Le MI6 te couvrira. »
« Mais…et vous ? »
« Je n’ai pas fait brûler
d’ambassade, moi. » Fit Gregorovich avec un petit sourire « Mais je
pense qu’il est préférable que je ne m’attarde pas à Moscou non plus. »
Alex se redressa légèrement, le
regard soudain plus vif :
« Et si vous m’accompagniez…à
Londres ? »
Yassen lui caressa la joue et le
rallongea :
« Tu n’y songes pas. Ce serait
encore pire qu’ici…tu imagines, devoir me cacher chez toi, quand le MI6 t’as
sous sa tutelle ? »
Il vit l’expression d’Alex
redevenir morne, et son regard se voiler. S’asseyant sur le lit, il prit
délicatement le visage du garçon entre ses doigts.
« Qu’est-ce qui ne va
pas ? »
« Vous me lâchez. »
« Je te mets en
sécurité. »
« Vous vous mettez en
sécurité. »
Gregorovich secoua la tête et
empêcha Alex de détourner les yeux.
« Ecoutes-moi. Je n’ai besoin
de rien ni de personne pour assurer ma sécurité. Toi, en revanche, tu as encore
une vie normale hors de ces murs, et je ne veux pas que tu la foutes en l’air,
que ce soit bien clair. Ian Rider te formait peut-être mais je ne veux pas voir
mon filleul s’amuser avec des game boy explosives ou se baigner avec des
méduses. John voulait une vie normale pour toi. Tu vas retourner à Londres. Je
viendrais te voir si tu veux. »
Les derniers mots avaient
quasiment échappé à Alex…Ses pensées s’était concentré sur un seul d’entre
eux :
« Attendez…votre…
« Filleul » ? »
« John m’a demandé d’être ton
parrain lorsque tu es né. C’est pour cela que j’ai interrompu une mission pour
venir en Angleterre. Ton père tenait à ce que je sois comme un membre de ta
famille. »
Alex se sentait étourdi, tout à
coup :
« Et…mon oncle ? »
« Il ne s’est jamais très
bien entendu avec ton père, et, sans vraiment savoir qui j’étais, il ne
m’aimait pas beaucoup. Il désapprouvait mon entrée comme parrain. Il pensait
que je ne pourrais rien t’apporter de bon, et force m’est de constater qu’il
était dans le vrai. »
« Non. Moi je n’y crois
pas. »
Yassen considéra Alex, qui avait
retrouvé son calme mais dont le regard brillait à nouveau.
« Vous vous inquiétez pour
moi, alors que je vous ai apporté des ennuis. »
« Oh, je m’en doutais. Tu
n’es pas le fils de Hunter pour rien, tu es bien du même sang, la ressemblance
n’est pas que physique. »
Alex sourit. C’était la première
fois qu’il semblait heureux, détendu. Yassen lui caressa les lèvres du
bout des doigts, parlant d’une voix plus chaude :
« Enfin, tu souris. J’ai cru
que je n’en aurais jamais aucun de ta part. C’est un beau souvenir pour moi,
Alex. »
« Personne peut me faire
sourire à part vous. »
« Et Jack ? »
« C’est pas la même
chose. »
Yassen s’approcha légèrement et
lui prit la main.
« Comment est-ce
alors ? »
Alex rosit légèrement :
« Je ne suis pas sûr. Mais je
sais que c’est différent. »
Ils se fixèrent quelques secondes,
puis le russe murmura :
« Est-ce que tu me donnes le
droit, cette fois ? »
« Oui. »
Leur lèvres se touchèrent
doucement. Yassen resta délicat au début, sans forcer Alex, puis glissa la
langue pour tester les réactions du garçon qui, en réponse, ouvrit docilement
la bouche. Cela fit sourire le russe : il ne s’attendait pas à une réponse
aussi rapide d’un amant aussi jeune. D’une main, il suivit la courbe de la
gorge, puis le torse, la hanche.
« Stop. »
Il venait de briser le baiser.
« Arrêtons là. C’est
suffisant pour le moment. »
Mais Alex le retint :
« Je suis un enfant, c’est
pour ça ? »
« Tu es vierge, surtout. Et
tu n’es pas dans ton état normal, ce serait immonde de ma part. »
« Mais… »
Yassen posa un doigt sur la bouche
d’Alex.
« Avant ton départ. Je te le
promets. Sois patient, c’est aussi difficile pour moi d’attendre. »
****
« Il a fait
QUOI ? »
Cela faisait plus de dix minutes
que Martin Freeman entretenait avec Jack Starbright une conversation plus que
tendue. La gouvernante avait appelé l’ambassade de Grande Bretagne pour savoir
où en était le MI6 dans ses recherches.
En ne voyant pas Alex rentrer,
elle s’était immédiatement rendue au siège des services secrets, persuadée
qu’ils l’avaient envoyé à l’autre bout du monde. Ensemble, ils avaient conclu à
une fugue…ou un enlèvement. C’était finalement l’ambassadeur américain qui leur
avait appris l’emplacement d’Alex.
