Déicide | By : Andarta Category: French > Anime Views: 1075 -:- Recommendations : 0 -:- Currently Reading : 0 |
Disclaimer: I do not own the anime/manga that this fanfiction is written for, nor any of the characters from it. I do not make any money from the writing of this story. Only the OC are mine. |
Auteur : Andarta
Genre : Euh ? Espionnage, Angst, Yaoi, du tout et n’importe quoi…
Couple : Aucun pour le moment
Résumé : Nyalors… Qu’avons-nous cette fois-ci ? ? ? Un Dragon toujours malmené, un retour héroïque pour le Lion et un adversaire hargneux pour le Cygne…
Notes :
(1) Nyannette toujours en bêta ! ! Mici pour tes conseils, Nyannette ! ! (Et voui, elle tient le choc ! ;p) ^^
(2) Désolée du retard... Mais je ne peux passer tout le temps que je voudrais à l'écriture... Il y a aussi la vie réelle... ;;
DEICIDE
Chapitre 3
– Sanctuaire de Délos, tôt le matin –
Ce ne furent pas les premiers rayons du soleil glorieux qui tirèrent du sommeil Kanon. Encore moins les gentils gazouillements des oiseaux. Ni même le cri strident, répétitif et absolument agaçant du réveil électronique. Non… Il ne se réveilla pas non plus de façon naturelle, il dormait bien trop profondément… Rien de tout cela ! ! Que nenni ! ! Car ce qui éveilla en sursaut le bel endormi, ce fut bien l’entrée en fanfare de quatre hommes et femmes dans sa chambre qui le secouèrent aussi délicatement qu’un tapis qu’on battait en lui intimant de se dépêcher s’il voulait assister à la cérémonie du Lever !
Kanon, totalement hagard, la tête enfarinée comme il n’était pas permis, ne comprit rien du tout à ce qu’il se passait. Il se demandait où il était et cherchait même à se rappeler de son propre nom, mais son cerveau refusait de se remettre en service après seulement trois petites heures de sommeil… Et les exhortations des quatre énergumènes ne l’aidaient absolument en rien. Il était en train de se frotter le crâne en bâillant à se décrocher la mâchoire lorsqu’un frisson glacial le parcourut. Il se redressa, stupéfait, constatant avec hébétude qu’on venait de lui…
… ôter tout bonnement le drap alors qu’il était nu…
Il n’eut même pas le temps de protester qu’on le fit se lever sans aucune considération pour sa pudeur à l’agonie et, lorsqu’il fit mine de chercher autour de lui de quoi se vêtir, l’une des femmes lui prit fermement le poignet pour le forcer à se mettre en marche tel qu’il était. Kanon émit une vague objection, qui se perdit dans le flot de paroles de ses tourmenteurs, et trébucha, manquant de tomber lourdement en se prenant les pieds dans le drap…
Escorté ainsi par les deux femmes et les deux hommes, Kanon, qui émergeait avec la plus grande difficulté, traversa tout le bâtiment, qui faisait office de Grand Palais, offrant le spectacle ravissant de son corps exposé dans le plus simple appareil, sans artifice aucun, à ceux qui étaient déjà là et qui s’activaient pour la cérémonie du matin. Il entendit quelques sifflets, un ou deux rires, et perçut à peine tous les regards qui convergeaient sur lui. S’il s’en était rendu compte, il aurait probablement rougi, mais là, il finissait sa nuit comme il pouvait, l’esprit en mode pilotage automatique…
Perdu dans son brouillard cotonneux, entre rêve et réalité, le Gémeaux ne vit pas arriver le danger. Il s’immobilisa dès qu’on cessa de le tirer, attendant passivement qu’on lui dise d’aller se recoucher. Ses yeux se refermaient tout seuls et il était sur le point de s’endormir debout. Rien ne comptait plus en ce moment que son lit douillet et l’abandon total au sommeil. Alors qu’il se demandait vaguement ce qu’on lui voulait à la fin, il ressentit une poussée brutale dans le dos et il bascula en avant sans pouvoir se rattraper à quoi que ce soit. Il hurla avant de s’abattre de façon fort peu élégante dans l’eau tiède et parfumée d’un bassin, en un plat mémorable et une envolée de cheveux turquoise emmêlés.
Kanon, violemment sorti de sa léthargie, refit surface en crachotant comme un chat furieux et en lançant une bordée d’injures très colorées. Non, mais c’était quoi, ces manières ? ! On le réveillait en plein milieu de la nuit, on l’emmenait nu à travers tout le bâtiment pour le jeter à l’eau ! ! Etaient-ce des façons de traiter un ambassadeur d’un autre Sanctuaire venu en paix ? ? Il allait leur montrer qu’il ne fallait pas abuser de sa patience ! ! Son regard luisant de colère se posa sur ses tortionnaires et empêcheurs de dormir en paix et il fit brusquement flamber son cosmos.
Et là… Ce fut la totale stupéfaction pour Kanon qui se retrouva pris pour cible par une bonne dizaine d’Archers alors que ce qui semblaient être des Musiciens venaient de prendre une posture carrément hostile, prêts à déployer leurs mélodies mortelles à son encontre. L’ex-Dragon des Mers comprit qu’il avait plutôt intérêt à se calmer. Il n’était guère en position pour entamer un combat, d’autant plus qu’il ignorait la force réelle de ses adversaires… Il inspira profondément, expira, répétant l’opération jusqu’à ce qu’un semblant d’apaisement lui vienne. Son cosmos s’éteignit et il leva les mains en signe de non-agression. La partie adverse, ne se sentant plus inquiétée, cessa aussitôt de le menacer et retourna vaquer à ses occupations.
Avant que Kanon ne puisse encore une fois se défiler ou même protester, les deux femmes entrèrent dans l’eau et avancèrent vers lui sans hésitation. Sur un plateau flottant, divers flacons colorés renvoyaient des éclats chatoyants variant selon l’éclairage. Le Dragon des Mers, impuissant et ne comprenant absolument rien à ce qu’il se passait, se retrouva lavé des pieds à la tête, sans que rien ne soit laissé au hasard, shampouiné avec soin, rincé, séché – étrillé, selon lui, vu la vigueur qu’elles déployaient durant cette opération –, parfumé et coiffé avant de se découvrir habillé d’une élégante tunique à fibules ornée d’un galon jouant sur les tonalités de bleus… On lui mit aussi des sandales à lacets qui n’avaient rien à voir avec ses chaussures ordinaires et on le para avec quelques ornements en or.
Une fois tous ces préparatifs achevés, on l’invita fermement à rejoindre la foule qui commençait à s’amasser le long du parvis du temple, tout en lui indiquant qu’il devait se placer au premier rang, puisqu’il était un invité d’honneur. Le Dragon des Mers obéit sans dire un mot, notant au passage que tout le Sanctuaire de Délos devait être rassemblé là… Et il fut étonné de découvrir qu’il y avait aussi des gens extérieurs au Domaine… Stupéfait, il regarda cette assemblée bigarrée, visiblement dans ses plus beaux atours et déjà très excitée… L’aube commençait à peine à poindre…
Kanon, en tant que Chevalier et ex-Général en chef, évaluait la situation d’un œil critique et désapprobateur : comment assurer la protection du Sanctuaire s’il était ouvert au premier venu ? Et après, la Pythie s’étonnait que le Domaine ait subi une offensive aussi grave ? ? Mais elle était aveugle ou quoi ? ! N’importe quel ennemi pouvait entrer et y faire tous les dégâts qu’il voulait ! Il n’y avait aucune sécurité, aucun contrôle d’après ce qu’il voyait ! Rien ! ! Alexandra était vraiment irresponsable, ce n’était pas possible autrement…
D’ailleurs, en parlant de cette chère, tendre, adorable… enfin bref, de cette horripilante jeune femme, Kanon tendit l’oreille et surprit le bruit d’une porte qui claquait et des pas rapides qui remontaient le couloir alors que des ordres étaient lancés sur un ton rogue. Tiens, la demoiselle était de mauvaise humeur en ce jour ? Et pourquoi donc ? Ne devait-elle pas souhaiter la bienvenue à l’astre solaire ? Elle devrait être heureuse, au contraire ! De quoi se plaignait-elle ? Ce n’était pas elle qu’on avait réveillée sauvagement et malmenée pour la planter là en attendant que ça se passe…
Il la vit arriver au même moment que les autres spectateurs et il se sentit tout à coup bien insignifiant… Elle était vraiment superbe et son charisme semblait s’être encore accru avec cette tenue rituelle. Lui laissant une épaule entièrement découverte, elle portait un long péplum écru, ceinturé par une cordelette de fils d’or torsadés tandis que de longs voiles légers et transparents pendaient dans son dos. Ses bras étaient ornés de bracelets serpentins alors qu’à sa gorge luisait un magnifique ras de cou aux trois ors tressés. Elle était légèrement maquillée, son regard avait acquis une beauté surréaliste grâce au khôl, sans compter l’éclat des bougies qui se reflétaient sur ses prunelles, leur rajoutant encore une bonne dose de mystère. Sa chevelure avait été disciplinée et ramenée en arrière par un bandeau aussi écru que la tunique mais ses tresses colorées étaient toujours présentes, rassurant Kanon sur le fait qu’il avait bien affaire à la même personne que la veille. Personne d’ailleurs couronnée de laurier qui ombrait son front comme pour mieux en souligner les traits délicats et l’expression parfaitement sereine…
Un silence impressionnant s’était fait parmi les spectateurs. Les officiants étaient eux-mêmes muets, alors que la Pythie restait immobile, guettant l’apparition de l’orbe solaire. A l’instant même où le premier rayon apparut, Alexandra leva lentement les mains dans un geste accueillant. Les Vierges d’Apollon allumèrent des centaines de bâtonnets d’encens et les Musiciens se mirent en position. Il y eut un léger murmure qui s’amplifia et devint un chant cristallin d’une rare pureté – et pourtant, Kanon avait côtoyé les Sirènes – accompagnant la lente progression de l’astre, dont la lumière balayait les ombres. Le Dragon des Mers regardait, véritablement fasciné, la Pythie, qui, les yeux fermés, mains levées et cosmos flamboyant légèrement, chantait avec toute son âme. Elle fut bientôt accompagnée d’un chœur de Vierges et du son mélodieux des instruments. La musique n’était pas violente, au contraire. C’était une mélopée d’une délicatesse incomparable, au rythme lancinant où les notes cascadantes se poursuivaient sans pour autant se heurter… Absolument envoûtant…
Kanon, séduit comme tous les autres, écoutait dans un silence religieux, le cœur apaisé et l’esprit captivé. Il suivait attentivement les paroles, se laissant porter par cette chanson digne des dieux, rêvant de paix et d’amour… D’amour ? ? Il revint brutalement sur terre. Depuis quand rêvait-il d’amour, lui ? ! Il fronça les sourcils et écouta plus attentivement les paroles que prononçait Alexandra… Et il dut se rendre à l’évidence : sous des dehors très policés, et même si l’ensemble était lyrique, la belle Pythie chantait à la gloire de son amant… Oh ! La coquine ! ! Apollon le savait-il ? Les femmes du Sanctuaire du dieu solaire n’étaient-elles pas censées rester chastes ? ? Kanon imaginait déjà le scandale qu’une telle révélation ferait parmi les serviteurs d’Apollon… Il avait envie de pouffer de rire : la Pythie qui chantait son amour pour un autre au moment du lever du soleil et aucun de ces idiots qui l’entouraient n’avait compris le message ! Elle ne manquait pas de culot, cette chère Alexandra !
Au moment où l’astre solaire fut entièrement visible, le chant atteignit son apogée, le chœur et les musiciens laissant la Pythie terminer seule. Elle ouvrit ses yeux de la couleur de l’or en fusion et son cosmos s’embrasa brutalement, prenant une teinte aussi orangée que le soleil levant. Il balaya sans prévenir tout le Domaine sacré d’une onde de choc qui ne fit pourtant aucun mal aux témoins… La Grande Prêtresse d’Apollon venait simplement de les bénir et de renforcer la puissance purificatrice du Sanctuaire… Il n’y avait rien à redouter à cela, et Kanon le comprit en se sentant allégé de tous ses remords. C’était comme si cette vague de cosmos lui avait permis de retrouver son innocence… Et pour la première fois depuis son arrivée sur Délos, le Gémeaux commença vraiment à saisir toute l’importance et la puissance du domaine d’Apollon. Ce dieu pouvait pardonner, purifier, connaître l’avenir et créer des merveilles en plus d’apporter la lumière… Le faire disparaître, c’était laisser le chaos gagner dans les grandes largeurs, et cela, il ne le fallait pas !
Les spectateurs commencèrent à se disperser calmement, redescendant pour la plupart la colline sacrée pour retourner dans leur village. Kanon regagna l’abri du temple, regardant les Musiciens se retirer avec leurs instruments en passant tous par le même endroit alors que les Vierges nettoyaient ce qui restait des bâtonnets d’encens et rangeaient le désordre sur le parvis. Alexandra avait déjà disparu à l’intérieur du bâtiment, dans une envolée de voiles. Le Chevalier se sentait franchement perdu : qu’était-il censé faire maintenant ? Se recoucher ?
Il n’eut pas l’occasion de se poser trop longtemps la question. Un serviteur lui prit le bras sans un mot et l’emmena d’un pas décidé dans le temple, le guidant vers le salon où il avait déjà pris ses repas la veille avec la Pythie. Il entra dans la pièce où trônait de manière artistique de quoi sustenter tout un régiment. Le serviteur lui indiqua d’attendre que son hôtesse revienne avant de disparaître et de le laisser de nouveau livré à lui-même. Kanon poussa un soupir de résignation : y avait-il seulement un espoir pour qu’il regagne sa couche ? Non, il ne devait pas y penser. Selon toute vraisemblance, sa journée avait déjà bel et bien débuté, même s’il n’était pas tout à fait d’accord…
Le bruit d’une porte claquant violemment et d’une voix coléreuse interrompit net son attente.
– … question ! ! J’ai d’autres points beaucoup plus importants à voir aujourd’hui ! ! Je ne porterai ces frusques sous aucun prétexte ! !
Ce fut une véritable tornade habillée d’une tunique écrue qui fit son entrée, le visage rouge d’indignation et les cheveux plus rebelles que jamais. Alexandra s’arrêta, les poings sur les hanches, fulminante, le saluant d’un bref hochement de tête avant de lui tourner le dos d’une pirouette pour faire face à la servante qui l’avait poursuivie en tenant dans ses bras ce qui semblait être une autre tunique rituelle.
