Déicide | By : Andarta Category: French > Anime Views: 1075 -:- Recommendations : 0 -:- Currently Reading : 0 |
Disclaimer: I do not own the anime/manga that this fanfiction is written for, nor any of the characters from it. I do not make any money from the writing of this story. Only the OC are mine. |
Auteur : Andarta
Genre : Euh ? Espionnage, Angst, Yaoi, du tout et n’importe quoi…
Couple : ShionxDokho en light…
Résumé : Alors… comment être brève ? Laïloken chez le Grand-Maître, un safari, un adversaire de taille pour Siegfried, une Vierge contre un mur et un Dragon des Mers au bord de la crise de nerfs… Je crois que c’est tout ! ^^
Note : Cette fois, c’est Nyannette qui s’est collée à la bêta ! ! Aux dernières nouvelles, elle respire encore… Mici Nyannette ! ! ^^
DEICIDE
Chapitre 2
– Sibérie orientale –
Encadré par les deux loustics, Laïloken entra dans ce qui semblait être le bureau du chef de camp. Le plus costaud des deux, celui aux cheveux gris acier, le poussa en avant, le forçant à avancer vers le centre de la pièce et le laissa seul devant le meuble où se trouvaient seulement quelques feuilles, deux crayons et une lampe. Son regard se posa sur un individu aux yeux à l’ambre inquisiteur, aux traits anguleux et à la chevelure chocolat rassemblée en catogan, où seule une mèche pendait sur le côté droit de son visage, comme pour mieux en souligner la sensualité et en diminuer la sombre autorité. Il avait les épaules bien découplées et donnait une impression de puissance non négligeable, même s’il était loin d’égaler un Aldébaran. Il était assis et il ne le quittait pas du regard, épiant le moindre de ses gestes comme pour l’analyser. Laïloken s’immobilisa tout à fait, refusant de lui laisser la moindre prise pour la plus petite analyse possible.
– Grand-Maître, nous avons trouvé ce Chevalier en fuite dans l’auberge du village… C’est un banni du Sanctuaire d’Athéna et…
– Sortez.
La voix était calme mais l’ordre indiscutable. Laïloken sentit comme un souffle de panique dans son dos et les deux hommes quittèrent rapidement la pièce sans un mot de plus. Il n’eut pas vraiment le temps de se poser de questions car il se retrouva immédiatement soumis à un regard scrutateur qui ne se gênait pas pour parcourir lentement sa silhouette déliée, s’attardant sur certains points de son anatomie avec un plaisir évident, le caressant plus sûrement d’ailleurs que s’il l’avait touché physiquement.
La sensation était extrêmement désagréable. Laïloken se sentait de plus en plus mal à l’aise et se tendait instinctivement, prêt à riposter à la moindre alerte. Ce type en face avait tout d’un fauve en pleine chasse et il avait la fâcheuse impression qu’il était la proie. Le regard ambre où brillait une lueur intéressée devenait trop lourd, trop insistant, trop dérangeant. C’était comme si l’homme attendait une réaction quelconque de sa part et Laïloken se doutait bien qu’il s’agissait bien de cela. L’autre le testait pour voir jusqu’où il pourrait tenir.
Mais ce regard était aussi par trop… indécent. Il était évident que celui qui l’observait aussi attentivement le trouvait suffisamment à son goût pour prolonger cet examen silencieux et embarrassant. Il se sentit rougir sous son masque et fit un effort supplémentaire pour ne pas se trahir. S’il bougeait, s’il montrait sa gêne, l’autre gagnerait… Mais Laïloken n’était pas idiot : afficher ainsi son intérêt était aussi une façon de lui faire comprendre qu’il aurait tout à y gagner en se montrant gentil envers lui… Il savait déjà comment le faire plier si cela tournait mal car le Verseau n’avait nullement l’intention de céder sous prétexte que ce pauvre type le dévorait des yeux. Quoique dévorer n’était pas franchement le terme approprié… Non, il le faisait déjà sien, plutôt…
Une fois cette décision prise, il ancra son regard dans celui un peu trop gourmand de son vis-à-vis et attendit son heure. Il était patient… très patient… Il avait bien réussi à éduquer Hyoga et ce n’était pas gagné, loin de là ! Il s’assura que son cosmos ne laissait rien filtrer, que son attitude était bien neutre et à son tour, il observa l’autre, bien barricadé dans sa forteresse silencieuse.
Les épaules du fauve se tendaient peu à peu et les muscles de sa mâchoire se contractaient. Les yeux d’ambre se relevèrent brutalement et tentèrent de transpercer les orbites d’argent du masque. Un mince sourire de mauvais augure apparut sur les lèvres peu épaisses et bien dessinées alors que le nez aquilin se pinçait légèrement. Laïloken ne ratait rien, analysait tout, restant sur ses gardes au cas où…
– Je me doutais bien que tu avais manipulé ces deux crétins à l’auberge.
L’attaque était directe, le reproche volontaire. Laïloken décida de faire l’innocent. Même si la physionomie de ce type hurlait le contraire, peut-être était-il aisément influençable.
– Je ne les ai pas manipulés. C’est eux qui m’ont amené ici.
Le regard ambre se durcit, visiblement mécontent et les mains, jusque-là immobiles, se serrèrent lentement, comme une menace muette que le Verseau ne rata pas.
– Tut, tut, tut… Pas de ça avec moi… Ne joue pas à l’imbécile, s’il te plaît, tu vaux mieux que ça.
Laïloken se raidit imperceptiblement et constata d’une voix lasse, comme si le poids de sa situation le blessait au plus haut point :
– Non, je ne vaux plus rien désormais. Je suis un banni. Un banni n’a plus aucune valeur.
Le Grand-Maître s’appuya sur le dossier de son siège et l’observa durant plusieurs secondes sans dire un mot, comme s’il réfléchissait à sa réponse. Au bout d’un moment de silence insupportable pour les nerfs pourtant aguerris du Verseau, il laissa tomber comme s’il sortait une évidence :
– C’est à voir… Peut-être as-tu énormément de valeur pour certaines personnes… Des personnes auxquelles tu ne penserais pas habituellement.