« Melle
Starbright…Calmez-vous. »
« Que je me calme ???
Vous m’apprenez qu’Alex a été enlevé par un mercenaire russe et qu’il a
provoqué la destruction d’une ambassade et vous voudriez que JE ME
CALME ? »
« Mademoiselle, c’est vous
qui avez exigé de savoir. Vous connaissez votre poulain, je crois. »
« Avant que vous ne veniez
lui pourrir l’existence, il agissait comme n’importe qui ! »
Freeman poussa un soupir. Avec une
telle mère poule, c’était à se demander si Alex Rider ne portait pas encore la
couche.
« Ecoutez, mademoiselle
Starbright, vous vouliez des nouvelles, vous en avez : Alex va bien et
nous ne tarderons pas à le ramener en Angleterre. Comme ça vous pourrez hurler
en toute quiétude sans payer le prix de la communication. »
« Et qui vous dit que son kidnappeur
ne va pas lui faire du mal ? »
« Honnêtement, ce serait
surprenant. On ne fait pas traverser le globe à un adolescent connu des
services secrets pour l’abattre ou le malmener. Si Gregorovich avait voulu du
mal à Alex, il se serait contenté de rentrer chez vous. »
« Alors que lui
veut-il ? »
« Nous n’en sommes pas sûrs,
mais apparemment, il essaie de l’utiliser contre nous. »
Alan Blunt et Madame Jones
regardaient le houleux échange d’un air ennuyé. Ce n’était pas la première fois
que la gouvernante d’Alex Rider déchaînait ses foudres contre eux. Quant à
l’ambassadeur américain, il ignorait Freeman :
« Nous avons placé des hommes
dans tous les aéroports de la région. Ils ont ordre de prendre le petit vivant,
mais d’ouvrir le feu sur Gregorovich si nécessaire. Cet homme est
dangereux. »
Blunt eut une grimace pincée,
comme il en faisait souvent :
« Pas tant que ça puisque
vous avez déjeuné avec lui. »
« Je vous demande
pardon ? »
« Vos informateurs ne
vérifient que l’identité des enfants dans votre ambassade ? »
Enchaîna Madame Jones « Celui que vous avez pris pour un diplomate russe
n’était ni plus ni moins Yassen Gregorovich, nos services nous l’ont confirmé.
C’est une de ses nombreuses identités. »
« Et…qu’en
concluez-vous ? » Interrogea l’ambassadeur d’une voix blanche.
« Que Gregorovich utilise
Alex Rider. » Rétorqua Blunt.
« Vous voulez dire, comme
nous l’avons fait ? » Ajouta Madame Jones d’un air tendu « Alex
n’a tué personne, il n’y a eu que de la casse matérielle. Et nous savons tous
les deux pour quelle raison Gregorovich a réussi à mettre Alex de son côté, M.
Blunt. Nous le savons mieux que personne. »
Les deux agents du MI6
s’affrontèrent du regard sans échanger un seul mot, uniquement interrompus par
l’ambassadeur américain :
« Avez-vous un autre conseil
à me donner pour la capture de votre ex-recrue ? »
« Surveillez les sorties de
la ville. »
« Je n’en ai pas le pouvoir.
Il faudrait que je m’entretienne avec l’ambassadeur Russe pour en avoir le
droit. »
« Ce sera long ? »
« 24 h. »
« Alors ils vous ont déjà
échappé. »
***
« Tu ne veux pas dormir
encore un peu ? »
Alex s’étira autant qu’il le
pouvait dans le tout terrain.
« Non, j’ai trop froid, je
m’engourdis. »
« Il y a une couverture
supplémentaire à l’arrière. » Lui signala Gregorovich.
« Ca ira, merci. J’ai dormi
longtemps ? »
«Presque sept heures. Je savais
qu’il te fallait encore un peu de temps pour récupérer. Comment va ta
gorge ? »
« Mieux mais j’ai encore un
peu de mal à parler. »
« Tu en auras encore pour la
journée. Ils ont mis une dose massive, ce projectile m’était réservé. »
Peu après leur conversation,
Yassen était sorti, laissant Alex seul quelques minutes. A son retour, il lui
avait annoncé qu’ils s’en allaient. Il l’avait porté jusque dans un
tout-terrain bâché. Une heure plus tard, ils étaient sortis de Moscou, en
direction de la frontière Finlandaise. Yassen avait prévu de laisser Alex à
Helsinki, d’où il contacterait Jack et regagnerait l’Angleterre.
« Pourquoi ne pas simplement
avoir pris l’avion en Russie ? »
« Par ce que les aéroports
sont surveillés. »
« Mais vous voulez que le MI6
me récupère, non ? »
« Alex, ce ne sera pas le MI6
mais les américains qui te récupéreront. Ils t’enfermeront et je doute qu’ils
soient très cléments, malgré tes récents contacts avec la CIA. A Londres, le
MI6 te protégera sans que les américains viennent s’en mêler. Je ne veux
pas devoir aller te chercher dans une prison gouvernementale. Tu ne connais pas
les méthodes des américains, ce n’est pas ton âge qui leur donnera des
complexes. »
« Je ne veux pas savoir
comment vous en êtes aussi sûr. »
« En effet, tu ne veux
pas. »
« Vous m’aviez dit que vous
ne tuiez jamais les enfants. »
Yassen eut un sourire.