– Votre Altesse, vous devez porter ceci, c’est la tradition…
D’un geste excédé, la jeune femme secoua la tête alors qu’elle dénouait la ceinture de sa tunique sous les yeux éberlués d’un Dragon des Mers qui n’en revenait pas. Elle n’allait tout de même pas se déshabiller ici, devant lui ? Elle était complètement folle ! ! Et que faisait-elle de la pudeur ? Il rougissait déjà d’anticipation et devint carrément cramoisi en constatant qu’elle dégrafait la fibule qui maintenait le péplum accroché à son épaule. Ce dernier glissa dans un bruit soyeux et le Général, figé, les yeux écarquillés, resta bouche bée, l’air totalement stupide. Car sous le tissu de soie, la Pythie portait un jean blanc et un petit top jaune pâle… Ce qui eut l’air de profondément choquer la malheureuse servante qui voulut immédiatement l’envelopper dans l’autre tenue afin que " Son Altesse " soit plus décente… Mais d’un grand pas en arrière, l’expression furibonde, Alexandra se mit hors de sa portée et la menaça de son regard glacial. Elle avait dit non, c’était non. Il n’y avait pas à discuter.
Considérant le sujet clos, elle fit face de nouveau à Kanon et l’invita d’un sourire à prendre place à table, tandis que ce dernier tentait de récupérer sa contenance, malgré la vue plus que plongeante sur un décolleté affolant. Oh, la belle Thétis pouvait retourner sur ses coraux ! Alexandra avait des atouts bien réels, trop réels… On n’avait pas idée d’exhiber une poitrine digne d’être le modèle des artistes de ce Sanctuaire ! Et si Kanon n’avait jusque-là pas fait particulièrement attention à l’autre sexe, il devait reconnaître que là, il avait intérêt à maîtriser ses instincts. Il avait l’impression que la Pythie jouait de sa séduction exprès pour le déstabiliser et ça fonctionnait totalement ! Il n’arrivait plus à être aussi objectif que la veille… et tout ça à cause d’un jean moulant et d’un petit top microscopique ? ? Il en était mortifié…
Ils se servirent sans rien dire et commencèrent à manger en silence, Alexandra récupérant des couleurs normales au fur et à mesure qu’elle se calmait. Au bout d’un moment, alors qu’il terminait sa tartine grillée, il n’y tint plus. Sa curiosité reprit le dessus. Il lança un coup d’œil à la jeune femme, qui sirotait calmement son bol de lait, visiblement perdue dans ses pensées, et lui demanda brutalement :
– Dites, votre Dieu n’est pas jaloux ?
Alexandra le regarda sans comprendre, totalement déroutée par cette question inattendue. Kanon reprit alors, un air taquin s’allumant dans ses yeux :
– Votre chanson était bien une chanson d’amour destinée à votre amant, non ? Apollon ne le sait pas ? Je vous trouve plutôt hardie pour déballer vos sentiments devant tant de monde…
Elle resta un moment interdite, parfaitement immobile, sans réaction. Kanon crut bien qu’il avait réussi à mettre le doigt sur un sujet aussi sensible que croustillant et il savourait déjà sa victoire. Mais bientôt, la Pythie se remit à boire son bol tranquillement, sans même que son teint n’ait varié d’une demie nuance. Kanon ne comprenait pas un tel aplomb : ne risquait-elle pas la mort si son secret était découvert ? Il se devait de l’avertir, non ? Si lui avait compris, d’autres finiraient par le faire également…
– Alexandra, cette situation est dangereuse, il faut que vous soyez plus prudente…
La Pythie reposa son bol et s’essuya les lèvres avec application alors que son regard commençait à s’assombrir. Kanon l’agaçait. Elle finit par répondre d’un ton incisif :
– Mêlez-vous de vos affaires, Chevalier d’Athéna. Vous parlez à la première épouse d’Apollon et vous salissez mon honneur avec votre méprise. Vous n’êtes qu’un âne bâté ! Revoyez vos bases d’urgence !
Un instant surpris par la réplique mordante de son hôtesse, Kanon ne se démonta pas et l’observa avec une lueur goguenarde dans les yeux. Serait-il parvenu à déstabiliser la Grande Prêtresse d’Apollon, lui, le modeste Chevalier d’Athéna ? Il passa sur l’insulte plutôt surannée et apprécia la saveur particulière de cette petite victoire. Même s’il devait admettre qu’il s’était fait rembarrer en beauté. Certes, il avait oublié le statut particulier dont jouissait la Pythie auprès de son Dieu, mais elle pouvait être plus… diplomate dans sa formulation, non ?
– Aurais-je été indiscret, chère hôtesse ?
Les yeux d’Alexandra se plissèrent et elle se redressa sensiblement, les poings serrés. Mais contrairement à ce qu’attendait Kanon, elle n’explosa pas. Elle se contint, levant un sourcil indifférent, et elle arbora un air détaché. Elle finit par desserrer ses mains et elle joua un bref instant avec les miettes de pain perdues sur la nappe avant de rétorquer :
– Vous l’avez été, effectivement. Je ne vous demande pas qui a été votre dernier amant, que je sache… De toute façon, il serait inutile de me le dire, je pourrais très bien le deviner toute seule… Au même titre que votre passé plus que discutable, Kanon du Dragon des Mers…
Le Gémeaux prit une nouvelle fois sur lui, même si l’allusion était plus transparente que l’eau de roche. Il avait la très nette sensation que la discussion pour le traité venait de débuter et cela s’annonçait plus corsé qu’il ne s’y attendait. Finalement, Alexandra n’avait franchement rien d’une tête en l’air et quelles que soient ses mystérieuses capacités, il était un fait établi qu’elle était tout aussi dangereuse que n’importe quel guerrier d’Athéna. Ce n’était certainement pas une combattante, mais son intelligence et son sixième sens ultra développé compensaient largement. Sans compter l’appui incessant du Dieu qu’il avait lui-même ressenti à plusieurs reprises à travers le cosmos de la jeune femme… Quelle étrange osmose liait la divinité à la mortelle, se disait le Chevalier.
Il venait à peine de terminer son petit déjeuner qu’Alexandra se leva, aussitôt imitée de Kanon, et se dirigea vers la porte qu’il avait empruntée plus tôt, le frôlant au passage. Le Gémeaux avala sa salive en la maudissant de le provoquer aussi ouvertement. Elle le guida en silence à travers quelques couloirs avant d’entrer dans une autre pièce, un peu plus vaste que la précédente, dont le centre était occupé par une table élégante mais simple autour de laquelle plusieurs chaises attendaient de remplir leur office. Sur la plane surface en bois, deux pochettes colorées avaient été mises là à leur intention.
La Pythie se mit d’autorité en bout de table alors que Kanon se plaçait face à l’autre dossier. Sans un mot, la jeune femme s’installa, ouvrit la pochette et lut la première mouture qui poserait les bases du pacte avec le Sanctuaire d’Athéna. Le Chevalier fit de même, tout en se demandant comment il allait bien se sortir de ce pétrin. Il n’avait aucun talent pour ce genre de travail… A quoi cela rimait-il alors ? A part son enquête qui s’était vue stoppée net alors que de nouveaux mystères étaient venus épaissir l’énigme de Délos, il n’avait aucune des compétences requises pour négocier. Bon, il savait tout de même bluffer et il manipulait comme personne… Mais ce qui était valable pour tout un chacun ne l’était absolument pas pour cette Pythie. S’il s’amusait à la tromper, il était certain qu’elle le saurait aussitôt, et par extension, Apollon aussi… Rhaaa ! ! ! Mais comment allait-il faire ? ? Il ne devait pas léser le Sanctuaire d’Athéna dans ce pacte !
– Vous vous prenez la tête avec des détails, Kanon, ce n’est guère dans vos habitudes. Vous feriez mieux de cesser avant de récolter une bonne migraine…
Alexandra n’avait même pas relevé le nez de son dossier. Seul un sourire en coin trahissait son amusement. Kanon se renfrogna et se mit à lire à son tour… Mais il poussa vite un soupir d’exaspération : il n’y comprenait rien ! ! Il y eut un rire mutin venant de sa gauche et il ne put s’empêcher de lancer un regard noir à la Pythie. Ce n’était pas drôle ! Il finit par poser ses grandes mains sur la surface de bois et calmement déclara :
– Alexandra, j’aimerais que vous me fassiez un résumé de ces documents. Cela serait très aimable de votre part.
La jeune femme lui lança un regard taquin et rétorqua :
– Mais vous êtes l’ambassadeur d’Athéna, mon cher. Je ne vois pas pourquoi vous me feriez confiance…
Le Dragon des Mers affronta les prunelles mordorées sans fléchir :
– Pourquoi me mentir ou tenter de me duper ? Vous êtes la Grande Prêtresse d’Apollon, un dieu qui s’accommode mal avec le mensonge. Votre Sanctuaire est en ruines, vous avez des difficultés pour le remettre en état… Ma bien-aimée déesse est en mesure de vous aider. Ne voulez-vous donc pas que Délos retrouve sa splendeur ?
– Pas à n’importe quel prix.
Alexandra venait de s’entourer d’une aura glaciale et s’était redressée. Mains croisées sur ses papiers, elle fixait le Chevalier sans aucun signe de faiblesse. Au bout de quelques secondes de silence, elle reprit :
– Le Sanctuaire de Délos ne se mettra jamais sous la tutelle de celui d’Athéna. Apollon a tenu à garder jusqu’ici une certaine neutralité et prendre le parti d’Athéna serait rompre cette neutralité.
Kanon secoua la tête lentement :
– Cette neutralité, dont vous vous targuez, est caduque. La réincarnation d’Apollon a été enlevée, son Sanctuaire presque entièrement rasé… Ne voyez-vous pas que quelqu’un d’autre s’en est totalement contrebalancé ? Peut-être serait-il temps de reconsidérer votre position ?
La Pythie se ferma, son regard partit dans le vague durant un bref moment, puis quelques instants plus tard, elle sembla revenir au présent, se fixant à nouveau sur son hôte :
– Zeus interdit tout pacte entre Olympiens… Et ce n’est pas parce qu’Athéna est sa fille préférée qu’il laissera passer un tel accord. Faire alliance serait comme signer un aller simple pour le Tartare…
Kanon allait répondre mais n’en eut pas le temps. Alexandra s’était levée et regardait pensivement l’astre solaire qui étincelait de mille feux dans le ciel pur du Sanctuaire. Elle passa une main dans ses cheveux et continua :
– … cependant, Délos a déjà conclu plusieurs pactes avec d’autres divinités… Et Athéna semble être une alliée de premier ordre.
Kanon la regardait avec étonnement : il craignait de comprendre le sous-entendu… Avait-elle bien suggéré qu’Apollon se rebellait contre le dieu suprême de l’Olympe en toute connaissance de cause et en dépit des conséquences ? Pourquoi s’était-il engagé dans une telle politique ? Il devait bien y avoir une raison ? ! Et cette attaque n’était-elle pas finalement un avertissement avant de vraies représailles de la part du roi des dieux ?
– Quoiqu’il en soit, Kanon, Délos ne sera prêt à conclure un pacte avec Athéna que sous certaines conditions. Il est tout à fait inutile de chercher à les négocier.
Elle se tourna vers lui et planta de nouveau son regard dur et empli de sagesse dans les yeux turquoise :
– Aucune ingérence du Sanctuaire d’Athéna sur Délos ne sera acceptée, pas plus que la présence de ses Chevaliers dans le Domaine sans de réelles justifications. Délos gardera entièrement son indépendance, quels que soient ses choix et sa ligne politique. Nous acceptons la main tendue de votre déesse pour la reconstruction des bâtiments, aussi bien financière qu’humaine, et, à ce titre, nous enverrons toute l’aide qu’Athéna aura besoin à l’avenir dans la mesure de nos compétences.
– En gros, chacun chez soi et tout ira bien, c’est ça ? remarqua le Chevalier avec amusement. Le pacte avec ma déesse risque de rompre pour de bon le bel effort de neutralité dont vous vous êtes targuée, il y a quelques instants. Pourquoi prendre un tel risque ? Que craignez-vous, Alexandra, pour vous allier à la déesse de la guerre ?
La Pythie revint à sa place devant le dossier, s’assit et sembla réfléchir quelques instants avant de répondre, confirmant les soupçons de Kanon quant à ses doutes.
– Délos est très bien protégé. Seuls ceux dont l’âme est pure ou a été purifiée peuvent pénétrer sur son territoire. Votre âme a été lavée de vos fautes avant notre entrée dans le Domaine, hier. Seulement, cette protection ne tient que si Apollon est présent ou si la Pythie est là pour relayer sa puissance. Ceux qui ont attaqué le Sanctuaire…
– … l’ont fait durant votre absence, ce qui explique comment ils ont pu passer vos défenses aussi facilement, compléta Kanon, qui tentait de remettre les pièces du puzzle en place. Mais la réincarnation d’Apollon était là, comment se fait-il…
La Pythie joignit les mains devant son visage sombre, les coudes posés sur la table et elle parla sur un ton monocorde :
– Il n’a que cinq ans. Apollon ne s’était pas encore manifesté… Il ne l’a fait que depuis son enlèvement, par la force des choses… Je ne sais ce qui arrivera à l’enfant s’il se manifeste trop souvent.
Elle baissa la tête, dérobant pudiquement à la vue de Kanon une larme qui menaçait de la trahir. Mais le Chevalier, abasourdi, reprit :
– Pourquoi ne dit-il pas où il est exactement pour qu’on aille le délivrer ?
Les mains de la jeune femme se crispèrent et ce qu’elle déclara eut l’effet d’un couperet :
– Ce qui doit advenir adviendra.
Kanon sentit un long frisson dévaler son échine et il resta à la regarder sans savoir que penser. Alexandra était en contact avec le dieu et elle laissait faire les choses. Mais pourquoi ? C’était insensé ! Que savait-elle au juste ? Pourquoi cette inquiétude qu’il ressentait derrière chacun de ses mots ? Il avait la très nette impression qu’on lui cachait la vérité, que quelque chose d’important se tramait, mais comment parvenir à découvrir les secrets de Délos ? Et que venait faire Athéna là-dedans ? Il était perdu.
– Votre déesse défend l’humanité et un certain nombre de valeurs qui sont chères aussi à mon dieu et tant qu’Apollon ne sera pas en mesure d’exercer sa pleine puissance, Délos restera vulnérable. Et cela devrait encore durer plusieurs années, mais je redoute… J’espère seulement… qu’Apollon demeurera endormi pendant quelques temps encore… Sa réincarnation n’est encore qu’un enfant, il est si jeune… et Apollon…
Le Dragon des Mers ne put que l’observer sans dire un mot, totalement largué devant ce discours haché. Il ne comprenait vraiment plus rien du tout et il ne chercha pas non plus le sens des paroles de la Pythie. Cette dernière venait de redresser sensiblement les épaules et après un instant où elle sembla se recueillir, elle reprit sur un ton moins dramatique :
– La situation de Délos est grave, vous le savez, Kanon. Et il n’y a pas que Délos qui soit dans cet état-là. Ortygie, le Sanctuaire d’Artémis, est dans une situation encore pire. Il est plus que temps de se serrer les coudes, voilà pourquoi j’accepte, au nom d’Apollon, l’alliance avec Athéna sous les conditions énoncées précédemment. De mon côté, je ne me mêlerai pas non plus de vos affaires et je ne viendrai ou j’enverrai un messager que pour vous signaler un danger imminent et seulement avec l’accord d’Apollon.