– Vous, par exemple ? rétorqua posément Laïloken, sans détourner son masque de son interlocuteur.
Le Grand-Maître éclata de rire et se leva, imposant par sa taille et sa carrure. Il était plus grand que Laïloken et ce dernier devinait aisément la musculature qui jouait facilement sous son pull et son pantalon épais. C’était un guerrier préparé au combat, il n’y avait aucun doute là-dessus et il voulait le dominer. Il contourna le bureau d’une démarche nonchalante et s’appuya contre le bureau, bras croisés, ses yeux magnétiques toujours fixés sur lui :
– Oh là, comme tu y vas ! Qu’est-ce qui te fait croire que tu nous intéresses ?
Laïloken n’avait pas reculé et s’était contenté de le suivre du regard, mais la tension de son corps était bien réelle. Reste prudent, tu ne le connais pas, tu ne sais pas ce qu’il vaut au combat… Ne le quitte pas des yeux !
– La réaction de vos deux subalternes, peut-être ?
– Ne joue pas non plus au plus malin avec moi, veux-tu.
La réplique avait été cinglante, même s’il n’avait pas eu besoin de hurler, si bien que le Verseau avait sursauté. Il reprit plus doucement comme on caresse un chiot après l’avoir grondé :
– Comment t’appelles-tu ?
Laïloken serra les dents. Non mais il le prenait pour qui, là ? S’il croyait l’impressionner ainsi ! Il l’avait surpris, certes, mais cela s’arrêtait là ! Et il louvoya en le narguant :
– Vos sous-fifres n’ont pas encore fait leur rapport ? C’est étonnant…
Un sourire amusé fut la seule réponse à sa provocation, ainsi éludée. Le regard ambre se fit plus intense alors que Laïloken se sentait bizarrement mis à nu. C’était aussi étrange que désagréable, et surtout, absolument pas naturel !
– Je veux l’entendre de ta bouche. Comment t’appelles-tu ?
– Laïloken.
Le Verseau avait opté pour des réponses minimalistes. Il avait d’autres préoccupations plus urgentes à gérer. Il venait de comprendre d’où venait son malaise et qui en était à l’origine. Cette espèce de manipulateur à la noix avait des prédispositions télépathiques ! Il tentait de lire dans ses pensées ! Et s’il n’y avait que ça… Il y avait autre chose qu’il n’arrivait pas encore à définir pour le moment… Et lui qui n’avait aucune disposition dans ces domaines-là ! Cela se corsait… Il inspira calmement. Paniquer ne servait à rien et il en avait vu d’autres, non ? D’abord, faire le vide et surtout, lui opposer un barrage efficace… Il se mit à penser à la neige, au blanc, à la pureté, puis fixa uniquement son attention sur les yeux d’ambre.
– En es-tu sûr ?
– Certain.
Les yeux du Grand-Maître se plissèrent. Visiblement, il venait de se heurter à un obstacle imprévu et cela ne lui plaisait guère. Et la conversation ne menait à rien pour le moment. S’il voulait faire plier Laïloken, il devait s’y prendre autrement. Ce banni était fort, intelligent et arrogant, il avait survécu seul durant six mois sans l’aide de quiconque et il lui opposait une résistance mentale incroyable. Aucun des autres hommes du camp ne lui avait résisté de cette manière. Si effectivement ses intentions étaient pures, alors il ferait une recrue exceptionnelle… Et il allait bien faire comprendre à cette liane aux cheveux rouges ô combien désirable qu’il n’était pas dupe de son manège, parce que si elle se barricadait de cette manière, c’est qu’elle ne voulait pas qu’il y vienne faire sa tournée d’inspection.
– Moi pas. En attendant, va pour Laïloken… On verra ça plus tard. Alors comme ça, tu serais du Sanctuaire d’Athéna ? Pourquoi te croirais-je ? fit-il en se décollant du bureau et en se rapprochant dangereusement de sa cible.
– Parce que je suis en fuite et que si j’y retourne, je suis un homme mort, répondit naturellement Laïloken sans cesser de le surveiller.
Un frisson parcourut la colonne vertébrale du Verseau lorsqu’un doigt audacieux se glissa le long de son cou, effleurant sa peau doucement, jouant un instant avec quelques cheveux égarés avant de reprendre son chemin capricieux. Un souffle chaud murmura à son oreille, presque dans une caresse déguisée :
– Ce n’est pas une raison suffisante. Enlève ton masque.
– Non.
Le ton avait été ferme. La décision du jeune homme était irrévocable.
Le doigt laissa place à la main tout entière qui s’empara sans brutalité de la nuque de Laïloken alors que les yeux d’ambre se fixaient de nouveau sur le regard d’argent du masque. Cette fois, le ton fut beaucoup plus dur :
– Comment ça : non ? Enlève-le, je te dis. C’est un ordre.
Le Verseau ne tenta même pas de se dérober. Impassible, il rétorqua froidement :
– Etant donné que je n’appartiens pas à votre groupe, je n’ai que faire de vos ordres.
Un éclair d’exaspération passa dans les yeux du Grand-Maître qui saisit brusquement Laïloken par la gorge. Cette morgue horripilante ! Il allait lui faire ravaler son insolence, à ce morveux ! Et il n’arrivait absolument pas à lire en lui… Il se heurtait à… du blanc ! ! Mais que cherchait-il donc ? La mort ? Etait-il si désespéré ? Il ne le comprenait pas… Et il ne semblait même pas avoir peur alors qu’il aurait dû être terrorisé depuis longtemps… Mais pas lui. Pas Laïloken… Et ce masque l’empêchait de voir son expression, de savoir vraiment comment il réagissait. Car il aurait beau se barricader mentalement, son corps finirait par le trahir, lui ! Et ce masque n’était qu’un obstacle de plus à franchir… qu’il finirait bien par lui faire enlever !