« Alex, tu n’as vraiment pas
envie d’entendre la vraie raison pour laquelle j’ai dit ça. Je ne dis pas
toujours la vérité. »
« Ok, c’est bon, j’ai
compris. Je demanderais plus. »
« Merci. »
Alex se cala mieux sur son siège
et contempla les étendues blanches autour d’eux. Il était surpris que cela ait
été aussi simple de quitter Moscou…Mais sans doute l’ambassadeur américain
n’avait-il pas eu le temps de placer un cordon de sécurité autour de la
ville…et cela expliquait la vitesse à laquelle Yassen avait organisé leur
départ. Une fois en Finlande, les américains ne pourraient plus atteindre Alex,
puisqu’elle appartenait à l’union Européenne, comme la Grande-Bretagne.
Néanmoins, Gregorovich paraissait
soucieux.
« Il y a un
problème ? »
« La frontière m’inquiète.
Les américains ne peuvent placer personne légalement, mais avec la corruption
qui règne en Russie, il leur sera facile de remplacer la légalité par une
enveloppe de billets, ce qui prend nettement moins de temps. »
« Mais ils ne peuvent pas
bloquer toutes les frontières ! »
« Ils ne sont pas idiots, ils
se doutent que je vais te rapatrier vers l’Europe. Mais nous nous
soucieront de ça plus tard. D’ici une heure, nous devrions rejoindre
Petrozavosk. C’est la dernière grande ville avant la frontière. »
« Nous n’avons plus
d’essence ? »
Gregorovich lui jeta un regard de
biais avec un sourire.
« Non. Mais je pensais que tu
aimerais me voir tenir ma promesse.»
Alex devint écarlate et détourna
les yeux.
« J’ajouterais que je ne veux
pas t’imposer quelque chose dans une voiture aussi inconfortable. Je
t’avouerais que j’ai assez peur de te faire mal. »
« Je suis pas votre premier,
à mon avis. »
« Mon premier mineur, si. Et
puis tu n’es pas n’importe qui pour moi, je ne me pardonnerais jamais de te
blesser. »
« Hé ho, je suis pas en
sucre. »
Yassen éclata de rire, sans cesser
de regarder la route.
« J’attends de voir
ça. »
***
La nuit était tombée lorsqu’ils
parvinrent à Petrozavosk, ce qui semblait arranger Gregorovich : ainsi,
ils étaient plus discrets. L’entrée de la ville n’était pas contrôlée et il y
avait peu de chance que l’ambassadeur américain ait eut le temps de la faire
surveiller, mais il pouvait y avoir des mouchards.
Le réceptionniste n’adressa pas un
regard à Alex, à son grand soulagement. Il monta dans la chambre avec
empressement…il commençait à comprendre ce que pouvait ressentir Gregorovich, à
guetter partout si personne ne le suivait ou ne le fixait anormalement.
« Nous resterons une heure ou
deux. » Lui annonça Yassen en fermant la porte derrière eux.
« Seulement ? »
« Chaque minute que nous
restons ici donne un peu plus de temps aux américains pour bloquer la
frontière. »
« Mais alors pourquoi… »
Yassen lui sourit et caressa ses
cheveux.
« Par ce que je ne veux pas
simplement coucher mais te faire l’amour… »
Alex appuya son front sur l’épaule
de Yassen. Son cœur battait vite mais il s’obligea à rester un peu calme, aidé
par les caresses sur sa nuque et son cou…Lorsqu’il releva la tête, il se laissa
embrasser en frissonnant, posant ses mains contre le torse de Gregorovich. Le
russe l’embrassa avec douceur, baisant le coin des lèvres, puis le creux de la
bouche sans cesser de frôler sa nuque, redessinant sa courbe et le bout de
mèches blondes de ses doigts. Alex se sentit fondre lorsque les baisers
descendirent jusqu’à sa gorge, lentement. Le contact de Yassen était délicat,
progressif, testait chacune de ses réactions : il prenait le temps de le
comprendre, de l’aimer. Lorsqu’il l’embrassa au creux de la gorge, Alex avait
déjà chaud.
« Je…ne sais pas quoi
faire… » Souffla-t-il, conscient d’être une poupée immobile.
« Me dire ce que tu aimes. »
Répondit Yassen au creux de son oreille « Ce dont tu as envie. »
« J…’ai chaud… »
Gregorovich sourit et l’attrapa à
la taille avant de le faire asseoir sur le lit et s’agenouiller devant lui,
sondant les iris noirs déjà troubles de désir, contemplant les joues parsemées
de discrètes taches de son, les mèches claires en bataille, la bouche enfantine
humide de baisers…
« Ty nastopko
jepateney… » Souffla-t-il avant de soulever le pull d’Alex, caressant le
ventre et les flancs.