Elle fixa son hôte d’un air déterminé et demanda :
– Acceptez-vous cet accord ?
Le Chevalier se sentit mal à l’aise et après mûre réflexion, répondit :
– Je l’accepte sous réserve qu’Athéna puisse avoir son mot à dire.
– Je n’y vois aucun inconvénient.
Alexandra lança un ordre bref et un serviteur entra avec deux nouveaux dossiers, encore chauds de la photocopieuse. Kanon remarqua immédiatement que les textes avaient changé et il s’aperçut avec un certain choc qu’ils avaient été écoutés tout le long de la conversation. Il parcourut rapidement le document des yeux, ne relevant rien d’autre que ce qui venait d’être proposé et fit attention à ce qu’il n’y ait pas ces petites lignes traîtresses écrites à des endroits impossibles toujours présentes lors des contrats. Rassuré sur le contenu, il finit par signer avant d’en faire de même avec le double paraphé par Alexandra.
Athéna venait de faire alliance avec Apollon…
Il avait accompli la moitié de sa mission.
Une fois cela terminé, elle se leva gracieusement, ses yeux brillants de malice et elle s’exclama sur un ton enjoué :
– Bon, c’est pas tout ça, mais il va falloir que je pense à un cadeau à offrir à votre déesse… Hum… Ah mais oui ! Une statuette de vous ayant servi de modèle ! Je suis sûre qu’elle sera ravie ! !
Kanon faillit en tomber de sa chaise et, blême, se hâta de répondre :
– Nononon… Pas ça, Alexandra ! Athéna ne… Enfin, elle n’aimera pas, croyez-moi !
Et Saga va me renvoyer directement au Cap Sounion si jamais il l’apprend ! ! songea-t-il avec angoisse. Mais la Pythie battait des mains, toute excitée par son idée géniale :
– Oh si ! ! Athéna aime les belles choses, elle a du goût puisque ses Chevaliers sont pour la plupart de beaux spécimens… Je suis certaine qu’elle appréciera ! Elle pourra voir ainsi combien vous avez su collaborer avec nous ! ! Oh, j’ai hâte… Et cessez de vous déprécier, Kanon ! Vous êtes un homme magnifique, autant que tout le monde en profite ! !
– Mais je vous dis que c’est une mauvaise idée ! ! s’écria le malheureux Chevalier, catastrophé et déjà au bord de la panique. Je vais me faire tuer ! ! Et d’abord, je suis pudique !
Alexandra éclata de rire à cette dernière phrase et lança :
– Pudique ? ! Vous ? ? Depuis quand ? D’ailleurs je me demande lequel de votre frère ou vous êtes le plus exhibitionniste ! !
Sonné, le malheureux Dragon des Mers secoua la tête avec désespoir :
– Hein ? Saga ? Exhibitionniste ? Mais… Mais je n’étais pas au courant… ? !
Sa tête était telle, que cette fois, la jeune femme partit dans un fou rire irrépressible. Elle s’était écroulée sur sa chaise et se tenait le ventre, des petites larmes coulant sur ses joues alors qu’elle prenait un joli teint cramoisi. Kanon, lui, était livide et semblait sur le point de faire sauter le Sanctuaire. Son regard turquoise, d’abord hébété, était en train de refléter une colère grandissante. Non mais ! C’était n’importe quoi ! ! Jamais Saga ne ferait une chose pareille ! ! Il le connaissait son frère, quand même !
– Rendez-vous aux thermes la prochaine fois qu’il y sera. Vous verrez, c’est très instructif. Vous allez avoir une démonstration de ce qu’on appelle le narcissisme…
Le Dragon des Mers se renfrogna brutalement, aggravant la crise de rire de la Pythie. Elle ne parvint seulement à se calmer que plusieurs minutes plus tard, en cessant de regarder la mine déconfite de Kanon. Elle lui annonça alors d’une traite que la séance de l’Oracle allait bientôt commencer et qu’il était cordialement invité à se rendre dans la grande salle prévue à cet effet, en attendant qu’elle se prépare. Le Chevalier prit provisoirement congé en pensant que, décidément, rien ne lui serait épargné. Il avait l’impression d’être un touriste qu’on cherchait à éblouir…
Noyé dans une foule compacte, il en était encore à tenter de se remettre de cet asticotage en règle alors que la séance d’Oracle avait débuté depuis un moment. Il avait vaguement noté qu’Alexandra portait une nouvelle fois une tenue rituelle et une couronne de laurier – toujours, quoi de bien étonnant, pour la prêtresse d’Apollon ? –, dont elle mâchouillait aussi des feuilles, assise sur un haut trépied d’airain, déblatérant des suites de phrases toutes aussi obscures les unes que les autres à des imbéciles qui buvaient ses paroles.
Pathétique…
Au moins assurait-elle le spectacle… Pour les non-initiés, en tout cas. Car Kanon ne ressentait que très faiblement son cosmos, signe évident qu’elle ne le sollicitait pas vraiment. Même ses yeux oscillaient entre le mordoré et l’or en fusion. Extatique, elle balançait sa tête d’un côté ou de l’autre, dans une envolée de chevelure indomptable et de tresses colorées, alors que son corps semblait agité de soubresauts. Le Chevalier retint un soupir : décidément, les clichés avaient la vie dure. Il ne manquait plus que les hurlements et la bave aux lèvres pour qu’Alexandra ressemble parfaitement à ce qu’on disait de la Pythie en plein délire depuis l’Antiquité…
Et le hurlement survint brusquement… Saisissant. Strident. A glacer le sang dans les veines du plus brave. Ricochant sur les colonnes et les murs tout en s’amplifiant. Kanon sursauta comme les autres témoins, son attention se fixant sur la jeune femme qui s’était immobilisée, tête baissée, haletante, semblant écrasée par un poids énorme. L’ex-Général voyait ses mains frêles se cramponner au rebord du trépied, comme pour lui éviter une chute.
S’embrasant brutalement, le cosmos doré d’Alexandra étincela de tous ses feux, entourant sa fine silhouette d’énergie pure. Kanon était surpris : la couleur de l’aura n’était pas uniforme. Partant d’une base blanche, insupportable à la vue, elle se décomposait tout en nuances chaudes et dorées, ondulantes par vagues douces, jusqu’à paraître aussi rougeoyante que le soleil couchant dans sa lisière extérieure. Mais Alexandra demeurait immobile, son cosmos encore instable, comme si elle cherchait un point d’équilibre. La luminosité dégagée était telle que toute la salle semblait éclairée par une rampe de projecteurs…
Le silence était religieux et on sentait nettement la peur saisir certains spectateurs. Il était rare d’assister à ce genre de manifestation en plein Oracle, mais là, tout annonçait un événement important. L’aura cessa de se modifier pour garder une teinte orangée irisée et il s’en détacha des volutes qui parcoururent paresseusement la foule, comme cherchant quelqu’un sur qui se fixer. Le temps n’avait plus cours. Personne ne bougeait, tout le monde retenait son souffle et seules ces vrilles chatoyantes, qui se mouvaient lentement, trahissaient une durée qui s’éternisait.
Puis, il sembla que les arabesques luminescentes venaient de trouver ce qu’elles voulaient et elles s’enroulèrent avec insistance autour d’un Dragon des Mers qui n’en menait plus large du tout. Autant il avait eu envie de pouffer de rire devant le spectacle absurde de cette cérémonie, autant là, il aurait préféré ne pas y assister du tout. Le Soleil était dans la place… Il ne voyait pas d’autre comparaison pour décrire l’aura aussi lumineuse que brûlante qui l’enveloppait de toutes parts. Il frémit. Kanon avait déjà suffisamment été en contact avec Poséidon et Athéna pour reconnaître une aura divine lorsqu’elle se manifestait… Et là, il n’y avait aucun doute à ce qu’il avait compris instinctivement : un dieu était là et avait, semblait-il, deux mots à lui dire…
Mais qu’avait-il donc encore fait ? ? ? Pourquoi fallait-il que ce genre de choses n’arrive qu’à lui ? ? Il était vraiment maudit ! !
Alexandra se redressa lentement, son corps droit et raide comme un piquet, la tête toujours baissée, le visage caché par les longues mèches brunes. Elle sortit les feuilles de laurier de sa bouche qui se désagrégèrent aussitôt dans sa main. Les fidèles avaient compris qu’il se passait quelque chose de capital qui concernait l’homme aux cheveux bleus et ils lui avaient laissé le passage, lui indiquant implicitement qu’il devait s’avancer.
Kanon n’avait pas le choix de toute façon, il se sentait comme attiré par les volutes orangées qui le cernaient de toutes parts et l’incitaient à prendre place face à Alexandra. Il se retrouva donc encore une fois, bien malgré lui, au centre de l’attention générale, exposé et impuissant face à la Pythie dont le corps servait de radio récepteur vivant à une divinité… Et le Dragon des Mers songeait bien sûr à un seul dieu capable d’envahir ainsi et la chair et le cosmos d’une mortelle aussi puissante : Apollon.
La Pythie releva la tête enfin dans un geste lent, solennel et fluide. Elle avait les paupières baissées et elle avait récupéré son souffle. Seul son front luisant légèrement venait trahir l’effort qu’elle venait de fournir pour gérer cette intrusion inattendue. Ses mains relâchèrent le trépied et se croisèrent sagement sur ses cuisses, sans aucun tremblement. La symbiose entre les deux esprits était totale. La Pythie ne luttait pas pour garder son intégrité et le dieu ne cherchait pas à dominer. Non, tout se faisait selon un accord implicite avec le plus grand respect réciproque. Kanon en était bluffé. Même Athéna ne parvenait pas à une telle communion avec sa réincarnation… Et là, il ne s’agissait même pas de réincarnation, mais d’un corps emprunté afin de délivrer un message…
Lorsque le doux voile des paupières ombrées par un fard délicat se releva, l’ex-Général ne put retenir un brusque mouvement de recul et il lui fallut un moment pour s’habituer à ce regard plus qu’étrange… Les pupilles mordorées d’Alexandra avaient totalement disparu. La surface entière de ses yeux brillait d’un doré étincelant, presque aveuglant par instant, comme si de l’or liquide avait remplacé les globes oculaires. Pas d’iris, rien… De fait, Kanon ne savait exactement où se focalisait le regard de la Pythie et de son hôte divin. C’était franchement dérangeant et il se sentit très mal à l’aise face à ce phénomène peu courant.
Apollon l’observait, il le sentait… Et pas que physiquement, d’ailleurs. La présence du dieu était oppressante et son regard sans pupille fixé vers lui n’arrangeait pas les choses. Il s’obligea à respirer calmement avant de courber la tête en signe de respect. Lorsqu’il se redressa, il vit qu’un sourire en coin avait légèrement détendu l’expression figée arborée par la jeune femme, mais sans plus. Par Athéna ! ! Ce qu’il était impressionnant, cet Olympien ! ! Et encore, ce n’était pas sa réincarnation ! Que savait-il exactement ? Que lui voulait-il ? Pourquoi s’être manifesté exprès pour lui ? Tout comme ce regard doré décidément insolite, la voix qui prit la parole le surprit au plus haut point. Il s’attendait à entendre le timbre d’Alexandra. Mais de ses lèvres féminines s’échappait une tonalité aux accents graves, harmonieux et séduisants, mais sans aucun doute possible, masculins… Et dans ces propos qui semblaient venir de loin, Kanon discernait comme un phénomène d’écho léger, comme si la conscience du dieu formulait ses mots à travers le barrage de celle de sa Pythie et qu’il y avait un léger retardement… C’était très étrange… mais pas aussi effrayant qu’il l’aurait d’abord cru.
Il se tendit en comprenant que le dieu venait de lui poser une question et qu’il n’avait rien écouté… Mais quel idiot ! Au lieu de se concentrer sur sa voix, il aurait mieux fait de prêter l’oreille à ses propos. Le visage d’Alexandra arbora un sourire complaisant et la divinité recommença sa diatribe lentement :
– Ma voix te déconcerte, humain… Cesse de prêter attention à ma tessiture et concentre-toi sur mes paroles, Kanon des Gémeaux. Ma présence ici ne peut être que limitée alors ne perdons pas de temps en distraction. Je t’attendais déjà depuis plusieurs mois car j’ai un Oracle pour toi. Il ne sera dit qu’une seule fois. Es-tu prêt à l’entendre et à le mémoriser, Dragon des Mers ?
Kanon, rouge de honte, s’inclina derechef en répondant :
– Vous avez toute mon attention, Mon Seigneur…
Mais Apollon attendit que le Chevalier se soit redressé avant de reprendre. En fait, une fois que ce dernier se mit à le scruter de nouveau, le visage de la jeune femme s’abaissa légèrement et le regard du dieu, bien que toujours aussi peu évident à trouver, sembla bien se focaliser exclusivement sur celui de Kanon. L’or devint alors proprement éblouissant, vraiment insoutenable et Kanon fut contraint de fermer les yeux s’il ne voulait pas devenir aveugle… Et sans qu’il s’y attende, il reçut une énorme gifle mentale qui le laissa engourdi durant quelques longues secondes. Il avait l’impression d’être dans une bulle, seul avec Alexandra et Apollon, dans une dimension parallèle… Et la voix de la divinité résonna dans ses oreilles comme dans sa conscience, s’imprimant au fer rouge dans sa mémoire :
– Des mains divines pèsent sur toi, Léviathan. La lumière a aussi sa part d’ombre. Connaissance est symétrie d’instinct. Mais l’Ennemi possède déjà l’Arme. Parmi les fétus de paille pris dans la tempête, l’Echanson, l’Ascète et le Héros Blanc seront d’une aide précieuse pour trouver ton identité et t’amener à la victoire.