– Et en tant que captif ? Tu refuseras aussi d’obéir ?
Laïloken prit le poignet du Grand-Maître qu’il tordit, se libérant du même coup de l’emprise de ce dernier sans sembler fournir d’effort particulier, avec une aisance incroyable. Il remarqua avec cynisme alors qu’il serrait sa prise :
– Parce que vous pensez être capable de me retenir ? Vous plaisantez !
Le Grand-Maître se dégagea violemment de son étreinte et le foudroya du regard. Il n’appréciait que très moyennement de se faire traiter de la sorte par cette espèce de paria qui pensait lui résister de manière aussi éhontée :
– Tu me sembles un peu trop sûr de toi pour un banni en fuite…
Laïloken se détendit légèrement. Pour un peu, on pouvait l’imaginer en train de sourire alors qu’il se mettait en mouvement, évoluant avec autant de souplesse qu’un léopard dans la nature, lui laissant admirer par la même occasion la noblesse de sa démarche et son port altier digne d’un prince. Il frôla un mur et se posta enfin un peu plus loin, à l’écart du Grand-Maître, lui assurant une marge de manœuvre suffisante en cas d’urgence. Il eut un geste de la main, comme s’il balayait une poussière imaginaire :
– Cela fait six mois que je survis. J’ai appris à analyser très rapidement mon environnement. En traversant votre camp, j’ai compris que pas un seul de vos hommes ne m’arrive à la cheville, même pas vous…
Le Grand-Maître sentait le feu courir dans ses veines. Cet homme au masque d’argent, à l’esprit impénétrable et au cosmos indétectable était un guerrier redoutable, à ne pas négliger. Quel qu’il fut, soit il intégrait le camp, soit il en ressortait les pieds devant. Il n’y avait pas d’autres alternatives désormais.
– Tiens donc ! Et pourquoi une telle affirmation ? Tu penses réellement pouvoir venir à bout de nous à toi tout seul…
L’individu au masque croisa les bras et tout à coup, le Grand-Maître ressentit un bouleversement brutal chez lui. Quelque chose venait de s’ouvrir et il se sentit basculer dans un flot absolument glacial et vide d’émotion. Il lui fallut un instant pour comprendre qu’il s’agissait là du cosmos de Laïloken et un autre encore pour réaliser la formidable puissance qu’il ressentait à travers le lien brutal qui venait de s’imposer à son insu. Et ce dernier laissa tomber comme si c’était une évidence :
– Pour moi, cela ne fait même pas l’ombre d’un doute.
Le Grand-Maître l’observa encore plus attentivement. Cette puissance, cette aisance et cette intelligence… Il venait du Sanctuaire d’Athéna, très certainement et ce n’était pas vraiment du menu fretin. Il était banni et il avait survécu à la chasse à l’homme depuis six mois… Le doute s’insinua en lui, teinté d’espoir. Non, ce n’est tout de même pas… lui ?
– Quel était donc ton grade ?
Laïloken ne prit même pas la peine de lui répondre. Il augmenta très légèrement la puissance de son cosmos à travers le lien qui l’unissait au Grand-Maître et il vit l’ambré partir un bref instant dans le vague avant de se fixer de nouveau sur lui. Le lien fut coupé brusquement et ce ne fut pas à son initiative alors que le chef de camp le fixait de nouveau comme sa proie, les traits crispés et le corps tendu. Il semblait animé d’une sourde détermination. Son regard était devenu proprement effrayant :
– Oh, je vois. Un Chevalier d’Or… Et ton comportement est à la hauteur de ce que l’on dit sur eux : hautain, fier et arrogant. Donc, en toute logique, tu es le Verseau. Dis-moi, que s’est-il passé lors de ta destitution ?
Laïloken n’aimait pas la tournure des événements et se mit aussitôt sur la défensive :
– Cela ne vous regarde pas !
Le Grand- Maître sourit à peine en sentant son adversaire déstabilisé et continua sur sa lancée :
– Comment a réagi Athéna ? Pourquoi n’a-t-elle pas ordonné ton exécution tout simplement ?
Poussé dans ses retranchements, Laïloken, se redressa brutalement alors qu’une vague de douleur et de colère montait en lui, incontrôlable :
– Parce qu’elle pense peut-être que je me repentirai un jour ? Je n’en sais rien et je m’en fiche !
Le Grand-Maître sentait les défenses de son vis-à-vis se briser et il chercha à pousser son avantage. Il jubilait intérieurement. Un Chevalier d’Or ! C’était inespéré ! Mais il voulait savoir ce qu’avait Laïloken dans le ventre et il le saurait :
– Par contre, je suis sûr que tes petits camarades, eux, ont dû être beaucoup moins cléments… Combien étaient-ils déjà ?
– Cinq…
Cela n’avait été qu’un petit filet de voix étranglé alors que le Grand-Maître sentait sourdre une immense souffrance latente qui ne demandait qu’à s’exprimer et par moments, une fureur terrifiante, presque inhumaine, qui grondait comme un volcan prêt à entrer en éruption. Il remarqua, sur un ton moqueur :
– Ah oui… A cinq contre un. Tu t’en es bien tiré. C’est même plutôt curieux, à mon humble avis.
Laïloken, qui avait baissé la tête un bref instant, la releva vivement et avança d’un pas vers le Grand-Maître, tout son corps tendu et frémissant de colère trahissant plus sûrement sa perte de contrôle que sa voix :
– Ils m’ont laissé pour mort. Je n’appelle pas ça bien s’en tirer.
– Ne joue pas sur les mots, tu sais très bien ce que je veux dire.