« Qu…oi ? »
« Je me comprends. »
Répondit Yassen avec un sourire avant d’embrasser sa peau. Ses mains
reprenaient les caresses, remontant plus haut alors qu’Alex prenait appui sur
ses mains pour se laisser aller. Le sentant à nouveau se tendre lorsqu’il frôla
ses mamelons, Gregorovich revint à sa bouche et l’embrassa avant de lui
murmurer :
« Je vais trop
vite ? »
Alex secoua la tête, rougissant,
et le russe sourit.
« Tu n’oses pas me le
dire. »
Nouveau baiser sur la gorge, puis
sur les épaules. Alex frissonna mais se détendit et Yassen reprit ses
attouchements sur son torse : il ôta le pull lentement et toucha un des
mamelons du garçon, qui se mordit aussitôt la lèvre. Gregorovich piqua à
nouveau ses lèvres d’un baiser, puis caressa les grains de chair lentement, les
sentant se durcir sous ses doigts alors qu’Alex gémissait en oscillant sur le
lit, sur lequel il se laissa finalement allonger. Embrassant les mamelons, le
russe commença à les lécher, les prenant dans sa bouche, soufflant dessus pour
les exciter. Alex respirait plus fort, les mains enfoncées dans les draps, son
corps s’arquant légèrement sous la chaleur plaisante que lui procurait
Gregorovich.
Il leva timidement les mains vers
le russe, qui s’arrêta et remonta à sa hauteur pour l’embrasser :
« Tu as envie de quelque
chose ? »
« Je…sentir…votre…ta
peau. »
Yassen l’embrassa moins chastement
et caressa encore ses seins :
« Tout de suite, Alex. »
Il déboutonna sa veste, lentement,
posément, et la posa au sol, sans quitter Alex des yeux, puis retira le pull
noir. Ses gestes étaient méthodiques, mais trahissait déjà un léger trouble.
Plaçant ensuite ses mains de part et d’autre de la tête d’Alex, il approcha son
visage et souffla :
« Tu as peur ? »
« Non. »
Yassen sourit et l’embrassa dans
le cou, redescendant le long de son torse. Il prit à nouveau un mamelon dans sa
bouche mais ne s’attarda pas, suivant le chemin de ses doigts jusqu’au nombril,
qu’il chatouilla légèrement de la pointe de la langue, arrachant une plainte à
Alex, dont les hanches ondulèrent légèrement.
Gregorovich attendit qu’il
s’habitue à la caresse pour commencer à défaire sa ceinture, puis à faire
glisser son pantalon jusqu’aux genoux, afin de libérer ses cuisses, qu’il
embrassa, remontant jusqu’en haut, frôlant leur creux. Alex se crispa en le
sentant remonter son caleçon pour passer ses lèvres contre son aine, mais le
laissa faire. Finalement, Yassen lui ôta totalement son pantalon pour lui
permettre d’ouvrir ses jambes, reprenant ses baisers à l’intérieur de ses
cuisses, dardant légèrement la langue pour l’exciter. Alex déglutit et ferma
les yeux en sentant son corps réagir à nouveau, de manière plus visible,
gémissant lorsque la main de son amant se posa sur la bosse qui naissait sous
son bassin.
« Nnn… »
« Ca ne te plaît pas, tu
préférais la poitrine ? » Interrogea Yassen en cessant de le toucher.
« Non…ça va. »
« Dans ce cas… »
Le russe tira sur l’élastique du
caleçon et le fit descendre, sans cesser d’observer l’expression d’Alex,
guettant la moindre appréhension. Les prunelles noires étaient troubles et voilées,
mais confiantes.
« Ouvre tes jambes. »
Lui souffla-t-il finalement à l’oreille, embrassant le lobe au passage. Alex
eut l’impression que la chaleur montait dans son ventre et entrouvrit
timidement les cuisses. Yassen se mit à rire et lui embrassa le front :
« Un tout petit peu
plus ? »
Alex s’exécuta et entendit un
bruit de tissu froissé, avant de sentir le corps de Yassen tout contre le sien,
les jambes musclées, le torse lisse, et la chaleur qui répondait à celle entre
les cuisses d’Alex. Ses hanches bougèrent légèrement, venant à la rencontre de
celles de Gregorovich, qui posa une main sur son aine.
« Doucement… »
« Yassen… »
« Un peu de patience. »
Le russe humecta ses doigts et
pinça les mamelons d’Alex avant de lécher son torse, de haut en bas. Arrivé à
l’entrejambe, il la caressa quelques secondes, pour habituer le garçon à la
sensation, avant d’embrasser le membre à demi dressé. Il passa doucement la
langue sur le gland, caressant la base. Alex se tendit à nouveau, se mordant la
langue pour ne pas être plus bruyant.