Alors qu’ils semblaient être revenus dans la salle de réception, Kanon, les yeux écarquillés par le choc, tournait et retournait ces phrases étranges, sans queue ni tête, dans son esprit. Mais qu’est-ce que ça pouvait bien vouloir dire, ça ? Il n’avait stric-te-ment rien compris au message d’Apollon, mais alors rien de rien. Le néant absolu, le vide sidéral… Il aurait pu lui donner des indices, non ? Il n’était pas Saga, lui ! Il se sentit misérable, comme si on venait de lui démontrer une fois de plus qu’il n’était qu’un bon à rien incapable de saisir la plus banale des énigmes. Il se trouva mal et une brusque nausée l’envahit. Dans son désespoir, il avait tout simplement oublié qu’aucune prophétie d’Apollon n’était facile à comprendre, que l’hermétisme du message faisait partie des règles du jeu divin…
Lorsqu’il reprit enfin contenance, ce fut pour découvrir que la présence divine s’était éclipsée. Il n’y avait qu’Alexandra qui l’observait, le cosmos encore déployé et ses yeux – avec des iris ! – de la couleur de l’or en fusion. Il devina qu’il n’en avait pas fini avec les mauvaises nouvelles. L’expression tendue de la Pythie était par trop voyante. D’ailleurs, cette dernière s’exprima à son tour :
– Kanon, de graves événements se jouent au Sanctuaire de la déesse de la Sagesse. Votre séjour ici n’est plus nécessaire. Partez immédiatement, mais prenez garde à ne faire votre rapport que le lendemain de votre retour.
Saisi par une mise en garde aussi directe, Kanon ne se fit pas prier. Il prit congé de la Pythie, récupéra son sac de voyage et dévala à toute vitesse le Domaine d’Apollon afin de prendre le dernier ferry de l’après-midi. L’urgence dans la voix d’Alexandra l’avait frappé encore plus que son visage sincèrement inquiet et il venait juste d’apprendre à respecter les devins, quels qu’ils soient… Entre ces deux messages qui lui avaient été personnellement adressés, le Chevalier avait largement compris que les heures sombres venaient seulement de commencer. En dehors du sens de l’Oracle divin, se posait une question essentielle : Athéna avait-elle aussi pressenti ce danger ? Et de cette interrogation en découlait une autre : Connaissait-elle l’Ennemi en question ?
– Grèce, Sanctuaire d’Athéna, le même jour, tôt le matin –
Il faisait encore nuit noire. L’aube ne se lèverait pas avant deux bonnes heures. Passer les gardes avait été un jeu d’enfant pour le guerrier qui se faufilait entre les colonnes, cosmos entièrement caché, ombre parmi les ombres… Il suivit quelques sentiers passant au large des maisons des Chevaliers de grades inférieurs, se dirigeant tout droit vers le grand escalier conduisant au Palais du Grand Pope et à celui d’Athéna, à condition de sortir vivant des douze temples zodiacaux parsemant la montée…
Le guerrier emprunta une sente étroite. Il barricada ses réflexions en passant devant le temple du Bélier. Il ne manquerait plus qu’il en réveille le gardien par une pensée maladroite. Il se fit tout petit en arrivant à la hauteur de la maison du Taureau, marchant sur la pointe des pieds tout en tâchant de ne pas faire rouler le moindre caillou… C’était que ce protecteur à la carrure imposante avait aussi le sommeil très léger. Une vieille habitude qu’il avait prise durant les années où le Bélier boudait le Pope à Jamir… L’ombre se permit de respirer à nouveau lorsqu’il reprit sa course vers le signe suivant et se prit à maudire le destin qui avait voulu lui jouer un sale tour en livrant deux Gémeaux pour le prix d’un au Sanctuaire. Et autant l’aîné était relativement affable, malgré ses périodes de schizophrénie aiguë, autant le cadet était imbuvable avec ses blagues idiotes… Pourvu que ce dernier ne soit toujours pas rentré d’ailleurs ! ! Il était capable de créer un labyrinthe uniquement pour s’amuser des quelques sentinelles qui veillaient dans l’escalier sacré… Alors quelqu’un qui essayait de se faire discret, pensez-vous ! ! Il soupira de soulagement en constatant qu’il était passé sans encombre mais l’inquiétude le reprit vite en se souvenant de celui qui était le prochain sur la liste : le Cancer… Ce fou qui avait pour passion l’art-déco, version morbide. Il ne devait pas paniquer… S’il réveillait l’Italien, il aurait le droit à une nouvelle visite gratuite des Enfers alors que son faciès aurait toutes les chances de finir en masque d’intérieur cent pour cent naturel… Il parvint enfin à l’extérieur de la zone d’influence du temple et se lança de nouveau dans une course éperdue, songeant cette fois qu’il allait devoir faire attention au fauve qui devait y sommeiller…
Il en était à la moitié du trajet lorsqu’il s’arrêta brusquement en se traitant de tous les noms d’oiseau. Le fauve n’était pas là, et pour cause… Ah ! Ce qu’il pouvait être idiot par moments ! Il reprit sa marche un peu plus dignement, même s’il s’obstinait à rester dans l’ombre, évitant soigneusement une sentinelle postée un peu plus loin. Il n’avait toujours pas relâché son cosmos et il n’avait pas l’intention de le faire avant un bon moment. Et ce fut comme un voleur qu’il entra dans le cinquième temple : celui du Lion.
Il traversa lentement le hall sombre et froid peuplé de hautes colonnades, s’effrayant presque en entendant ses propres pas sur le dallage de marbre tout récemment refait à neuf. Le temple avait l’air plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur, c’en était vraiment impressionnant. Dans un coin, luisait doucement l’urne dorée de la Cloth léonine mais elle n’eut aucune réaction face à son intrusion et garda son inertie, comme s’il n’était pas là. Quelle gardienne terrifiante ! N’importe qui pouvait passer avec cette armure d’or ! C’était impensable, ça ! L’individu contint à grand-peine son fou rire hystérique et se dirigea sans hésiter vers les parties privatives, sans plus s’inquiéter de l’apathique Pandora Box.
Alors qu’il déverrouillait la porte, il se souvint qu’il devait tout de même rester sur ses gardes. Le temple du Lion avait pour voisin immédiat celui de la Vierge, et ce Chevalier passait plus de temps en méditation que dans toutes les autres activités réunies… Cela signifiait qu’il pouvait le détecter et le confondre à tout moment s’il commettait l’erreur de se laisser aller. Il ferma un instant les yeux, se força au calme, puis entra. Négligeant d’allumer la lumière qui le trahirait immédiatement, il pénétra dans le salon désert et se planta en plein milieu, respirant à fond durant quelques instants avant de laisser tomber à terre son paquetage et de laisser glisser au sol sa veste.
Sans aucune hésitation, il se dirigea vers la salle de bains et alluma la petite lampe au-dessus du miroir. Refusant de voir son image dans un premier temps, il ouvrit le robinet et se passa le visage à l’eau froide, appréciant l’effet revigorant de cette fraîcheur bienvenue. Il ferma le robinet lentement avant de s’essuyer pensivement, puis leva enfin la tête où un morne regard vert fatigué le contemplait avec lassitude. Des cernes immenses dévoraient son visage et son teint pâle était presque maladif. Ses cheveux châtains étaient plus désordonnés que jamais et il avait vraiment l’air de revenir d’une incursion en Enfer… Quoique là d’où il venait, ça n’était pas si éloigné de ça, en fait…
Un soupir épuisé ponctua cette pensée défaitiste et il se refusa à se souvenir de ce qu’il avait vécu. La honte qu’il avait ressentie après cette partie de chasse humaine l’avait marqué plus sûrement que le fer rouge et il ne se sentait vraiment pas le courage d’affronter qui que ce soit pour le moment. Il ferma les yeux un instant avant d’achever rapidement sa toilette, ne supportant plus de voir cette tête de vaincu. Il voulait dormir… dormir pendant des heures pour ne plus avoir à penser à son honneur bafoué par une bande de donzelles déjantées.
Le Lion, si redoutable, était profondément blessé et il préférait cacher aux autres sa totale déconfiture…
Ce fut d’un pas traînant qu’il se rendit dans sa chambre et il s’abattit enfin de tout son long dans son lit. Il finit par faire un effort pour se glisser sous ses draps, se roula en boule et ferma les yeux pour enfin quitter ce monde de brutes déguisées en femmes qui se promenaient avec des arcs. Il ne songeait même plus à maintenir caché son cosmos, cela se faisait naturellement. Il avait dû développer cette aptitude après la disparition d’Aioros et lorsqu’il ressentait le besoin impératif d’être seul, il dissimulait automatiquement son aura. Seul Milo savait comment le retrouver mais ce dernier n’était pas tout à fait en état… Il devait encore cuver quelque part dans son temple… Il était donc tranquille pour un bon moment.
Il avait dû s’endormir car lorsqu’il rouvrit les yeux, le soleil inondait la chambre d’une joyeuse clarté. Il se redressa péniblement, le corps endolori et la tête lourde. Il avait l’impression d’abriter tout un chantier sous son crâne. Il se passa une main dans sa crinière désordonnée et s’accorda quelques minutes pour raccorder le fil de ses pensées décousues. Il le regretta amèrement dès qu’un embryon de réflexion cohérente pointa le bout de ses reproches et de sa honte, lui infligeant de nouveau un impitoyable coup de massue.
Il se leva pourtant. Un coup d’œil à sa montre lui indiquait que les Golds devaient être en train de se taper dessus allègrement sous couvert d’entraînement. Il frissonna d’anticipation à la simple idée qu’il allait bien devoir leur parler à un moment ou à un autre dans la journée… Il savait que se terrer dans son temple n’était pas la solution, mais il n’était pas prêt, pas après ce qu’il venait de vivre. Saleté de Chasseresses ! !
Il ferma les yeux et se morigéna. Il avait un rapport à faire. C’était là son devoir. Il n’avait pas le choix. Il se prépara comme s’il allait à des funérailles… et après tout, ne risquait-il pas d’enterrer pour de bon sa réputation de guerrier brave et courageux ? En tout cas, s’il était bien sûr d’une chose, c’était qu’il ne pouvait plus voir une femme de près ou de loin, surtout pas l’une de ces furies qui hurlaient à pleins poumons en vous décochant attaque sur attaque en guise de bonjour amical et qui hantaient le Sanctuaire parce qu’elles étaient aussi Chevaliers…
Il grimpa les marches dans un état second et se retrouva bien trop vite à son goût devant les portes du palais du Grand Pope. Les gardes lui cédèrent le passage, non sans le regarder d’un air étrange qui accrut le malaise du Lion. Il se raidit, redressa les épaules, releva le menton afin d’être le plus digne possible et il entra d’un air martial dans le hall imposant menant à la salle du trône. Il avait pourtant une irrépressible envie de fuir pour aller se cacher, tellement son humiliation le rongeait encore et toujours… Le Grand Pope allait lui rire au nez, c’était certain, avant de le traiter d’incapable. Quant aux autres… Il eut un frémissement nerveux et il se força au calme. Le Grand Pope n’était pas la Protectrice des Chasseresses et des Nymphes, il n’allait pas lui mettre des baffes et des coups de pieds dans la figure en parlant avec lui, ni lui pointer une flèche sous le nez au moindre mot de travers, ni l’attirer tout droit dans un piège cruel par une quelconque attaque aussi insidieuse que lâche… Encore moins lui courir après à travers tout le Sanctuaire pour en faire un trophée de chasse…
Arrivé devant le trône, Aiolia devint livide et il chancela une brève seconde avant de se reprendre presque aussitôt. Il s’agenouilla, au bord de la syncope, les lèvres serrées avec force, les poings crispés et un froid plus polaire que celui du Verseau s’insinuant dans ses veines. Il jeta un furtif coup d’œil autour de lui, espérant encore pouvoir battre en retraite. En vain. Pourtant, même un trou de souris lui aurait parfaitement convenu en ces circonstances… Car le Lion était en train de se liquéfier sur place. Il allait mourir de honte, il en était sûr et certain. Il leva un regard hagard vers la personne qui siégeait sur le trône et se trouva dans l’incapacité d’avaler sa salive, tellement sa gorge était serrée devant elle, car il s’agissait…
… d’Athéna, en personne…
Cette dernière le dévisageait avec bienveillance, même si une certaine inquiétude brillait dans son regard. Elle lui laissa le temps de se reprendre, appréhendant pendant ce temps la raison d’une telle attitude chez un Chevalier aussi brave que le Lion. Elle sentait la tension du Grand Pope debout à ses côtés. Lui aussi se faisait du souci face au comportement du Saint d’Or qui semblait prêt à s’évanouir d’un instant à l’autre. Mais qu’avait-il à la fin ? Jamais Aiolia n’avait montré une telle défaillance auparavant ! Il fallait croire que depuis quelques mois, c’était la ronde des premières fois à tout, chez les Golds !
– Aiolia du Lion, relève-toi, fit doucement la jeune réincarnation de la déesse.
Le Saint d’Or se redressa lentement et sortit enfin une lettre scellée de sa poche. Il s’approcha lentement de la déité et parvint à tendre l’enveloppe sans que sa main ne montre de tremblements intempestifs. Il reprit dignement sa première position, gardant les lèvres hermétiquement closes, espérant que l’entrevue s’achèverait au plus vite. La présence d’Athéna le rendait extrêmement nerveux et augmentait son tourment, non pas parce qu’elle était une déesse mais parce qu’elle était une femme, tout simplement…
Athéna n’ouvrit pas la lettre. Elle la confia simplement à Shion, ne quittant pas des yeux son Chevalier en bien triste condition. Il fallait qu’elle sache. Elle se doutait que Shion allait tenter de faire une introspection de l’esprit du Lion, elle devait donc centrer l’attention du jeune guerrier sur elle. Elle inspira profondément alors que son visage s’adoucissait davantage afin d’amadouer cette espèce de grand fauve qui semblait avoir été pris à rebrousse-poil.
– Aiolia, ta mission s’est-elle bien passée ? s’enquit-elle avec sollicitude.
– Oui, fut la réponse simple et concise du Lion, qui n’oublia pas de barricader soigneusement son esprit.
– Dans quel état se trouve le Sanctuaire d’Artémis ?
– Il n’y a presque plus rien. Tout a été détruit. Même les bâtiments ont été rasés.
Athéna resta quelques instants silencieuse puis reprit :
– Et au niveau de la population ?
Le visage du Lion se tordit brièvement sous l’onde de panique qui l’enserra entre ses griffes, puis il reprit le contrôle.
– Les trois quarts des guerrières ont été tuées. Il n’y a eu aucun survivant à l’attaque. Celles qui occupent le Domaine étaient en mission au moment des faits.
Même si Athéna n’en laissa rien paraître, elle avait parfaitement saisi l’expression de terreur d’Aiolia et elle était certaine que Shion en avait fait de même. Elle percevait la tension du Grand Pope qui, visiblement, se heurtait à une barrière mentale infranchissable. Il s’était bien produit quelque chose, mais quoi, exactement ?
– Est-ce que les servantes de ma sœur t’ont bien reçu malgré leur situation catastrophique ?