La réponse avait claqué comme un fouet. Laïloken recula d’un pas, saisi, et s’immobilisa, comme paralysé, toute colère envolée pour le coup. Il frissonna longuement, seule la douleur persistait, toujours là, omniprésente, déchirante et il sentit ses yeux lui piquer sous son masque. Non… Non… Tu ne peux pas… Tu n’as plus pleuré depuis… Il ferma les yeux et se crispa tout entier pour tenter de contenir cette souffrance qui le noyait totalement.
Le Grand-Maître l’observait toujours et s’il avait coupé le lien direct avec le cosmos de Laïloken, il tentait sans relâche de forcer les barrages que dressaient encore consciemment ou non son adversaire face à son incursion télépathique. Mais là, malgré ses solides défenses, il se sentait lui-même comme agressé par des flots discontinus d’un sentiment qui était toujours le même : la douleur, au-delà du supportable, qui le frappait lui-même par contrecoup, et menaçait sa propre psyché. Et au milieu de tout cela, il voyait une image qui revenait sans cesse, mais il ne s’y attarda pas pour l’instant. Laïloken était en pleine crise, il devait stopper ce qu’il avait lui-même déclenché et enfermer de nouveau cette souffrance dans sa boite interdite. Il fallait détourner son attention :
– Quelle était ta spécialité ?
Laïloken ne semblait pas l’avoir entendu, pourtant, il sentit la douleur nettement refluer. L’ex-Chevalier d’Or venait sûrement de reprendre pied. Comment ? Il ne savait pas vraiment et ce n’était pas l’essentiel. Au moins, lui, il ne souffrait plus !
– Quelle était ta spécialité ?
Le Laïloken qui lui répondit était de nouveau celui qui était le fier, l’insaisissable, le noble individu qu’il avait affronté depuis le début, avant sa perte de contrôle…
– Vos questions vont bien au-delà de la simple curiosité. Qu’avez-vous l’intention de faire de moi ?
Clair et direct. Aussi la réponse du Grand-Maître fut-elle de même :
– Cela dépend entièrement de toi et de ta coopération.
– Qu’attendez-vous de moi exactement ?
– Est-ce à toi de poser les questions ?
L’échange était vif, Laïloken semblait vouloir accélérer les choses, mais était-ce à lui de décider de ces choses-là ? Avec sa fierté, c’était aussi son arrogance qui était revenue au galop. Et le Grand-Maître n’avait toujours pas trouvé comment le prendre en défaut. Exaspérant ! ! Ses yeux d’ambre se plissèrent de nouveau et il se planta devant lui, le dominant ouvertement par la taille, le forçant à reculer jusqu’au mur, avant de l’y acculer pour de bon. Une fois qu’il l’eut amené là où il le voulait, il fixa les orbites argentées et cette fois, lorsqu’il prit la parole, la menace était clairement perceptible :
– Ne t’avise jamais de me défier, ancien Chevalier d’Or ou pas… Ici, JE suis le Grand-Maître et JE commande ce camp. Maintenant réponds ! Quelle était ta spécialité ?
Laïloken n’avait pas d’autre alternative que de répondre, ce qu’il fit, posément, d’ailleurs :
– J’étais un Chevalier des Glaces.
– Bien. Tu progresses vite. Tu as, semble-t-il, compris où était ton intérêt.
Le Verseau se garda bien de dire quoi que ce soit. Le Grand-Maître paraissait relativement agacé. C’était mauvais pour lui. Ce dernier prit une mèche de ses cheveux et sembla en apprécier la texture du bout des doigts avant de lancer, comme s’il ne s’agissait que d’une conversation anodine :
– Tu sais que même tes silences sont révélateurs. Ils m’indiquent que tu as des choses à cacher… Comme ce bloc, là, au fond de toi… et ce cosmos que tu as cherché à verrouiller si soigneusement… Mais ça ne sert à rien, je finirais par tout savoir de toi… Alors, hm ? Quel est cet étrange jeune homme aux yeux rouges et aux cheveux bleus que je vois tournoyer dans ton esprit ?
– Non… Vous n’avez pas le droit… gémit aussitôt Laïloken, le corps se mettant à frémir d’angoisse.
Le Verseau était de nouveau tellement préoccupé par sa propre souffrance qu’il ne se rendit pas compte que ses barrières venaient de s’effondrer en partie, laissant un passage suffisant pour que le Grand-Maître s’y engouffre aussitôt.
– Oh ! Je vois… Ton exécuteur… Bien, bien, bien… Voyons voir un peu plus loin…
– Cessez cela immédiatement !
La voix de Laïloken était vibrante de colère, cette fois. Le Grand-Maître se sentit rejeté violemment en arrière et ce fut comme si on lui claquait une porte au nez. De nouveau le Verseau s’était barricadé, et plutôt deux fois qu’une, car plus rien ne filtrait désormais. Il semblait ramassé sur lui-même, prêt à bondir à la moindre alerte, comme si le simple fait d’effleurer son esprit allait constituer un danger mortel pour lui et qu’il devait prévenir toute tentative venant de la part du Grand-Maître. Ce dernier sentit la moutarde lui monter au nez pour de bon :
– On se calme, Laïloken ! Tu n’es que colère, souffrance, violence ! Mais je veux savoir ce qui se cache sous cette apparence ! Qui es-tu réellement ?
– Vous ne verrez rien d’autre que ce vous avez déjà vu ! Vous vous prenez pour qui, à la fin ? Pour le maître du monde ?
Cette fois, les limites venaient d’être franchies. Rapide comme l’éclair, le Grand-Maître attrapa ses poignets qu’il joignit au-dessus de sa tête d’une seule main avant de le prendre à la gorge et de commencer à l’étrangler doucement mais sûrement :
– Je ne te préviendrai qu’une unique fois, Laïloken : je ne peux faire confiance qu’à ceux qui m’ont ouvert leur âme et qui ne me cachent pas ce qu’ils sont réellement ! Mais toi, tu te dissimules derrière ce bloc de haine et de glace comme si tu cachais tes véritables intentions… Dévoile-toi entièrement ! Ouvre-moi ton cosmos, ton esprit et enlève ce masque !