« Ha ! »
« Tu sais, personne ne
t’entendras… » Murmura Yassen en massant son sexe, puis le décalotter pour
reprendre ses baisers sur le gland, effleurant de la langue la petite fente
jusqu’à sentir Alex s’arquer, envoyant les hanches contre sa bouche. Le garçon
haletait à présent, les joues rouges, une expression d’abandon total lui
détendant le visage.
« Presque aussi beau que
lorsque tu souris… »
« Mmmmh…Je veux… »
« Je crois que j’ai
compris. »
Ployant la nuque, Gregorovich prit
le membre d’Alex en main et le glissa dans sa bouche, contre sa langue,
détendant sa gorge le plus possible. Il n’eut aucun mal à le prendre en entier
et commença un lent mouvement de va-et-vient, touchant les bourses du garçon,
qui gémissait, grognait, affolé de plaisir, tentant de bouger les hanches pour accélérer
le mouvement. Lorsque Gregorovich sentit qu’il ne tenait plus, il donna un
dernier coup de langue et relâcha Alex.
« Non…hhhh…encore… »
Yassen l’embrassa.
« Tu serais fatigué pour la
suite. Tu me fais confiance, n’est-ce pas ? »
Alex hocha la tête, mais son
regard brillait, suppliait. Gregorovich passa ses doigts sur le pénis tendu,
recueillant un peu de precum sur ses doigts, puis les passa sensuellement,
tendrement, le long des fesses pâles d’Alex. Il fut surpris de sentir avec
quelle facilité le garçon se détendit aussitôt.
« Je ne tiens plus… »
« Je vois, Alex. Mais je vais
te faire mal si je me presse trop…Essaie déjà de t’habituer à ça. »
Prudemment, il appuya contre
l’intimité du garçon, qui émit un hoquet en sentant la phalange passer son
anneau de muscles. Yassen fit quelques mouvements, testant ses réactions. Un
instant, Alex se figea et émit une plainte sourde, mais recommença à gémir,
avant de glisser une main entre ses cuisses, cherchant la chaleur de son
plaisir. Gregorovich l’arrêta :
« Encore un peu de patience.
Tu es presque prêt, Alex…Détends-toi. »
Il joignit un second doigt et
cette fois Alex poussa un vrai cri de douleur. Yassen cessa aussitôt et
l’embrassa :
« Pardon. Respire et détend
tes muscles…tu vas t’habituer. »
Le mouvement reprit, si doux qu’au
début, Alex le sentit à peine, tout juste une gêne dans les reins…Puis la
chaleur revint, plus forte, et ses hanches se remirent à bouger, prenant
d’elle-même le rythme que suivait Yassen. Ce dernier sourit et, retirant ses
doigts, prit Alex à la taille.
«Mets-toi sur le flanc. Ce sera
plus confortable pour toi de cette manière. »
Alex obéit et se laissa enlacer,
enfouissant son visage dans le cou de Yassen. Il remarqua qu’un très léger
tremblement agitait les mains du russe et murmura :
« Je n’aurais pas mal. »
« J’ai bien peur que si,
Alex… » Souffla Gregorovich en relevant une des jambes du garçon pour la
placer à hauteur de sa taille.
En fait, la sensation fut horrible
au début. Alex eut l’impression que tout son corps brûlait, que ses reins
étaient poignardés, qu’on le tailladait de l’intérieur. Il enfonça les ongles
dans les épaules de Yassen, qui l’embrassait avec tendresse, ne cessant de lui
murmurer :
« Calme-toi…pardon, Alex…j’y
vais en douceur, calme-toi… »
Le corps raidi, révolté contre
cette douloureuse intrusion, Alex hocha la tête et ravala un sanglot,
s’efforçant de respirer profondément et de détendre chacun de ses muscles, se
concentrant sur les tendres caresses qui excitaient ses mamelons et son sexe.
« Là…comme ça… »
Yassen commença à bouger et Alex
se mordit la lèvre au sang, sentant aussitôt le russe s’arrêter.
« Alex, ne fais pas ça. Tu vas
te blesser et ça ne pourra qu’empirer. Respire calmement…je suis là, je prendrais
tout le temps que tu voudras…d’accord ? »
A nouveau, Alex hocha la tête et
s’efforça de sourire. Le mouvement reprit lentement, et il sentit la douleur
refluer peu à peu, résistant au réflexe de crispation pour accepter la
pénétration. Il finit par pousser un petit gémissement et ferma les yeux, alors
que Yassen lui léchait les mamelons. Leur position avait quelque chose de
rassurant, le russe le tenait dans ses bras, lui parlant tendrement au creux de
l’oreille, caressant tout son corps en prenant peu à peu un rythme plus rapide,
en de petits mouvements qui faisaient remonter des ondes de chaleur dans le
ventre d’Alex. Lorsque Gregorovich recommença à caresser son sexe, il eut une
sorte de plainte, avalant de grandes bouffées d’air.