Une flamme de honte et de colère se mit à flamboyer dans le regard verdoyant du gardien du cinquième temple, démentant sa réponse :
– Oui, compte tenu des circonstances, leur hospitalité a été parfaite…
Shion eut un léger tressaillement devant ce mensonge éhonté, mais il n’allait tout de même pas arracher les mots de la gorge du Lion, non ? Si le Chevalier ne voulait pas en parler, il avait certainement de bonnes raisons… Des raisons en tout cas suffisantes pour que ce dernier érige une protection mentale renforcée afin de parer à chacune de ses tentatives. Et le regard méfiant que lui adressa Aiolia lui fit comprendre qu’il valait mieux qu’il cesse immédiatement son manège. Le Lion était à fleur de peau et Shion ne savait comment ce dernier allait finir par réagir s’il persistait.
– Que s’est-il passé ? demanda avec d’infinies précautions la déesse, ramenant l’attention du Lion sur elle.
Ce dernier sembla se hérisser alors que ses épaules se voûtaient légèrement, le visage plus pâle que jamais. Il était visiblement sur la défensive…
– Rien de spécial… Elles ont juste un mode de vie assez surprenant et il n’y a rien à ajouter à cela.
La réponse avait été très claire : Le Lion ne voulait pas en parler. Il était inutile d’insister, il était du genre têtu… Et ce qui restait de son orgueil mis en bouclier le soutiendrait suffisamment longtemps pour contenir la pression du Grand Pope et de la déesse. Ils n’obtiendraient rien pour le moment. Il fallait attendre l’instant propice où Aiolia irait mieux. Athéna hocha lentement la tête et reprit sur un ton plus solennel :
– Aiolia du Lion, demain aura lieu la réattribution de l’armure du Verseau. Comme celle des autres Saints d’Or, ta présence est donc indispensable. As-tu compris ?
Le Lion inclina la tête dignement, réalisant que l’entretien s’achevait enfin et il fit, soulagé :
– Oui, Votre Altesse, j’y serai sans faute.
La jeune déité se leva dans une ondulation légère de sa robe immaculée et serrant son sceptre en main, elle sourit avec chaleur :
– Tu peux te retirer, Saint du Lion. Repose-toi bien, tu m’as l’air fatigué par le voyage.
Le Chevalier la salua avec raideur, puis fit de même avec le Grand Pope et quitta enfin la salle du trône. La déesse le regardait, pensive, les articulations de ses phalanges blanchies par sa crispation nerveuse sur son sceptre. Il y avait quelque chose qui n’allait pas chez le Lion… En dehors de son comportement pour le moins étrange, elle avait ressenti une énergie étrangère, un résidu de cosmos qui n’avait rien à voir avec ceux des guerriers de son Sanctuaire… Tout cela ne me dit rien qui vaille… Camus, Kanon, Aiolia, Milo… La garde dorée s’effondre de l’intérieur… Le Sanctuaire tremble sur ses bases et je ne peux rien y faire pour le moment… Mais demain, si tout se passe bien, Hyoga remplacera Camus temporairement…
Pendant ce temps, Aiolia redescendait le zodiaque le plus vite qu’il le pouvait, espérant ne rencontrer personne en cours de route. Il voulait retrouver la sécurité de son temple et se calfeutrer jusqu’au lendemain sans voir un seul de ses pairs. Il devait faire le point sur ce qui lui était arrivé pour y voir plus clair et y faire enfin face. Il n’était pas dit que le Lion se laisserait abattre indéfiniment.
Il était en train de se perdre allègrement dans le labyrinthe de ses réflexions, confortablement vautré dans son canapé, lorsqu’il entendit sa porte grincer légèrement sur ses gonds et il eut à peine le temps de se redresser qu’il vit débarquer avec fracas Aioros, tout sourire, le visage rayonnant, et tenant à la main l’objet le plus horrible qui soit pour un Lion souffreteux. Une véritable abomination en bois léger et en crin qui semblait le narguer, bien à l’abri dans la paume du Sagittaire… Un arc, le cauchemar absolu d’Aiolia.
– Aiolia ! Alors comme ça tu reviens sans prévenir personne et tu croyais que tu allais nous éviter ? Pff ! ! On se demande ce que je t’ai appris quand t’étais encore apprenti ! Espèce d’impoli, va ! Et c’est comme ça que tu souhaites le bonjour à ton aîné ? En restant bouche bée et en me regardant avec des yeux de merlan frit ? fit Aioros sur un ton faussement vexé.
Le pauvre Lion perdit la moitié du discours du Sagittaire, le regard fixé obstinément sur l’arc qui persistait à le braver et le cerveau s’étant instantanément déconnecté. Le corps tendu, le souffle court, il avait blêmi et des petites perles de sueur commençaient à apparaître sur son front assombri. Aioros s’étira d’un mouvement gracieux, rapprochant sans le faire exprès l’arc de son frère qui avait reculé brutalement, comme pour éviter que l’arme n’entre dans son espace vital. L’aîné sourit d’un air engageant et lança :
– Ouhlà ! Tu ne m’as pas l’air en forme, toi ! Tu as dû manger quelque chose qui ne te convenait pas. Viens prendre l’air avec moi, j’ai justement besoin de m’entraîner un peu à l’arc et…
– NON ! ! ! !
Aioros s’immobilisa, stupéfait, coupé court dans son élan par le hurlement hystérique de son jeune frère. Il fronça les sourcils et l’examina plus attentivement et, tout comme Athéna et Shion avant lui, il comprit que le Lion venait de vivre une expérience éprouvante. Restait à savoir quoi…
– Aiolia ? Qu’est-ce qui se passe ?
– Rien, fit son cadet sur un ton péremptoire en ramenant ses jambes contre lui.
Aioros se rapprocha de lui après avoir mis en appui son arc contre le mur. Il s’assit sur le canapé, empiétant sans s’en rendre compte sur le territoire du Lion d’Or. Ce dernier se sentit agressé et se raidit peu à peu, au fur et à mesure que le Sagittaire envahissait sa bulle personnelle. L’aîné pencha la tête sur le côté, scrutant d’un œil implacable les traits épuisés et hostiles de son frangin.
– Aiolia ?
L’interpellé passa une main nerveuse dans sa chevelure et expira avec force. Il finit par lâcher une réponse à peine compréhensible entre deux grincements de dents :
– Laisse-moi seul, s’il te plaît. Je suis fatigué.
La main chaude du Sagittaire sur son bras le fit sursauter brutalement et face à cette réaction inattendue, ce dernier reprit :
– Quelque chose ne va pas ? Tu peux tout me dire, tu sais… Je ne répéterai pas.
Un froncement de nez et une réplique acerbe fut tout ce qu’il obtint :
– Va t’entraîner ! Tu ne vois pas que je veux être tranquille, là ?
Aioros se sentit vexé sur le coup, mais il parvint à faire fi de son propre agacement. Son frère avait tout d’un lion qui venait de subir un revers cuisant et qui léchait ses blessures tout en attaquant tous ceux qui l’approchaient, y compris les siens. Aiolia n’allait pas bien et il était de son devoir de l’aider et de le soutenir, même contre son gré.
– Il s’est passé quelque chose durant ta mission ? Tu as dû te battre ?
D’un mouvement souple, le Lion se releva, ne supportant plus la présence envahissante du centaure, et il se posta à une fenêtre, loin de l’autre andouille qui avait décidé de remuer le couteau dans la plaie. Il ne prit même pas la peine de répondre et ne lui lança qu’un regard mauvais.
– Ils ne t’ont pas bien reçu ? Ils t’ont menacé ? Ils t’ont agressé ?
Face à cette avalanche de questions qui n’augurait rien de bon pour le moral déjà au trente-sixième dessous du Lion, ce dernier leva simplement les yeux au ciel en une supplication muette. Pourquoi avait-il fallu qu’il tombe sur un type surprotecteur en guise de frère ? Si seulement il pouvait éviter de lui coller aux basques ou arrêter de lui aggraver sa migraine et sa morosité… Mais non… Ce n’était pas Ikki, lui ! C’était Aioros, le parfait et dévoué grand frère qui vous harcelait jusqu’à vous faire rendre gorge…
D’ailleurs l’interrogatoire continua sans coup férir :
– Ils ont voulu faire pression sur toi pour faire plier Athéna ? Mais parle, bon sang ! ! Tu ne t’es pas regardé dans une glace ou quoi ? ! On dirait que tu as été laminé par une bande de fillettes, comme dans tes cauchemars ! ! Que t’est-il arrivé ? Pourquoi es-tu dans cet état ?
– MAIS TU VAS LA FERMER, BORDEL ! ! ! ! FOUS-MOI LA PAIX ET VA JOUER AVEC TON ARC AILLEURS QU’ICI ! ! ! !
L’éclat d’Aiolia ressemblait à un véritable rugissement de fureur et le Sagittaire sursauta avant de se reprendre et d’élever la voix à son tour :
– Oh ! ! D’abord, tu te calmes ! ! Je ne suis pas ton serviteur ! ! Ensuite, tu vas m’expliquer calmement ce qu’il se passe dans ta caboche de lion mal léché ! !
Aiolia serra les poings, se retenant pour ne pas transformer son adorable frère en punching-ball vivant. Non, mais est-ce qu’il ressemblait à la fontaine ambulante qui prônait le pacifisme en vous envoyant des chaînes ou des décharges électriques à la figure ? Lui, il n’avait rien demandé à l’autre, là, et voilà qu’il le harcelait alors qu’il voulait être seul ! Et puis, c’en était trop ! Il était à la limite de la bonne crise d’hystérie… et du plus profond désespoir. Il tourna les talons et se dirigea vers sa cuisine, non sans se demander ce qu’il pourrait bien y faire… Mais tout était bon pour échapper à la pression du Sagittaire d’Or qui semblait s’être donné pour mission de l’anéantir purement et simplement… Et le pire, c’était que l’autre, avec toutes ses bonnes intentions écœurantes, ne se rendait même pas compte de l’effet négatif qu’il produisait.
Il était en train de se faire mécaniquement du lait chaud lorsque sa " mouche du coche " personnelle revint à la charge, déballant toute sa psychologie bon enfant qu’Aiolia ne désirait surtout pas entendre. Il n’avait pas encore compris qu’il l’étouffait, là, avec sa volonté déplacée de le protéger et sa culpabilité toujours aussi présente ? Parce qu’il savait parfaitement qu’Aioros s’en voulait de l’avoir laissé derrière lui lors de son sauvetage héroïque de la déesse et qu’il voulait se rattraper depuis leur retour inespéré du royaume d’Hadès. Il n’était pas idiot. Alors lorsque Aioros reprit son interrogatoire, le réflexe du Lion fut de lui envoyer sa tasse de chocolat chaud en pleine figure, tasse que le centaure évita de justesse et qui alla s’éclater contre le mur en refaisant la peinture, par la même occasion.
Il y eut un instant de silence pesant où les deux protagonistes se regardèrent droit dans les yeux, Aioros, partagé entre la colère et la stupéfaction, alors qu’Aiolia, se consumait de rage et semblait prêt à l’étrangler sur place. La dernière fois que l’aîné avait vu le Lion perdre ainsi son sang-froid, c’était lorsqu’il était encore apprenti et face à un certain Milo… D’ailleurs les deux garnements s’étaient alors battus comme de vrais chiffonniers et il ne savait plus pour quelle raison au juste… Certainement un truc de mômes…
Aussi le Sagittaire ne fut-il absolument pas surpris de voir son petit frère littéralement exploser et se transformer en fauve incontrôlable, tel son signe zodiacal. L’œil étincelant, le visage contracté et toute la musculature tendue, Aiolia le fixait comme s’il allait le réduire en charpie. Mais l’aîné savait pertinemment à quoi s’attendre et il s’avança vers cette furie, préférant l’immobiliser avant qu’elle ne tente quoi que ce soit. Il le saisit brusquement au bras et essaya de lui faire une clé, mais le Lion se dégagea avec une telle violence qu’Aioros faillit traverser la cuisine sur le dos et il se récupéra de justesse alors qu’Aiolia se mit à hurler de plus belle :
– NE ME TOUCHE PAS ! ! ! !
Le Sagittaire fronça les sourcils et durcit le ton :
– Maintenant, ça suffit, Aiolia ! Tu te calmes ! Tu te comportes de façon totalement irrationnelle et tu perds le contrôle ! Que dirait Marine en te voyant dans cet état-là, tu y as songé ? Reprends-toi ! !
Si Aiolia était déjà furieux, ce n’était rien face à cet être incontrôlable qui se rua sur Aioros pour le mettre " hors d’état de nuire ". Et le tout en vociférant toujours :
– NON, MAIS T’ES BOUCHE OU QUOI ? ? ? VIRE TES SABOTS DE CHEZ MOI ET VA FAIRE TON MORALISATEUR AILLEURS ! ! ! JE N’AI PAS BESOIN DE TOI ! ! ! J’AI TOUJOURS DU ME DEBROUILLER TOUT SEUL, ALORS TES ACCES DE SENTIMENTALISME, TU TE LES GARDES ! ! ! TU M’ECOEURES, TU M’ENTENDS ? ? ? ! ! ! TU ME DEGOUTES ! ! ! ET MELE-TOI DE TES FESSES, CA CHANGERA POUR UNE FOIS ! ! ! !
Le Sagittaire para un premier coup, puis un second et recula précipitamment alors que le Lion le chargeait littéralement en le mitraillant de ses poings. Il se retrouva acculé contre le mur du salon et ne vit pas venir l’attaque qui le cueillit en pleine mâchoire, lui éclatant la lèvre inférieure au passage. Aiolia avait frappé de toutes ses forces, avec la ferme intention de le mettre KO et de fait, Aioros était quelque peu sonné. Seules les injures que lui adressait son frère dans un langage peu châtié l’empêchaient de se laisser aller totalement. Il devait se reprendre pour dompter ce fauve qui se déchaînait. Bon sang ! Il n’était pas un ennemi ! Pourquoi Aiolia agissait-il de façon aussi illogique ? Il vit le poing du Lion se lever pour s’abattre de nouveau sur lui et il ne put qu’attendre passivement le coup, avec son cortège de souffrances…
… mais le poing resta comme immobilisé, alors que l’expression du cadet trahissait toute sa surprise et son incompréhension.
– Non mais c’est pas bientôt fini ce raffut ? ! Vous savez qu’il y a des endroits prévus exprès pour s’entraîner ? Ça s’appelle des arènes ! ! Au moins, là-bas, vous n’empêcherez pas les autres de se reposer en paix ! fit une voix rocailleuse et virile.
Le Lion se retourna pour voir qui retenait d’une main aussi ferme son poignet, même après une tentative de dégagement. Et ce qu’il vit l’aurait fait se plier de rire si seulement il en avait été d’humeur. Car celui qui avait eu l’audace de l’arrêter n’était rien d’autre qu’Angelo. Le cheveu hirsute, la mine peu amène et portant en tout et pour tout un caleçon rayé, l’Italien les regardait tout deux avec exaspération. Il dégageait une force tout aussi animale qu’Aiolia en cet instant, mais il semblait plus dangereux, plus fourbe que le Lion, ce qui, en connaissant le passé peu reluisant de l’individu en question n’était guère étonnant. D’ailleurs, le Cancer prit les choses en main sans tarder :
– Bon, Chiron, retourne immédiatement chez toi… Ton fauve de frangin ne semble pas vouloir discuter avec toi autour d’une tasse de thé et des petits biscuits alors fous-lui la paix. Quant à toi, le roi de la savane, viens par ici !