Laïloken, étouffé par la poigne de fer de son bourreau, parvint pourtant à rétorquer, sur un ton sans appel :
– Allez vous faire voir !
L’étreinte sur son cou se resserra brutalement et le Verseau hoqueta, cherchant l’air pour reprendre son souffle, en vain. Il vit vaguement les yeux d’ambre s’éclaircir pour devenir presque blancs et alors qu’il se sentait confusément perdre pied, il entendit une voix rauque murmurer à son oreille :
– Je t’attendais, Camus… Je t’attendais avec impatience…
Le Verseau dont la tête penchait dangereusement sur le côté, la redressa légèrement sans parvenir à vraiment distinguer son interlocuteur. Il n’y avait que le Grand-Maître, il en était certain. Pourtant… Ce n’était pas sa voix. Et il y avait ces yeux blancs, toujours, étrangement lumineux, qui lui semblaient avoir la capacité de tout connaître de lui… Et cette voix l’avait appelé Camus, ce qui était encore plus étrange et d’autant plus effrayant ! Il était soit en train de mourir, soit en train de devenir fou…
La main qui opprimait sa gorge relâcha la pression et aussitôt le Saint avala une goulée d’air frais qui eut pour effet de lui éclaircir un peu les idées. Quoique… Il y avait toujours ces yeux blancs terrifiants qui le regardaient avec une fixité à vous tordre les entrailles d’angoisse et le Verseau ne put s’empêcher de frissonner longuement. Il s’aperçut avec horreur que son cosmos comme ses pensées, aussi barricadés qu’ils furent, étaient soigneusement visités par une entité étrangère et qu’il n’arrivait pas à la repousser. Il murmura, impressionné malgré lui, conscient d’être en présence de quelque chose qui le dépassait :
– Qui… qui êtes-vous ?
– Tu céderas…
La réponse lui avait été soufflée directement dans son esprit. Les yeux blancs devinrent plus intenses et il bascula, comme s’il était aspiré en arrière. Le bureau disparut, les yeux blancs s’effacèrent, le laissant seul et ahuri au milieu de nulle part. Il ne voyait rien, tout était noir et confus… Il ne sut exactement combien de temps il passa à attendre là, sans oser bouger, ni même parler, cherchant à comprendre en vain ce qui venait de lui arriver à lui qui était si cartésien.
Il eut l’impression qu’un voile sombre se déchirait d’un seul coup et tout lui sauta au visage, l’agressant sans qu’il n’y soit préparé. Il se recroquevilla en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles, préférant d’abord faire face à son malaise naissant plutôt que d’affronter la cacophonie qui l’avait si sauvagement attaqué. Il se força au calme et inspira à fond. Il était le stoïcisme incarné, il ne devait pas paniquer pour si peu, n’est-ce pas ? Il se redressa lentement et découvrit enfin l’endroit où il avait atterri… Un frisson glacial dévala sa colonne vertébrale dans toute sa longueur. Si on le trouvait là…
Le Verseau regarda inquiet autour de lui. Le Sanctuaire d’Athéna. Il le reconnaîtrait entre mille. Puis il sombra dans l’horreur : tous les Chevaliers se battaient de toutes leurs forces sans parvenir à repousser les assaillants… Et partout, les corps s’accumulaient, épars ou en tas, entiers ou déchiquetés, baignant dans leur sang… Il reconnaissait les visages tordus par la souffrance et le Verseau se sentit frémir, le cœur au bord des lèvres, espérant qu’il y en aurait au moins quelques-uns qui s’en sortiraient et son espoir s’amenuisait peu à peu alors que la liste des victimes s’allongeait inexorablement… Les temples du Zodiaque s’écroulaient les uns après les autres dans un fracas sinistre, faisant trembler le Sanctuaire sur ses fondations. Impuissant, le Verseau criait comme un dément, cherchait à prévenir ses compagnons d’armes, voulait les rejoindre, sans y arriver et se débattait telle une mouche prise dans une toile d’araignée… Puis il y eut un cri strident qui couvrit les hurlements de rage de la bataille. Et plus haut, le Verseau vit la déesse, elle-même, empalée sur son propre sceptre… Son sang coulait le long de la robe immaculée dans un flot continu et sinistre. Il chercha alors à la rejoindre, en hurlant de rage, de désespoir et en pleurant, mais il était comme englué dans la scène… Il ne pouvait rien faire, absolument rien faire… Ses yeux s’écarquillèrent d’horreur en voyant ensuite la statue d’Athéna s’écrouler et tomber en poussière, suivie aussitôt des deux Palais encore debout. Les combats cessèrent, il n’y avait plus de Chevalier vivant… Un silence de mort planait sur les lieux… Il n’y avait plus que ruines et mort partout. Le Domaine Sacré n’existait plus. C’était la fin d’Athéna et de sa protection sur Terre.
Il n’eut pas le temps de véritablement comprendre ce à quoi il venait d’assister qu’il se retrouva devant ce qui semblait être le Palais de Poséidon où une scène identique se reproduisait… Et il vit, livide et nauséeux, le dieu marin, tout aussi désarmé face à cette invasion, proprement décapité alors que le Sanctuaire tout entier s’effondrait, les piliers abattus et les Marinas exterminés avant même que la bataille n’ait vraiment commencé. Comble de l’horreur, la tête ensanglantée de Poséidon fut abandonnée à l’entrée de son ancien Domaine en guise de gardienne.
Le Verseau, hébété, assistait au massacre, sans rien pouvoir faire, totalement impuissant. La divinité suivante fut Héphaïstos qui pas plus qu’Athéna ou Poséidon ne parvint à opposer une résistance efficace. Le dieu boiteux fut jeté dans l’Etna et le hurlement déchirant de la divinité arracha de nouvelles larmes à un Verseau tétanisé par tant d’horreurs. Il vit une nouvelle fois le Sanctuaire s’écrouler, les forgerons exterminés, et surtout, les armures disparaître… Les dieux n’avaient plus de protection.