« Ya…ssen…je…vais…je… »
« Je sais. » Se contenta
de murmurer chaudement le russe alors que le garçon s’arquait une dernière fois
entre ses bras.
***
Terrence Black était installé
depuis deux heures environs, à moins de cent mètres de la route, abrité
derrière les ruines d’un petit village, en bordure de la Finlande…Au loin, on
devinait, comme des têtes d’épingles, les skieurs de la station frontalière, de
l’autre côté de la barrière.
Les douaniers ne savaient pas
qu’il était là et ça n’avait guère d’importance, lorsqu’ils s’en rendraient
compte, Terrence aurait obéi aux ordres qui lui avaient été communiqués.
Ils avaient changé depuis quelques
minutes à peine.
Sa première instruction avait été
de s’installer près de la frontière et d’y guetter un homme et un garçon.
Il avait ordre de tirer sur
l’homme et de s’assurer que la balle serait mortelle. Ensuite, les douaniers
ramèneraient le garçon à Moscou. L’ambassadeur en personne lui avait donné les
quelques détails de l’opération, devant témoins. Black n’avait pas posé de questions.
Pas plus que lorsque son ordre lui avait ensuite intimé d’abattre le garçon
également.
Nul doute que l’ambassadeur
préférait que cette instruction soit passée sous silence.
Tuer un enfant ne gênait pas
spécialement Terrence : ce n’était que de la chair, des muscles, des os,
simplement plus petit. Il était tireur d’élite, et il identifiait les autres
par leurs points vitaux. Ni race, ni âge, ni sexe. Jamais.
S’il ajustait convenablement son
fusil sniper, peut-être pourrait-il faucher les deux d’une seule balle. Ce
serait parfait. L’ambassadeur pourrait déplorer une bavure, et lui verserait
une prime en sous-main.
Un grondement attira finalement
l’attention de Terrence. A l’aide de ses jumelles, il vit arriver le
tout-terrain, et ne les abaissa que lorsqu’il eut la certitude d’avoir affaire
aux cibles décrites : un homme et un adolescent blond. D’une main assurée,
Terrence ajusta son fusil et releva le cache du viseur. Il avait calculé :
en visant le cou de l’homme, il aurait aussi la tête de l’enfant.
Posant ses coudes sur la neige,
Black attendit, les doigts posés sur la gâchette et les yeux rivés sur la
minuscule croix que lui renvoyait son arme.
Deux chairs, deux squelettes, deux
cœurs. Rien d’autre.
***
« Nous arrivons. D’ici deux
heures, tu seras à Helsinki. »
Alex gardait le silence depuis
qu’ils étaient remontés en voiture. Son visage s’était à nouveau fermé.
Gregorovich allait le laisser seul…et quand se reverraient-ils ? Dans deux
mois ? Six mois ? Des années ? Alex n’était pas sûr de supporter
encore la solitude après la douceur et les attentions de Yassen. Il voyait se
rapprocher la frontière avec amertume et se demandait s’il ne préférait pas une
vie de fuite permanente aux côtés du Russe.
Après avoir fait l’amour, il
s’était assoupi quelques minutes contre Yassen, savourant la chaleur et le
bien-être que lui procurait ce contact.
« Je ne veux pas retourner à
Londres. » Avait-il finalement dit en levant les yeux sur Gregorovich, une
détermination nouvelle s’enflammant dans son regard sombre.
« Tu y retourneras. Tu sais
très bien qu’il est impossible de faire autrement. »
« Yassen… »
« Je t’ai dit que je
viendrais te voir. »
« Yassen… »
« N’insiste pas. Je te
déposerais à Helsinki avec un peu d’argent et je partirais vers la Biélorussie,
comme convenu. »
Le ton était on ne peut plus
définitif. Bien sûr, Gregorovich avait raison, mais Alex détestait que la
raison bride ses sentiments. Il haïssait le MI6, les américains, toutes ces
histoires qui ne le concernaient ni de près ni de loin. Tout ce qu’il voulait,
c’était pouvoir rester avec les personnes qui l’aimaient sans qu’un
milliardaire, un psychopathe, ou les deux, vienne tout faire écrouler.
Quelque chose de chaud lui
effleura alors la joue, le tirant de ses sombres pensées. Yassen s’était penché
sur lui pour l’embrasser, devinant sans doute qu’il était triste. Alex, voyant
la frontière se rapprocher, ne réfléchit pas et se serra contre Yassen. Le
russe lâcha le volant quelques secondes pour lui caresser le visage, faisant
dévier le tout-terrain.
C’est ce qui leur sauva la vie.
Terrence Black avait déjà appuyé
sur la gâchette lorsque le véhicule avait soudainement dévié de son axe. La
balle traversa la bâche et alla s’enfoncer dans le bras de l’homme. Il n’en
fallut pas plus pour que le tout-terrain fasse une embardée et s’immobilise sur
un monticule de neige, le moteur tournant dans le vide. Des coups de feu
éclatèrent alors, précisément dans sa direction. L’homme qu’il avait blessé
savait ce qu’il faisait et semblait décidé à ne pas lui laisser une chance de recommencer.