Il tira de force le Lion à sa suite et le poussa sous la douche où il régla le jet sur l’eau froide, ce qui eut pour effet de calmer net Aiolia, qui se réfugia contre le carrelage de la paroi en claquant des dents. Une fois qu’il fut bien sûr que le Lion n’avait plus de velléité de violence, il ferma le robinet et lui conseilla sur un ton bourru de se sécher et d’aller se changer alors que lui-même quittait la pièce.
Lorsqu’Aiolia revint dans la cuisine en jogging et les cheveux encore humides, il découvrit une assiette de spaghettis à la bolognaise qui l’attendait. Il lança un regard interrogateur au Cancer qui haussa les épaules tout en s’installant paisiblement de l’autre côté. Angelo ne disait rien. Il se contentait d’être présent, tout simplement. Le Lion d’Or se mit donc à table et fit un effort pour manger un peu. Il n’avait aucun appétit et pourtant le plat était bon, mais l’angoisse était là, bien présente et lui nouait l’estomac. Mais Angelo avait cuisiné et il devait lui faire honneur sous peine de voir l’assiette lui voler à la figure.
Une fois terminé, il n’eut même pas le temps de réagir que le Cancer débarrassait déjà la table. Estomaqué, Aiolia le regarda faire, ne s’attendant pas à découvrir une telle facette chez l’un des assassins. Finalement, il pouvait être presque sociable, l’Italien… Il était encore perdu dans ses réflexions lorsque ledit Italien se tourna vers lui et prit enfin la parole :
– Ecoute, le fauve, on n’a pas besoin d’un autre dépressif. Y a déjà l’insecte de la huitième maison pour ça. T’as une bière ?
D’un geste automatique, le Lion lui montra le réfrigérateur tout en se levant. Pourquoi le Cancer restait-il là ? Que lui voulait-il ? Angelo prit deux canettes et poussa Aiolia devant lui pour l’amener jusque dans le salon où il se laissa tomber sur le canapé. Il désigna du menton l’autre extrémité, demandant à son hôte de prendre ses aises. Une fois le Lion assis, le dos droit et l’expression toujours aussi fermée, le Cancer lui tendit une bière avant d’ouvrir la sienne et d’en boire une gorgée. Il marmonna au bout d’un moment :
– Va falloir que tu fasses les courses, t’as plus rien dans tes placards et ton frigo est vide. J’ai fini le dernier paquet de pâtes tout à l’heure…
– Ah… J’avais oublié… Mais demain, ça sera pas possible…
Angelo but une nouvelle gorgée de bière et renversa sa tête sur le dossier du canapé. Il laissa passer un long moment sans rien dire avant de grommeler :
– C’est sûr, faut qu’on soit tous là pour la réattribution de l’armure du pingouin… Dommage qu’il soit reparti voir Hadès, celui-là, j’avais deux mots à lui dire.
Le Lion eut une faible grimace et il ouvrit sa propre bière :
– Quelque chose me dit que tu n’appréciais pas Camus, je me trompe ?
Le Cancer se mit doucement à sourire et répondit :
– Les mecs qui se montrent fourbes et planquent leurs émotions sous une carapace blindée, je m’en méfie. Faut croire que j’avais raison. Ce type n’a jamais été normal. On ne peut pas ne rien éprouver, c’est pas humain. Et puis faut être cinglé pour préférer se les cailler près du Pôle Nord plutôt que de rester peinard ici…
Le Lion secoua la tête, vaguement amusé et rétorqua pour le principe, bien qu’il soit d’accord avec son pair sur le fond :
– Mais il était le Chevalier du Verseau, il était à la tête des Chevaliers de Glace, c’était normal qu’il préfère le froid.
Un bref éclat de rire secoua l’Italien qui reprit :
– Là, excuse-moi, mais ça me fait mourir de rire ! Ce n’est pas parce qu’il était le Saint du Verseau qu’il était obligé de geler tout ce qui l’approchait et de se transformer lui-même en espèce d’ours polaire ! Nan… Y a autre chose, à mon avis, il n’était pas clair… Pas très bien dans sa tête, si tu vois ce que je veux dire. Et puis le fait qu’il était l’espion du Sanctuaire, ça n’avait pas dû l’arranger au niveau mental… Cinglé, ce Français… Totalement givré, au propre comme au figuré…
– N’empêche qu’il était plus puissant qu’il ne nous l’avait laissé croire… Il nous a alignés et je n’ai toujours pas compris comment il avait fait…
Un éclat sombre passa dans les yeux du Cancer qui se passa une main dans sa courte tignasse :
– Il était peut-être cinglé, mais il était très rusé et il a eu du bol à ce moment-là… Mais Milo lui a réglé son compte et il ne pourra plus s’expliquer là-dessus… Dommage…
Le silence s’installa de nouveau dans la pièce alors que les deux compères contemplaient pensivement le mur d’en face en sirotant leur bière. Tellement de questions restaient en suspens et celui qui aurait pu leur répondre n’était plus… Aiolia se sentait un peu mieux, nettement apaisé, comme si la présence d’Angelo le rassurait et éloignait de lui le spectre de la folie et de la honte. Au bout d’un long moment, il finit par demander :
– Et tu sais qui ils ont choisi pour l’Epreuve ?
– Mouais, le colvert albinos de Sibérie…
– Ah ouais... quand même... On est mal barrés, là... Pourquoi justement le disciple de l’autre traître ? Ils n’avaient rien d’autre sous la main ou quoi ?
– Faut croire que non… En attendant, on se ramasse un copié-collé de l’iceberg…
Un pâle sourire étira les lèvres du Lion qui remarqua :
– Tant qu’à choisir, l’original était quand même mieux, je trouve… L’autre, là, avec son Lac des Cygnes, ne fait absolument pas sérieux, à moins qu’il ne veuille faire mourir de rire son adversaire, mais je doute de l’efficacité d’une telle attaque…
Angelo secoua la tête avec une expression dégoûtée et remarqua presque innocemment :
– Encore faudrait-il qu’il parvienne à gagner l’armure d’or… Je ne suis pas sûr que la Cloth l’accepte. Il n’a pas vraiment le niveau…
– Tu crois ? Pourtant il nous a battus avec les autres Bronzes…
Angelo éclata de rire une nouvelle fois et lança :
– Aiolia, par Athéna ! Ouvre les yeux ! Lesquels se sont vraiment battus contre nous ? Pas le Cygne, en tout cas ! Lui, il est allé se faire prendre au piège de Saga avant de se faire proprement évincer par son propre maître ! Quant à son combat contre Milo… Pfff ! Une sinistre parodie d’affrontement… Milo aurait pu le tuer à tout moment s’il l’avait souhaité, mais il a voulu faire plaisir au glaçon de Sibérie – va savoir pourquoi ! – et finalement le Verseau s’est laissé refroidir pour lui apprendre à bien combattre… Dis-moi à quel moment a-t-il montré sa réelle valeur ? Jamais ! Par contre pleurer et gémir, ça, oui, merci, on a entendu ! ! Il ferait presque concurrence avec l’autre fontaine ambulante qui se planque derrière ses chaînes et son frangin pour s’en sortir ! Alors, non, excuse-moi, mais ça, ce n’est pas un Chevalier d’Or… Il est tout juste bon à chouiner et à se faire congeler…
Aiolia regarda le Cancer avec des yeux ronds et tenta de répondre :
– Mais… mais… Il a affronté des adversaires très puissants et…
– … il s’est fait à chaque fois laminer. Si le cœur de glace n’était pas intervenu à chaque fois par le biais de son armure, on n’en parlerait plus du colvert albinos qui nous fait à chaque fois un test d’équilibre avant de déclencher une petite brise rafraîchissante…
Angelo se tut quelques secondes, se tourna vers Aiolia et se pencha vers lui brusquement pour lui lancer sur un ton mutin :
– Ecoute… Je te parie que le piaf de Sibérie ne réussira pas à obtenir l’armure du Verseau… Si tu es si sûr de toi, tu n’auras qu’à parier avec moi qu’au contraire, il réussira l’Epreuve d’acquisition. Disons que l’enjeu sera de se rendre un service lorsque l’autre en aura besoin. C’est honnête.
Un éclat de défi s’alluma dans le regard jusque-là éteint du Lion qui répondit :
– D’accord ! Je te parie qu’il l’aura, cette armure ! Parce que justement c’est celle de son maître et que ce dernier va l’aider à l’obtenir !
Un mauvais sourire étira les lèvres du Cancer :
– Alors là, tu te fous le doigt dans l’œil, à mon avis. Un traître du gabarit du glacier sur pattes n’en a rien à cirer de son disciple, au contraire ! Moi, je te dis que l’armure refusera l’emplumé et qu’il sera mis au tapis dans les quinze premières minutes…
– Pari tenu !
Angelo se recula lentement, très satisfait de lui-même. Aiolia, quant à lui, était en train de songer aux chances de réussite de Hyoga et avait du même coup totalement oublié sa honte et sa terreur des Chasseresses d’Artémis. La présence d’Angelo, sa force et ses remarques acides l’avaient tiré de sa torpeur plus efficacement que la présence encombrante de son frère et il ne savait guère pourquoi… En fait, il souhaitait que le Cancer reste là, près de lui, comme si rien ne pouvait lui arriver en sa présence, comme s’il avait le pouvoir d’éloigner ses peurs et ses cauchemars… L’Italien le tranquillisait par son assurance et c’était tout ce dont il avait besoin pour le moment.
– Sanctuaire d’Athéna, Temple du Scorpion, le lendemain matin –
– Et merde ! grogna le Scorpion en remontant le drap sur sa tête.
Le soleil semblait être levé depuis longtemps et un rayon taquin avait décidé de l’éblouir. Milo poussa un soupir à fendre l’âme et s’enfonça davantage dans son lit. Il n’avait pas envie de se lever… D’ailleurs, cela faisait bien six mois qu’il n’avait plus envie de rien… Depuis ce fameux soir où… Non… Ne pas y penser, sinon, il allait encore plonger et ressasser une énième fois les événements…
– Rhaaaaa ! C’est pas vrai ! Milo, tu deviens fou ! s’écria le Chevalier en se retournant rageusement et en serrant les poings.
Camus… Pourquoi avait-il fait ça ? Et pourquoi lui-même n’avait-il pu contrôler ses maudites pulsions ? Il l’avait laissé seul, en sang, souillé, inconscient et brisé… Jamais il ne se le pardonnerait ! Il l’avait aimé pourtant ! Tellement aimé qu’il en avait perdu la tête lorsque Camus avait été banni… Ne plus le voir, ne plus lui parler, ne plus sentir sa présence près de lui, le savoir en danger en permanence… Il n’avait pu le supporter. Il avait observé les combats successifs du Verseau et il avait trouvé plus charitable d’en finir de sa propre main. Mais au lieu de cela, il l’avait… il l’avait violé…
– Tu n’es qu’un monstre ! Un criminel monstrueux !
Milo serra les poings. Il se sentait tellement coupable… Ses pensées revenaient irrémédiablement sur le corps malmené et inerte du Français, son regard vitreux, son début d’agonie, ses cris de souffrance… C’était cela le pire, avec les larmes… Il n’avait vu Camus pleurer qu’une seule fois auparavant et jamais il ne l’avait entendu crier jusqu’à ce fameux jour… Mais là, ces plaintes déchirantes tintaient encore à ses oreilles et revenaient le hanter jusque dans son sommeil. Ces larmes versées par la souffrance et l’humiliation le submergeaient de honte. Il les voyait jusque dans la goutte d’eau qui s’échappait du robinet, jusque dans la pluie ou la rosée du matin, comme si tout se liguait pour lui rappeler sans cesse son crime odieux. Camus avait terriblement souffert et il n’en tirait aucune gloire. Oh non ! Au contraire ! Il lui donnerait volontiers sa vie pour effacer ce qu’il lui avait fait… Mais Camus n’était plus et il devait l’attendre de pied ferme aux Enfers.
Milo ramena son oreiller contre lui, fermant les yeux de toutes ses forces alors qu’un violent frisson le parcourait tout entier. Se rendormir pour ne plus penser, pour ne plus se sentir coupable, pour ne plus avoir envie de vomir, pour ne plus être dégoûté de soi, pour ne plus se haïr, pour oublier… tout oublier jusqu’à sa propre existence, oublier le vide dans son être qu’avait créé la mort de son amour secret, oublier ce souvenir atroce où l’être cher perd conscience dans une mare de sang… par sa faute…
Et de cette situation dangereuse, il ne pouvait en parler à personne… absolument personne. Il avait bien trop honte de lui-même ! Il avait d’ailleurs été très succinct dans son rapport, signalant simplement qu’il avait laissé le Verseau pour mort. Inutile de rentrer dans les détails, n’est-ce pas ? Si personne ne savait, il n’aurait pas besoin de s’expliquer… C’était ce qu’il avait pensé à ce moment-là, encore trop en état de choc lui-même pour songer aux conséquences de ses actes. Et en plus de ses propres remords qui avaient immédiatement commencé à le ronger, le Scorpion avait dès lors redouté à chaque instant une convocation du Grand Pope qui aurait sonné le glas de sa propre existence, ou plutôt semblant d’existence… Lâcheté de sa part ? Sûrement… Refus aussi d’accepter la vérité dans toute sa violence et sa cruauté… Milo était incapable d’une telle chose envers son meilleur ami, pensez-vous ! Son passé d’assassin ? Enfin ! Il était tout de même capable de se contrôler un minimum, non ?
Perdu dans ses réflexions tellement faites et refaites qu’il s’agissait d’ailleurs plus d’un mantra que d’une véritable pensée constructive, le Scorpion n’entendit ni la porte d’entrée de ses appartements s’ouvrir, ni les pas d’un individu qui ne cherchait pourtant pas à se dissimuler et qui heurta une canette de bière vide avant de jurer. Il y eut un bref moment de silence, puis l’individu sembla se déplacer et se rapprocher, trébuchant sur un autre cadavre métallique au passage, ce qui finit par tirer le Scorpion de son état semi végétatif sans qu’il ne daigne pour autant se manifester. L’intrus finirait bien par partir, comme tous les autres avant lui, découragé par son aura agressive…
– Milo ? Ne me dis pas que tu dors encore à une heure pareille ! fit une voix avec un léger accent.