Pourquoi ? Pourquoi lui montrait-on ceci ? Pourquoi à lui ? Qu’avait-il à voir là-dedans ? Il n’eut pas le temps de se poser davantage de questions. Le cycle des images s’accéléra, comme pris de folie… Après Athéna, Poséidon et Héphaïstos, ce fut le tour d’Hadès, et de tous les Olympiens, un par un, jusqu’à Zeus, lui-même, puis ce fut Odin, et les autres Panthéons, les uns après les autres… Un pur carnage… Une horreur absolue… Et à la fin, c’était le monde lui-même qui s’éteignait dans un massacre total… L’humanité gisant dans un bain de sang généralisé, expirant faute de ne pouvoir résister à un adversaire qui avait vaincu les dieux eux-mêmes…
Et lui, il était toujours là, l’âme brisée, n’en pouvant plus de pleurer, implorant un ciel vide de toute divinité. Mais qu’est-ce que je peux faire, par Athéna ? Oh ! Faites que cela n’arrive jamais ! ! Que faut-il que je fasse ? Je donnerai ma vie pour que cela ne se produise pas… Est-ce que cette mission est si importante qu’elle pourrait avoir de telles conséquences si je venais à échouer ? Il tomba à genoux, tremblant à la fois de terreur et de froid devant le poids de ses responsabilités. Il se sentait si misérable et si faible pour porter un tel fardeau. Qui était-il donc pour espérer sauver le monde ?
Il y eut comme un changement brutal de décor et il se retrouva de nouveau dans le bureau du Grand-Maître, toujours maintenu par les poignets, mais la gorge libre de toute pression. Par contre, il y avait encore ces affreux yeux blancs qui le dévisageaient. Ces mêmes yeux blancs qui le tétanisaient tellement que ses jambes se dérobèrent sous lui et qu’il ne fut maintenu que par ses poignets. Il entendit un grondement lointain qui ressemblait à un rire moqueur. Le Verseau eut la désagréable sensation d’avoir vendu son âme au diable. La voix parla de nouveau par télépathie, alors qu’une main aguicheuse lui soulevait le menton :
– Tu n’es qu’un mortel fait de chair et de sang… Ta chair est si faible et ton âme déjà si figée ! Tu seras une jolie poupée entre mes mains…En attendant, tu seras sous sa garde…Mais n’oublie jamais à qui tu appartiens, désormais…
Les yeux blancs disparurent, laissant la place au regard ambré qui découvrit avec surprise Laïloken à moitié effondré contre le mur. Le Grand-Maître songea alors qu’il avait dû y aller un peu fort en l’étranglant et il se souvint de ce qu’il lui avait demandé, à savoir lui ouvrir son cosmos ainsi que son esprit et enlever son masque. Quoique, pour ouvrir son esprit, il n’y avait pas trop de soucis, visiblement toutes les barrières s’étaient écroulées d’elles-mêmes… Il resta pourtant ferme sur ses positions :
– Qu’attends-tu ? La fonte des glaces ou que les ours polaires dansent le tango ?
– Je… Je ne peux pas…
Si le Grand-Maître fut surpris par ce changement radical de comportement, il ne le montra pourtant pas. Visiblement, Laïloken n’avait pas encore compris, alors il allait lui expliquer, avec le sous-titrage, s’il le fallait !
– Je ne pourrais t’accepter parmi nous qu’à cette seule condition. Je ne veux pas de traître dans mes rangs. Si jamais j’apprends que tu nous trahis, je t’écorcherais vif de mes propres mains, c’est clair ?
– Ce que vous me demandez est impossible… N’exigez pas de moi que j’enlève ce masque.
Le Verseau avait relevé le visage vers lui et semblait bel et bien trembler de tout son corps. Mais pour quelle raison ? Que redoutait-il tant ? Que cachait donc ce masque d’argent ?
– Pourquoi ? Que s’est-il réellement passé ? Tu es défiguré ?
– Non, mais je suis aisément reconnaissable.
Le Grand-Maître le relâcha après s’être assuré que Laïloken tenait sur ses jambes et il recula d’un pas en secouant la tête, cherchant visiblement une solution qui les arrangerait tous les deux.
– Je ne comprends pas. Si ce n’est que ça, on évitera de t’envoyer en mission à l’extérieur…
Laïloken se prit la tête entre les mains et gémit plaintivement, trop secoué encore par ce qu’il avait expérimenté avec les yeux blancs pour parvenir à reprendre pied :
– Arrêtez de fouiller mon esprit, s’il vous plaît… Ça en devient douloureux à force…
– Il faut bien que j’aille chercher les réponses moi-même puisque tu ne veux pas me les donner, fut la riposte implacable du Grand-Maître.
Et ce qui devait arriver arriva… Le Verseau s’écroula assis sur le sol, n’en pouvant plus de contenir sans cesse ce souvenir que l’autre cherchait à extirper de force… Alors il le lui livra, dans toute sa crudité et sa violence, détournant le visage pour ne pas voir le dégoût et le rejet s’afficher sur le visage de l’autre… Il ne l’aurait pas supporté. Il garda le silence. Pourquoi parler quand aucun mot n’avait assez de force pour exprimer toute la souffrance qu’il ressentait ? Après tout, c’était lui qui l’avait voulu…
– Laïloken ? Que… ?
Le Grand-Maître vit la scène avec horreur et il comprit… Voilà pourquoi Laïloken s’était obstiné à se barricader… La honte, la douleur, le rejet de cet événement… Il ferma un instant les yeux pour digérer l’information. Il avait devant lui un homme détruit qui se méfiait des autres et se surprotégeait. Un homme qui ne s’était jamais remis de son agression et qui ne faisait plus confiance à personne, même pas à lui-même… Quelle ironie… Laïloken possédait une puissance hors du commun et il avait été incapable d’empêcher cette ignominie…
– C’est ça que tu voulais me cacher ? ?