Terrence se redressa en voyant la silhouette venir dans sa direction.
Evidemment. C’était le seul endroit où un sniper pouvait s’embusquer. Il
finirait donc le travail au corps-à-corps et s’occuperait de l’enfant ensuite.
Tirant de sa botte un couteau de combat, il se dirigea paisiblement vers
Gregorovich.
***
Lorsque Yassen avait poussé un cri
de douleur, Alex avait paniqué, comprenant rapidement qu’on les agressait. Mais
lorsque le tout terrain était sorti de la route, il avait donné de la tête
contre le tableau de bord, n’entendant plus ni la voix de Gregorovich, ni le
grondement du moteur. Lorsqu’il parvint à se redresser, il sentit le goût du
sang sur sa langue et bougea tout son corps, craignant que quelque chose ne
réponde plus.
Mais hormis une belle plaie au
front, il était entier.
En revanche, Yassen…
La balle avait rendu son bras
inutilisable : il pendait le long de son corps, de longues rigoles sombre
se dessinant à la surface de sa veste, qui portait de profondes traces de
lacération à hauteur du torse et de la gorge. L’odeur écoeurante du sang
emplissait la voiture et le regard du russe était comme voilé. Néanmoins, il
sourit à Alex :
« Tu va bien… »
« Qu’est-ce…qui s’est
passé ? » Balbutia Alex, qui sentait des larmes de panique lui
piquait les yeux, alors qu’un filet de sang lui coulait le long du visage.
« Un tireur embusqué. Il a
raté son coup, heureusement. Ha… »
Yassen émit un grognement de
douleur et porta les mains aux plaies sur son torse.
« Enfin…en partie. Attache-toi,
nous repartons. Les douaniers pourraient bien venir faire une ron… »
Puis le silence.
Terrifiant, ce silence, alors que
l’odeur tournait la tête d’Alex.
« Yassen ? »
Pas de réponse. Le russe avait
fermé les yeux, son corps avachi sur le siège.
« Yassen !!! »
Alex se redressa, ignorant la
douleur qui labourait son crâne et posa une main tremblante sur la gorge de
Gregorovich. Le cœur battait.
Bien sûr, ils auraient pu rester
là…attendre que Yassen se réveille, reprenne la voiture…Yassen qui se vidait de
son sang.
Le moteur du tout-terrain tournait
toujours. Alex se força à respirer calmement. La frontière était tout près, il
s’agissait tout au plus de vingt minutes à pied…et dix minutes en voiture. Les
douaniers avaient du les repérer, ou ne tarderaient pas à le faire, et Alex
n’avait pas de passeport.
Il se passa une main sur le
visage, essuyant le sang qui coulait, et se dégagea de son siège, sa décision
prise.
***
« Monsieur Blunt, je viens de
recevoir un avis de la frontière. »
L’ambassadeur américain semblait
nerveux.
« Ils ont arrêté Rider et
Gregorovich ? »
« Pas exactement… »
Répliqua l’ambassadeur en serrant les poings sur son bureau « Mais ils les
ont vu passer. »
« Comment ça ? »
« Votre…petit espion conduit
remarquablement bien pour un adolescent de 14 ans. Il a littéralement défoncé
la barrière au tout-terrain. Apparemment, il tenait suffisamment bien la route
pour s’arrêter au premier village finlandais. »
Madame Jones s’était assise et
restait silencieuse, mais parut satisfaite des nouvelles :
« Dans ce cas, nous allons
prendre l’affaire en main. Monsieur Freeman va contacter le gouvernement
Finlandais pour que nous puissions rapatrier Alex à Londres. »
« Une seconde ! Je vous
rappelle que ce garçon est coupable d’attentat envers États-Unis d’Amérique et
de fraude aggravée en Russie, j’exige qu’il soit expatrié ! »
L’ambassadeur avait tapé du poing
sur la table. Alan Blunt ne cilla pas mais se leva posément.
« Je comprends…C’est la
procédure en effet. De notre côté, nous tâcherons de déterminer l’origine de ce
sniper retrouvé mort près de la frontière…Vos agents ne sont pas discrets,
monsieur l’ambassadeur… »
Blunt jeta sur le bureau un papier
plié.
« Ils remettent leur rapports
à n’importe qui. »
L’ambassadeur se figea quelques
secondes.
« En fait, nous pensons que
Gregorovich pouvait être sa cible…est-ce très prudent de tirer sur un homme qui
détient un enfant, dites-moi ? Qu’en dirait l’opinion ? Ne serait-ce
pas préférable de ne pas nous embarrasser davantage de ces procédures pesantes,
monsieur l’ambassadeur ? » Interrogea Madame Jones en se levant à son
tour.