Le Scorpion se garda de bouger ne serait-ce qu’un orteil. Allez… Dégage… Laisse-moi me morfondre en paix ! Mais il était dit que ce jour-là, le Grec ne resterait pas à ressasser ses erreurs tranquillement dans son lit. Son visiteur ne se gêna pas pour entrer dans sa chambre en s’exclamant :
– Milo ! ? Mais tu n’es pas encore prêt ! ! Qu’est-ce que tu as bu hier soir ? ?
Face à l’absence totale de réaction de son interlocuteur, son visiteur ouvrit en grand les rideaux de la chambre et enleva d’un geste vif le drap qui recouvrait le Chevalier.
– Allez debout, marmotte ! Il te reste trente minutes pour dessaouler et être présentable !
Milo chercha d’une main tâtonnante à récupérer son drap en marmonnant :
– Aphro, laisse-moi tranquille… Veux dormir…
Le Poissons ouvrit une armoire et commença l’inventaire des vêtements du Scorpion pour lui choisir une tenue plus décente que son boxer.
– Pas aujourd’hui, Milo ! Athéna nous attend ! C’est un jour spécial et ta présence est indispensable.
– M’en fous ! gronda un Grec de très mauvaise humeur tout en lui tournant le dos délibérément.
Le Suédois s’assit près de son compagnon d’armes et fit avec sérieux, le regard fixé sur le linge qu’il avait sélectionné :
– Milo, je t’en prie… On ne te voit plus que très rarement… Tu restes enfermé dans ton Temple en permanence depuis son départ… Tu dois l’oublier, penser à autre chose… Te réfugier dans le sommeil et l’alcool ne fera que retarder les choses !
Milo se dressa assis sur son lit brutalement en s’écriant :
– L’oublier ? ! ? Mais je l’aimais, Aphrodite ! L’oublier ? ! Comment le pourrais-je après ce que je lui ai fait ? Je l’ai…
Le Scorpion s’arrêta net, prenant brutalement conscience de ce qu’il était en train de dire. Ses yeux s’écarquillèrent d’horreur et il devint livide. Il baissa la tête et cacha son visage dans ses mains :
– Je l’ai fait tellement souffrir… J’ai fait quelque chose de monstrueux… Oh, si tu savais… Je suis impardonnable… Il ne pouvait même plus se défendre… J’en suis malade, Aphro, j’en crève… Je vois encore son visage… Il baignait dans son sang… Ses yeux, ses yeux… Il pleurait à la fin… Je…
Un hoquet secoua Milo qui se tassa sur lui-même alors que de nouvelles larmes de désespoir et de honte coulaient sur ses joues. Encore une fois ces images atroces venaient danser devant ses yeux et il lui était impossible de leur échapper. Il allait devenir fou. S’il ne l’était pas déjà… Il se sentait si mal, si seul. Il chutait, il le savait et il ne savait à quoi se raccrocher pour s’en sortir. Mais qui pourrait seulement le comprendre et l’aider ? Si au moins Camus était encore en vie… Ne serait-ce que cela… Alors oui, il se battrait pour lui…
Le Suédois, un instant désarçonné par cet aveu brutal et par cette facette inattendue du jeune Grec, le prit doucement dans ses bras pour le bercer après avoir posé les vêtements à côté de lui. Tout ce qu’il avait compris à l’histoire, c’était que visiblement Milo avait attaqué Camus alors que ce dernier était déjà très esquinté par ses affrontements précédents. Son sens de l’honneur se trouvait donc entaché. Vaincre un adversaire déjà au sol n’avait rien de très glorieux en soi. Mais justement, Camus était devenu un ennemi dangereux à abattre et le Scorpion était l’un des assassins du Sanctuaire. Il caressa ses cheveux lentement et prit un ton rassurant :
– Milo… Il avait trahi Athéna… Conspirer contre le Sanctuaire et vendre ses secrets à l’ennemi sont des crimes impardonnables… Tu sais comme moi qu’il aurait dû être condamné à la peine capitale et subir un châtiment exemplaire. Seule la clémence de notre Déesse lui a laissé un sursis. Tout cela, c’est du passé… Il faut le laisser là où il est… On ne peut revenir en arrière… Milo, aujourd’hui, l’armure du Verseau doit être réattribuée. Je t’en prie, pour le Camus que tu as aimé, sois présent à cette cérémonie. C’est important.
Milo se détacha d’Aphrodite et eut un sourire triste :
– Voir Hyoga dans l’armure de son maître tous les jours, ça va être dur…
Aphrodite se leva et fit calmement :
– Tu t’y habitueras, comme chacun d’entre nous… Tu sais, cet événement tragique a ébranlé tous les autres Saints aussi… Mais il faut aller de l’avant.
Il se dirigea vers la porte et eut un sourire engageant :
– Habille-toi ! Je vais te préparer une petite collation. Thé ou café ?
Milo se leva à son tour et prit ses affaires en répondant :
– Café… Merci pour tout, Aphro…
Le Suédois lui fit un clin d’œil et se rendit dans la pièce qui avait dû être une cuisine dans une vie antérieure, avant de devenir un champ de bataille, et de servir accessoirement de poubelle au Scorpion. Il parvint à retrouver la cafetière perdue derrière une forêt d’emballages vides – et miracle ! – des biscottes mangeables, encore emballées dans leur étui dans un placard qui n’avait pas encore subi les ravages du cyclone Milo.
Quelques minutes plus tard, ils étaient attablés devant un encas simple et rapide à avaler. Ils n’échangèrent pas un mot, mais le Suédois nota toutefois que son homologue avait vraiment une sale tête, et que six mois de réclusion ne lui avait pas fait vraiment beaucoup de bien. Et là, il pouvait s’estimer heureux car le Scorpion était sobre, ce qui n’était pas toujours le cas. Il se contentait de mâchouiller sa biscotte beurrée, le regard hanté par ses visions et les mains encore un peu tremblantes. Une fois la collation terminée, ils débarrassèrent la table et sortirent du temple. Soudain, Aphrodite marqua un temps d’arrêt, levant les yeux au ciel et se mordillant la lèvre inférieure :
– J’allais oublier ! Quelle tête en l’air je peux être parfois !
Milo le regarda sans comprendre quand, sans crier gare, un déluge d’éclairs dorés et éblouissants entoura le corps d’Aphrodite. Une fois que ce phénomène cessa, le Scorpion vit le Poissons tout étincelant dans son armure qui soulignait sa silhouette délicate, le casque en main et la cape et la chevelure azurée flottant dans la brise. Ce dernier eut une petite grimace en regardant le ciel bleu où il n’y avait pas le plus petit bout de nuage :
– Il fait horriblement chaud pour porter une armure et je vais coller de partout dans moins d’une heure, mais le protocole…
Milo eut un fantôme de sourire taquin :
– De quoi te plains-tu ? Tu as un sauna gratuit ! Tu devrais être ravi, non ?
Aphrodite le considéra durant quelques secondes, étonné de voir surgir l’ancien Milo sans crier gare, même si ce n’était qu’apparence, même si ce n’était que pour faire bonne figure une fois sorti de son antre… Six mois que le Sanctuaire n’avait pas entendu les répliques malicieuses et cyniques du Grec. Pourtant, cela sonnait étrangement faux. Tentative de gaieté d’un cœur triste et ravagé. Une passe d’armes qui ressemblait bien plus à une dernière estocade avant l’adieu définitif. Aphrodite, brusquement mal à l’aise devant ce regard presque mort, se détourna et s’exclama avec un peu trop d’entrain :
– Et je vais être plus écarlate que ton aiguille et ma peau sera couverte d’érythèmes vermillons ! Quelle horreur ! Ce soir, ça sera un véritable cauchemar pour réparer tous ces ravages !
Le Scorpion afficha une expression ahurie et il garda quelques secondes le silence pour tenter de saisir le sens des mystérieuses paroles de son homologue. Il songea que Camus, lui, aurait compris et le lui aurait expliqué… Non ! Il ne devait plus penser à lui. Il était mort ! Une réponse vague suffira…Avec un peu de chance, il ne remarquera rien… se dit-il.
– Bah, je te fais confiance… T’en as l’habitude, non ?
Aphrodite ne tenta pas de confirmer l’affirmation donnée au hasard par le Scorpion. Ils n’avaient plus guère le temps de discuter. Il fit signe à ce dernier qui perçut le message. A son tour, Milo revêtit son armure, mais contrairement à son compagnon, il mit son casque en place, le positionnant soigneusement sur sa chevelure indisciplinée. La Cloth lui semblait bien lourde depuis la dernière fois où il l’avait revêtue et d’ailleurs, elle était un peu flottante aussi… Elle allait devoir s’adapter à son corps qui avait pâti de ces derniers mois d’inactivité totale. Et à y réfléchir sérieusement, il se demanda s’il pourrait encore se déplacer aussi vite qu’avant. Cela faisait tellement longtemps qu’il n’avait pas mis le pied dehors. Serait-il capable de se battre si jamais le Sanctuaire était assailli ? Non… Probablement pas… Il se sentait bien trop affaibli… Le premier venu le balaierait sans aucune difficulté.
Ils descendirent les marches sans courir mais conscients d’être très légèrement en retard. Ils entrèrent dans l’arène où déjà tout le monde s’était rassemblé et ils rejoignirent la rangée de Golds qui attendaient patiemment le début de l’épreuve. Milo, la tête basse, tentait d’être le plus discret possible, mais aux côtés d’Aphrodite, c’était peine perdue ! Ce dernier s’arrangeait toujours pour se faire remarquer partout où il allait et encore une fois, ce fut le cas alors qu’ils venaient à peine de s’asseoir. Angelo eut un sourire moqueur :
– Eh bien, la Poiscaille ! Tu m’as pas l’air très frais ! Quand as-tu vu la mer pour la dernière fois ? Ou alors as-tu fait connaissance du fameux dard du Scorpion ?
Le Scorpion faillit avaler de travers et il grogna, mécontent :
– Ferme-la, le Crabe, ou je vais te le faire connaître, mon dard !
– Ouh là ! L’Insecte s’est levé de la mauvaise patte ! fit Angelo en ricanant.
Milo se dressa brusquement en faisant brûler son cosmos, totalement instable, ses yeux ayant pris un éclat rubis tout à fait inquiétant. Il hurla de rage :
– Tu sais ce qu’il te dit, l’Insecte ? ! ? Tu peux pas me foutre la paix, le Rital ? ! C’est plus fort que toi ! ! ! J’en ai assez ! ! Tu veux qu’on règle ça dans l’arène ? ! J’ai justement besoin d’un punching-ball et ta face de Crabe me convient tout à fait ! !
Angelo se leva à son tour, enflammant aussi son cosmos :
– Non mais ! Tu vas te calmer ! Qu’est-ce qui te prend ? Tu es devenu complètement fou, ma parole !
Aphrodite posa une main apaisante sur l’épaule du Scorpion, dont l’aura crépitait et ondulait sans parvenir à s’harmoniser, et fit :
– Milo, calme-toi, il plaisantait… Je t’en prie, reprends-toi…
Saga, de son côté, faisait de même avec Angelo qui bouillait de colère. Toute l’assemblée s’était tue, attendant la suite avec une certaine angoisse. Athéna elle-même restait surprise. Qu’arrivait-il donc à Milo ? Même son cosmos n’était plus sous contrôle ! Il était si sensible et caractériel depuis… Elle ferma les yeux et inspira à fond pour maîtriser sa propre émotion. Ainsi donc le Scorpion se perdait depuis son retour d’Athènes. Elle s’en voulut de ne pas avoir compris à quel point la situation de son Chevalier était grave… Elle allait devoir intervenir rapidement pour le sortir de ce marasme.
Pendant ce temps, le Scorpion se rassit en éteignant sa cosmo-énergie et bougonna, d’un air peu convaincant :
– Je n’aime pas du tout ce genre de plaisanterie…
Angelo fit de même et croisa les bras d’un air vindicatif :
– Pensais pas te froisser pour si peu… Ce que tu es susceptible !
Les autres Golds se regardèrent avec autant d’étonnement que d’inquiétude. Non seulement Milo était devenu tellement irascible qu’un rien le mettait en fureur mais, en plus, il restait irrémédiablement solitaire, enfermé dans son Temple, refusant sans cesse de se joindre aux entraînements et aux sorties communes, préférant dormir ou boire. Il avait même oublié les réunions de ces deux derniers mois au palais du Grand Pope. Il arborait un teint blafard, presque grisâtre, et son armure cachait bien mal sa grande maigreur. Ses yeux avaient perdu leur éclat scintillant ; quant à ses cheveux, ce n’était plus qu’une masse hirsute à peine peignée, aussi terne qu’une vieille brosse à dents. Où était donc passé le Milo bon vivant, cynique, plein d’entrain et joueur d’autrefois ? Il avait bel et bien disparu en même temps que Camus et beaucoup pensait qu’on ne tarderait pas à voir sous peu la réattribution de l’armure du Scorpion.
Dents serrées, poings crispés, corps tendu et yeux aux teintes orangées, Milo se garda de répondre. Il ne voulait pas offenser Athéna. Et… il y avait cette armure du Verseau… tout ce qui restait de son ami, de son amour perdu. Son seul héritage, avec la douleur cruelle et incessante de sa disparition qui le tuait peu à peu, qui le rongeait plus efficacement que n’importe quelle maladie incurable. Il aurait dû se pendre ce jour-là, au moins il n’aurait pas enduré toute cette souffrance !
Le Grand Pope se leva et étendit les bras. Le silence se fit et il prit la parole :
– Chevaliers, nous voici tous réunis en ce lieu, en présence de sa Majesté Athéna, afin d’attribuer l’armure d’or du Verseau. Ainsi la garde dorée sera complète et la roue du Zodiaque continuera à protéger l’Humanité et le Sanctuaire.
Athéna était aussi nerveuse que Shion. Camus n’était pas mort et son cœur lui restait fidèle… Comment allait réagir l’armure ? Accepterait-elle de couvrir Hyoga provisoirement pour donner le change ? Le Chevalier du Cygne était leur meilleur candidat. Si l’armure le refusait, qui d’autre pourrait prétendre la porter ? A part Camus lui-même, ce qui, évidemment, était impossible pour le moment…
– Pour tenter l’Epreuve de l’Armure, nous n’avons qu’un seul prétendant. Il s’agit de Hyoga, Chevalier du Cygne…
Le susnommé apparut au bout de l’arène, plus pâle qu’à l’ordinaire, et il remonta jusqu’à une distance honorable du Grand Pope et de la Déesse. Il ne portait pas d’armure, seulement son T-shirt bleu habituel, son pantalon noir et ses jambières oranges. Il mit un genou en terre et s’inclina devant celle qu’il protégeait et son représentant sur terre. Il se demandait bien à quel type d’épreuve il allait être confronté… Normalement, pour porter la Cloth du Verseau, il aurait dû combattre son maître jusqu’à ce que l’armure vienne d’elle-même le recouvrir, achevant leur affrontement en le reconnaissant comme le nouveau Chevalier d’Or. Mais Camus n’était plus là… et il avait entaché l’honneur des Chevaliers du Verseau passés et à venir.