Le silence embarrassé de Laïloken fut le plus clair des aveux. Le Grand-Maître se mit donc à sa hauteur et fit un énorme effort pour se montrer plus doux et moins brutal. Lentement, comme s’il approchait un animal craintif, il fit en sorte de fixer les orbites argentées de son regard magnétique :
– Je… Je comprends parfaitement que cette situation soit difficile pour toi. Cela restera entre nous. Si tu as besoin de parler, je serais là. En dehors du commandement, je suis Galilée. Et je vois pourquoi tu veux porter ce masque. Il te protège…
Un sourire machiavélique étira les lèvres de Laïloken sous son masque, qui comprit ce que cela impliquait, malgré sa situation plutôt désespérée. Il venait d’être officiellement intégré dans la troupe et Galilée le prenait sous son aile. Parfait… Même avec toute la volonté du monde et tous ses talents d’espion, il n’aurait jamais pu faire mieux… Cela s’annonçait sous les meilleurs auspices…
– Merci… Galilée…
Le Grand-Maître se releva, bientôt imité de Laïloken qui sentit qu’il allait enfin apprendre des choses intéressantes. Galilée revint vers son bureau pour s’y installer :
– Maintenant, il est temps d’aller plus avant dans les détails… Sais-tu pourquoi nous nous battons ?
– Les deux autres m’ont dit que vous vouliez que les dieux nous laissent tranquilles et qu’ils cessent de nous envoyer nous entre-tuer à chacune de leur réincarnation… répondit Laïloken, après un court moment de réflexion.
– As-tu compris ce que cela implique ?
Tout le corps du Verseau se tendit brusquement, alors qu’il serrait les mâchoires et crispait les poings. Oh ! Par Athéna ! Dites-moi que je rêve…Pas ça ! ! Non ! Tout, mais pas ça ! !
– Oui, je vois à ta raideur que tu viens de comprendre… La diplomatie est un luxe que nous ne pouvons nous accorder.
– Mais tout détruire est-il cependant une meilleure solution ? Après tout, vous tuez ceux que vous voulez protéger, non ? tenta le Verseau.
Tout bien considéré, il pouvait bien essayer de les ramener sur la voie de la raison, non ? Peut-être que ces affreuses visions ne resteraient alors que des visions… En tout cas, il l’espérait…
– Ah… Laïloken… Tu n’es qu’un idéaliste, un rêveur un peu trop candide malgré tout ce qui t’est arrivé… Il faut parfois savoir faire des sacrifices.
Des sacrifices ? ! Il se fiche de moi, là ! ! Massacrer un Sanctuaire, c’est faire un sacrifice ? ? Mais comment a-t-il fait, d’abord ? Ils ne sont pas assez nombreux… Il n’y a pas assez d’hommes ici pour attaquer un Domaine comme Délos…Et surtout, ils n’ont pas la puissance nécessaire… Je n’y comprends rien !
– Mais… Mais comment vous vous y prenez ? Vous êtes si peu… et la majorité des hommes du camp ont un cosmos si faible…
– Nous nous préparons, mais cela tu le verras en temps voulu, fit avec un sourire énigmatique Galilée.
– Sommes-nous entièrement libres ou y a-t-il un dieu qui veut jouer au bon samaritain ? demanda avec méfiance Laïloken, qui bizarrement, regretta immédiatement d’avoir posé la question.
– Tu connais déjà la réponse. Il faut libérer l’humanité de ses chaînes et c’est à nous de faire en sorte que cela arrive.
Le Verseau avala sa salive alors que les yeux blancs s’imposaient une fois de plus à son esprit. Qui se cachait donc derrière ce regard étrange ? Il se secoua mentalement et revint au présent :
– Cela me semble très vague… Vous avez des cibles en tête ?
– Bien sûr, mais cela ne t’avancerait à rien de les connaître pour le moment, d’autant plus que tu viens d’arriver. Ne t’inquiète pas, tu finiras par y voir plus clair dans les semaines à venir.
Laïloken se sentait frustré… Voilà que ce Grand-Maître de pacotille ne répondait pas à ses questions ou les éludait purement et simplement ! Il était bien avancé, tiens ! Il avança d’un pas, comme s’il semblait taraudé par une question…
– Galilée…, commença-t-il.
– Grand-Maître. Galilée, c’est en privé, fut-il immédiatement corrigé.
– Pardonnez-moi, Grand-Maître. J’ai ressenti une grande puissance en arrivant. Qu’était-ce donc ?
Question innocente en apparence… Mais qui parut alerter Galilée qui se montra plus dur.
– Rien qui te concerne, ne t’en mêle pas, Laïloken. Et ne t’avise pas à désobéir où il t’en cuira. C’est clair ?
– Très clair, fit ce dernier d’un ton un peu pincé.
– Bon, parlons de ton affectation… Bien que tu sois un ancien Chevalier d’Or et que ta puissance soit indéniable, il faut prendre en compte la façon dont tu as été pourchassé et maltraité par tes pairs. Il va te falloir un moment avant que tu ne sois totalement opérationnel.
– Mais je… tenta Laïloken qui le sentait mal, pour le coup.
– Ne proteste pas ! Je fais ce qui est au mieux pour la sécurité des hommes sous ma responsabilité et pour ce camp ! Tu as besoin de temps pour retrouver tes marques et reprendre confiance en toi et ce temps, je vais te l’accorder. C’est pour cela que tu vas intégrer le peloton de reconnaissance. Tu veilleras avec les autres à la sécurité du camp et tu iras observer les éventuels ennemis qui s’approcheraient un peu trop près…
– Bien, fit le Verseau en baissant la tête, passablement vexé d’être relégué à un tel poste.
– Laïloken, je sais que ça doit te paraître dégradant, mais il faut d’abord te retrouver. De toute façon, tu grimperas rapidement les échelons… Tout dépendra de tes talents particuliers.