Il y eut un silence, puis Alan
Blunt reprit :
« Nous allons nous retirer,
maintenant que cette affaire est terminée, et nous occuper d’Alex Rider. Ils ne
vous causera plus aucun souci et vous présentera…mmmh…des excuses. »
« Et Yassen
Gregorovich ? »
« Inutile d’espérer lui
mettre la main dessus pour le moment. D’après ce que nous savons, Alex Rider a
appelé sa gouvernante depuis Helsinki. Je doute que Gregorovich soit resté avec
lui. »
***
« Tu ne manges
pas ? »
« Je n’ai pas faim,
Jack. » Rétorqua Alex en montant les escaliers vers sa chambre, la tête
basse.
Depuis qu’il était revenu de
Finlande, il semblait plus sûr de lui, plus à l’aise…mais plus triste aussi. Il
n’avait pas desserré les dents au sujet de son « enlèvement » et le
MI6 avait maintenu sa thèse d’endoctrinement. Ils avaient promis à Alex de le
protéger de Gregorovich. Jack en avait été rassurée, et le dorlotait, essayant
difficilement de le faire sourire.
Ce n’était pas pareil.
Alex adorait Jack, bien sûr. Il ne
pouvait pas se passer d’elle…
Mais Yassen…
Il se laissa tomber sur son lit et
contempla le plafond…bien sûr, le russe avait promis de venir le voir. Après la
frontière, Yassen s’était réveillé et avait péniblement réussi à mener la
voiture jusqu’à Helsinki, avant de disparaître, sans un mot, sans un au revoir.
Le MI6 s’était étonné de ne pas l’avoir retrouvé dans un des hôpitaux de la
ville, mais Alex en savait suffisamment pour se douter que jamais Gregorovich
n’aurait commis une bêtise pareille.
Pendant qu’il était en Russie,
l’été avait définitivement pris fin à Londres, et le temps n’était qu’un écho à
ce qu’il ressentait : gris, froid, pluvieux. Alex pleurait sans comprendre
pourquoi, restait des heures, assis et silencieux. Il attendait. C’était tout
ce qu’il pouvait faire, attendre…
« Alex ? Un de tes
copains a déposé ton CD dans la boîte aux lettres avec un petit
mot ! »
« Mon CD ? »
Jack était entrée et lui tendit
une enveloppe griffonnée :
« Merci pour le CD et désolé
pour l’attente. Yann Gassey. »
Yann Gassey. Y G. Alex déglutit et
se força à sourire à Jack.
« Oui, je lui avais demandé
de le déposer à la maison…Merci. »
« Tu es sûr que tu ne veux
rien manger ? »
« Pas pour le moment. Mais je
verrais tout à l’heure. »
Jack lui passa une main dans les
cheveux et sortit en soupirant.
Doucement, Alex décacheta
l’enveloppe et y trouva un CD gravé, où était inscrit le dernier titre d’Oasis.
Il se leva et ouvrit le lecteur de l’ordinateur, dans lequel il le glissa. La
première piste se mit en marche et la voix de Yassen retentit dans les
haut-parleurs.
« Bonjour Alex. Comme tu
vois, j’ai fait aussi vite que j’ai pu…Je sais que je t’ai fait peur à
Helsinki, mais il était trop dangereux de rester avec toi. Le MI6 n’est
pas toujours efficace mais étant donné les circonstances, je suppose qu’ils
t’ont mis la main dessus peu après ton arrivée. Rassure-toi, je vais bien, la
blessure de mon bras est pratiquement guérie et je n’en garderais pas de trace.
Je sais que tu vas bien aussi, mais je me doute que ton esprit n’est pas
tranquille. Je te l’ai promis, je viendrais te voir, te parler, et pas au
travers d’un enregistrement. Je ferais tout ce que je pourrais. N’inquiètes pas
ta gouvernante, essaie de lui sourire. Pense que je t’aime, Alex. »
Il y eut un silence, puis Yassen
reprit, sur un ton légèrement plus sensuel :
« J’ai mis une deuxième piste
sur ce CD…un morceau de blues que j’aime particulièrement. Tu te demandais
pourquoi je te parlais en russe l’autre fois, voilà ce que je voulais te
dire… »
Le CD eut un silence, puis passa à
la seconde piste.
***
« Je savais pas que tu aimais
le Blues. » S’étonna Jack alors qu’Alex remettait le morceau au début.
« Tu ne l’écoutes pas sur ta chaîne ? »
« Le son n’est pas bon. Et
puis je n’aime pas le blues…juste cette chanson. Elle me rappelle de bons
souvenirs. » Fit Alex en souriant. Jack lui pinça la joue :
« Moi du moment que ça t’ôte
ce petit air boudeur, je peux supporter n’importe quel musique. Tu as
l’air d’aller mieux depuis quelques jours.»
Alex hocha la tête. Son regard
brillait.
Les accords Blues emplirent le
salon alors que la voix chaleureuse de Billie Holiday fredonnait :
You're
so desirable
I just can't resist you
You're so desirable
I have to give in
That tirm resolve I made
Has vanished away now
I'm happy to say now
You win
FIN
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