Sur un signe du Grand Pope, il se releva et ses yeux, d’un bleu aussi pâle que celui des glaciers du Grand Nord, se posèrent sur l’urne qui trônait crânement sur un petit piédestal à quelques mètres de lui. Il déglutit péniblement. C’était lui ou il ressentait comme une onde agressive venant de la Pandora Box ? D’ailleurs, elle lui semblait plus grande que dans son souvenir, plus imposante aussi, et elle brillait de mille feux sous l’ardent soleil grec. Il n’avait pas encore fait un pas en sa direction et pourtant il ressentait comme un vague malaise… L’Epreuve consistait-elle à dompter l’armure ? Incertain, il attendait, ne sachant trop ce qu’il devait faire, observant l’urne qui paraissait pourtant bien inoffensive.
Les spectateurs se taisaient, absolument silencieux. Parmi eux, les Chevaliers d’Or scrutaient, goguenards ou attentifs, la scène qui se déroulait sous leurs yeux. Hyoga avait l’air d’une poule qui venait de trouver le couteau qui allait l’égorger mais rien ne s’était encore produit. Seul Mü, avait plissé les yeux, se concentrant davantage sur la Pandora Box. Quelque chose venait d’éveiller sa méfiance, mais il aurait été bien incapable de dire ce que cela était au juste… Il jeta un coup d’œil à Shion et à Athéna et il découvrit, médusé, que ces derniers étaient tendus, comme s’ils redoutaient quelque chose. Il reporta son attention sur le Russe et la Pandora Box et chercha à comprendre ce qu’il se passait. Mais il savait d’emblée que des éléments importants lui échappaient…
Le Grand Pope décida d’intervenir. Hyoga n’allait pas non plus passer toute la semaine à regarder l’urne en chien de faïence… Shion avait parfaitement ressenti la menace sourde d’Aquarius qui ne semblait pas vouloir se laisser convaincre aussi aisément. Il espérait juste que le petit saurait se montrer à la hauteur du défi de l’armure.
– Hyoga, l’armure du Verseau est ici… dit-il en désignant l’urne dorée devant lui.
Le Cygne s’approcha lentement de la Pandora Box, avec respect, mais aussi avec une crainte manifeste. L’oppression était devenue plus lourde à chaque mètre franchi. Et il avait l’impression de commettre un véritable sacrilège. Après tout, c’était l’armure de son Maître, de celui qu’il avait tant vénéré autrefois. Porter cette Cloth lui semblait si peu naturel, d’autant plus qu’il ne l’avait revêtue qu’en cas d’urgence, dans des situations désespérées. Maître… Pourquoi a-t-il fallu que vous trahissiez Athéna, surtout après toutes les souffrances que vous aviez endurées pour elle ? Vous, qui m’aviez appris à être un Saint digne de ce nom, celui que l’on disait le plus loyal et le plus droit des Golds… Je ne comprends toujours pas pourquoi vous avez commis un tel crime… Pour quelle obscure raison ? Maître Camus, vous commenciez tout juste à sourire ! Je ne me sens pas digne de cette armure, c’est la vôtre ! Comment pourrais-je être à l’aise en la portant alors que votre ombre sera toujours là ? Oh, Athéna… C’est tellement difficile…
Après quelques secondes d’immobilité pour se donner du courage, le cœur battant à tout rompre, il tendit la main vers le système d’ouverture. Un reflet glacial parcourut la surface de l’urne, comme un vague avertissement, s’ajoutant déjà à l’atmosphère coercitive qui semblait s’être solidifiée tellement la pression était forte, le défiant d’aller plus loin. Inspirant à fond, Hyoga saisit la poignée et tira dessus, faisant coulisser la chaîne dans un tintement métallique.
Le temps parut se suspendre alors que rien ne semblait se produire. Hyoga se demanda si c’était le mécanisme qui s’était enrayé ou si c’était la Pandora Box qui se rebellait… L’urne avait l’air de refuser de s’ouvrir délibérément… Un autre reflet blanc et aveuglant dansa sur sa surface dorée, plus lentement, s’attardant sur les courbes de son symbole, et la pression hostile devenait à peine soutenable pour le Cygne.
Puis tout sembla rentrer dans l’ordre. L’atmosphère s’allégea d’un seul coup, relâchant Hyoga qui n’en pouvait plus. Camus avait-il dû affronter une telle malveillance lors de sa propre Epreuve ? Il retint son soupir de soulagement et aborda la suite avec un peu plus de sérénité, même s’il n’en menait pas large. L’urne semblait enfin s’être décidée. Des éclats de lumière, rivalisant avec les rayons du soleil et la foudre du maître des cieux, jaillirent enfin de chaque arête de la boîte et les parois s’écartèrent dans un déluge scintillant et doré. L’armure surgit, splendide dans sa forme de présentation, sa jarre maintenue au-dessus de la tête, étincelante sous l’étouffant soleil grec. Le regard vide de son masque fixait Hyoga, tout à fait impassible, comme s’il attendait un signal.
Parmi les témoins de la scène, il y en avait trois qui ne pouvaient plus quitter des yeux l’armure. Ils avaient parfaitement ressenti sa précédente tentative de déstabilisation et ce soudain revirement était pour le moins étrange, sinon suspect. Mü ne comprenait pas pourquoi Aquarius montrait une telle animosité envers Hyoga alors que ce dernier l’avait déjà revêtue à plusieurs reprises. L’armure agissait-elle de son plein gré ou avait-elle reçu une consigne de la part de Camus ? Ce dernier avait-il préparé une vengeance posthume ? Qui pouvait vraiment se vanter d’avoir fréquenté suffisamment l’ancien Verseau pour prévoir ce qu’il ferait juste avant d’être découvert, traqué et mis à mort ? Le Bélier serra progressivement les poings, entièrement dans l’attente de ce qui allait suivre, ne voulant pas perdre un seul instant de ce qui se déroulait sous ses yeux pour mieux appréhender le problème… Car il le voyait gros comme son temple, Aquarius allait atterrir dans son atelier sous peu et lui, il allait devoir trouver des réponses aux questions qu’on lui poserait certainement !
A ce moment-là, le Cygne fit exploser son cosmos et le poussa de toute sa puissance. C’était la seule chose qui lui était venue à l’esprit étant donné que la Cloth restait inerte. Il appelait l’armure de son aura blanche pour qu’elle vienne le recouvrir et l’accepter. Une aura dorée entoura cette dernière en réponse et elle se sépara de son socle pour s’approcher lentement de son prétendant. Hyoga recula de quelques pas afin de se laisser une marge de manœuvre suffisante. Il ne savait trop à quoi s’attendre au juste, l’armure n’avait toujours pas tenté de s’harmoniser avec son cosmos. Elle émettait une aura dorée mais ne cherchait pas à initier le contact avec la sienne.
Tous les spectateurs retenaient leur souffle : Aquarius allait-elle reconnaître Hyoga digne d’elle ou non ? Pour l’instant, tout se déroulait à peu près normalement, mais l’épreuve n’était pas terminée pour autant… Et tout paraissait se passer au ralenti, comme si chaque étape était décomposée à l’extrême, avec une indolence proche de l’incurie. Aquarius finit par s’immobiliser et durant encore un laps de temps interminable, son masque impénétrable sembla fixer le Russe au cosmos ouvert à tous vents, comme pour le jauger, mais en aucun cas, il n’y eut de communication entre les deux auras, marquant encore le trop grand contraste entre les deux.
L’armure éclata et tout le monde crut qu’elle allait enfin se décider à recouvrir Hyoga. Chacune des pièces qui la constituait resta en suspension dans les airs, comme maintenue par des fils invisibles, retardant encore l’inéluctable. Mais au lieu de s’approcher du Cygne, dans un aveuglant flot lumineux, la Cloth se recomposa sous sa forme " humaine ", comme si un corps la portait. Elle se tenait debout face au Russe, inébranlable. Ce dernier ne savait plus comment réagir. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Pourquoi l’armure ne le recouvrait-elle pas ? Qu’attendait-elle ? Que voulait-elle ?
Il y eut encore un bref instant où rien ne se passa. Soudain l’armure avança d’un pas, puis d’un autre dans un cliquetis métallique, alors que l’aura dorée prenait peu à peu plus d’ampleur et d’intensité. Au quatrième pas, des cristaux de glace commencèrent à se former autour d’elle, tandis que la température chutait à une vitesse croissante et qu’un souffle glacial se faisait ressentir jusque dans les gradins de l’arène. Hyoga avait de nouveau reculé de manière précipitée. Ce n’était plus une armure que le Cygne avait en face de lui, mais bel et bien un ennemi qui souhaitait en découdre avec lui. Il tomba instinctivement en garde, essayant de connaître les intentions de cet adversaire inhabituel.
Ce dernier s’arrêta enfin, planté au milieu de l’aire de combat, jambes légèrement écartées. Encore une pause… L’atmosphère oppressante fit son retour en force, broyant presque Hyoga sur place. Une larme translucide, un éclat de lumière chatoyant, glissa des yeux du masque inexpressif et roula sur la joue froide. Une autre la suivit et encore une autre… L’armure du Verseau pleurait.
Doucement, Aquarius leva les bras et les joignit au-dessus du heaume pour former… une jarre. L’aura dorée s’intensifia brutalement, le froid devint insupportable alors qu’une plaque de glace se formait et s’élargissait autour de la Cloth. Mais le pire était peut-être cette énergie que tous pouvaient voir remonter le long des bras pour se concentrer dans la jarre en attendant d’être libérée.
Hyoga eut un cri d’horreur et recula d’un pas : l’armure imitait la position de Camus pour l’Aurora Execution ! C’était un cauchemar. Il ressentit comme un coup dans l’estomac : la Cloth avait gardé l’attaque du Verseau comme si elle avait une mémoire ! Comment pouvait-elle le considérer réellement comme un ennemi, lui, qui l’avait déjà portée à plusieurs reprises, lui, le disciple de Camus ? Il commençait sérieusement à paniquer : il savait qu’une armure était vivante et pouvait même faire preuve de volonté à certaines occasions, mais de là à l’attaquer de son propre chef !
La Cloth baissa les bras vers lui, la jarre déversa son énergie et un souffle presque polaire le balaya aussitôt sans qu’il n’y oppose une réelle résistance. Elle l’avait fait… Elle l’avait attaqué de sa propre volonté ! Le Cygne ferma un instant les yeux, n’osant comprendre ce que cela impliquait… Ainsi Camus refusait de lui céder son armure et ne voulait plus l’aider ? Non, cela ne pouvait être, son maître avait toujours été là pour le guider, même par-delà la mort. Il devait y avoir une autre raison.
– Hyoga ! crièrent en chœur les Bronzes, les Golds et Athéna, effarés.
Un silence de mort tomba aussitôt après l’exclamation des témoins abasourdis. Le Cygne était à terre et l’aura dorée d’Aquarius continuait de flamboyer sans faiblir, alors qu’une épaisse plaque de glace s’étendait désormais à ses pieds. Ce n’étaient plus quelques larmes qui coulaient sur les joues du masque, mais deux rivières argentées qui gelaient à mi-parcours. Elle semblait attendre que le Russe se redresse. Pour faire quoi ? L’attaquer de nouveau ?
Hyoga ne se releva pas totalement. Pour lui, la situation était claire : l’armure ne voulait pas de lui, autant abandonner. Il avait compris le message d’Aquarius et ne chercha pas à outrepasser sa volonté, c’était inutile. Il n’avait pas envie de faire comme un certain Deathmask ou un certain Saga démoniaque et courir après une armure infidèle qui se ferait la belle à chaque fois que ça lui chanterait ! Il aurait l’air malin devant un ennemi si sa Cloth allait faire un tour sans lui en le laissant sans défense ! Visiblement, ils ne se faisaient pas mutuellement confiance…
L’armure, après ce premier coup d’éclat et l’abdication de Hyoga, gardait cependant sa position statique. Son aura s’intensifia brutalement mais rien ne se produisit pendant un long moment. Mü sursauta, alors que Shion et Athéna se crispèrent d’inquiétude. Aquarius s’était opposée à leur volonté et s’était, de fait, rebellée, mais c’était une armure et elle était certainement la plus apte à juger si le prétendant lui ferait honneur. Non, ce qui était vraiment alarmant, c’étaient ces filaments argentés virant doucement au blanc laiteux, qui venaient d’apparaître dans l’aura dorée, et qui se propageaient comme un poison, la changeant peu à peu…
Il y eut une détonation assourdissante, un éclat de lumière aveuglant et un blizzard à vous décorner un bœuf balaya la scène. Hyoga se retrouva affalé contre le parement de l’arène alors que les autres se remettaient plus ou moins de leur surprise. Aquarius était toujours debout, mais son aura était entièrement blanche et d’une puissance phénoménale. Par contre, du givre se formait lentement sur l’or qui la constituait… Elle était en train de geler.
Athéna regarda un bref instant le Grand Pope et communiqua par télépathie :
– Que se passe-t-il ?
– Je ne sais pas… La Cloth est peut-être entrée en communication avec un autre cosmos… En tout cas, celui-ci est trop puissant, répondit Shion, tout en réfléchissant.
– Il faut arrêter ça ! Nous risquons de perdre l’armure du Verseau !
– Nous ne pouvons rien faire. Il faut attendre que ce phénomène cesse de lui-même.
Alors qu’Aquarius semblait être complètement recouverte de glace, l’aura blanche s’effondra et se mit à pulser comme un cœur. Elle finit par se faire ronger elle-même par l’aura dorée qui reprit enfin le dessus et effaça toute trace argentée. Le givre fondit sur l’or, libérant la Cloth de sa gangue de glace. L’armure se retourna et se mit en marche vers Athéna, ne s’arrêtant qu’à quelques mètres de son urne, le masque semblant fixer la déité droit dans les yeux.
La plupart des témoins crurent halluciner. N’était-ce pas des mèches marine qui flottaient gracieusement dans le dos de l’armure et un éclat de saphir qui avait transpercé le regard du masque ? Le cosmos de Camus était-il encore si imprégné en elle que la Cloth ne pouvait accepter de nouveau porteur pour le moment ? Et qu’était-ce donc que cette aura blanche qui avait failli la détruire ?
Le mirage disparut sans crier gare. Après s’être agenouillée devant une Athéna stupéfaite, Aquarius éclata de nouveau pour reprendre sa forme d’exposition et retourner dans son urne dans un cliquetis hargneux. Le message était clair : c’était trop tôt. Pour elle, Camus était toujours le Chevalier du Verseau, même mort… Quiconque prétendrait la porter risquait de connaître un sort analogue au Cygne. Le problème était donc loin d’être résolu…
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