De la façon où il appuya sur ce dernier mot, le Verseau releva la tête et vit le regard ambre se poser sur ses hanches de telle sorte qu’il en rougit sous son masque. Et il venait de lui dire qu’il voulait qu’il se reconstruise d’abord ? Quel culot ! Qu’il tienne ses hormones en laisse et qu’il lui fiche la paix, non mais ! Le Grand-Maître sembla se reprendre quelque peu et lui donna congé… avant de lui sauter dessus pour de bon, certainement… Laïloken n’était pas dupe !
– Ortygie (1), Domaine d’Artémis –
Le sentier courait à perte de vue, zigzaguant entre quelques arbres rachitiques écrasés par la chaleur et les buissons d’épineux tendant traîtreusement leurs branches pour griffer les délicats mollets des têtes en l’air. Le soleil, haut dans le ciel, semblait vouloir tout assécher de ses rayons féroces et pas un seul animal ne s’aventurait à défier la véritable étuve qui faisait onduler l’air sur les rochers surchauffés. Même les insectes ne montraient aucun signe d’activité, c’était comme s’il n’y avait aucun signe de vie. Ou presque…
Car sur le sentier, trois silhouettes avançaient lentement, l’une d’entre elles, la plus imposante, la plus massive, encadrée par les deux autres. Celle qui se situait à sa droite était plus fine, plus svelte, avec une carrure nettement plus féminine, même si elle ne devait pas avoir grand-chose à lui envier. Quant à celle qui se trouvait la plus à gauche, elle paraissait toute gracile et perdue dans de sombres voilages aériens et elle semblait flotter dans les airs. Deux femmes encadrant un homme robuste. Ce dernier portait son sac de voyage en main et semblait plutôt gêné par la chaleur ambiante… ou était-ce la présence de ses compagnes ?
La plus grande des deux femmes lui jeta un regard goguenard :
– Et vous venez du Sanctuaire d’Athéna ? Je croyais que votre déesse nous envoyait un Chevalier d’Or…
Toute la musculature de l’homme se crispa alors que sa voix contint avec peine une sourde colère :
– Je suis Aiolia, Chevalier d’Or du Lion…
La première femme éclata de rire, récupéra son sérieux, le regarda un instant avec condescendance avant de repartir dans un fou rire qui n’en finissait plus. La seconde accompagnatrice se pencha un peu plus en avant, avertissant sa compagne en fronçant les sourcils mais comme cela ne suffisait pas, elle finit pas prendre la parole :
– Eryane ! Ça suffit ! Tu ne dois pas oublier qu’il est notre hôte !
Une moue dédaigneuse lui répondit et la dénommée Eryane lança :
– Oh, ça va, Callisto ! Tu ne vas non plus le couver, le chaton, hein ?
Elle le toisa des pieds à la tête avec le plus profond dégoût avant d’ajouter :
– C’est un homme ! Il en a tous les attributs et les défauts… Eurk ! Je ne comprends pas qu’Athéna s’obstine à mettre ces choses-là dans sa garde d’élite… C’est aberrant !
– Eryane ! s’exclama Callisto qui rabattit suffisamment son voile en arrière pour dévoiler totalement son visage au teint lunaire.
Aiolia sursauta en voyant la fine silhouette se redresser de toute sa taille et même si elle n’arrivait pas à l’épaule de sa compagne, elle dégageait un tel charisme qu’elle en devenait impressionnante. D’ailleurs ses yeux étaient d’un bleu si sombre qu’ils paraissaient noirs et, en ce moment même, y brillait une lueur argentée de mauvais augure. Il ne fut pas le seul à l’avoir remarquée car Eryane se calma immédiatement et haussa les épaules en soupirant de mauvaise grâce :
– Ok, Callisto, ça va, ça va… C’est bon… T’as gagné… Me demande encore ce que je fais là, moi… Non, mais c’est vrai, quoi ? T’as pas besoin de garde du corps… T’es pas la dernière des Nymphes, non plus…
Un soupir venant de ladite Nymphe informa sa garde du corps de son mécontentement et elle s’écarta d’un pas, non sans s’empêcher d’ajouter :
– De toute façon, vais rien lui faire au minou, je suis allergique au poil de chat.
Callisto ne releva pas et remit son voile sur sa chevelure de jais, l’ajustant paisiblement, comme si elle craignait que le soleil ne gâche son teint blafard. Aiolia s’était contenté de les laisser régler leurs comptes tout en se demandant dans quel endroit de fous furieux il avait pu tomber. D’un côté, une Nymphe, qui ne payait pas de mine, paraissant aussi fragile que le cristal mais qui semblait suffisamment puissante pour faire reculer une forte tête comme Eryane et de l’autre, cette Eryane, justement, une superbe guerrière bâtie pour la lutte au corps à corps et pour les longues courses, à l’opulente chevelure blonde retenue dans des liens serrés, aux courbes sulfureuses qui renvoyaient dans les cordes Marine et Shina... Et qui mettaient les hormones du Lion à rude épreuve !
– Seigneur Aiolia ?
– Euh… Oui ? fit le Grec en se tournant vers la Nymphe.
– Veuillez pardonner Eryane pour ses propos quelque peu virulents… Elle doit encore apprendre à modérer ses paroles… Mais c’est une attitude typique des Chasseresses. Elle descend des Amazones qui ont la haine des hommes chevillée dans leur cœur et les guerrières ne sont pas là pour parlementer. D’autant plus qu’il n’y a aucun homme dans le Domaine Sacré d’Artémis.
Aiolia sursauta, désagréablement surpris :
– Aucun homme ? Pas un seul du tout ?
– Non, actuellement, vous êtes le seul. Considérez cela comme un privilège que notre bien-aimée Artémis accorde à Athéna. Même les prêtres d’Apollon n’ont pas le droit de venir ici.
Eryane ne put s’empêcher d’émettre un petit rire moqueur :
– Chaton a peur ?
– Méfiez-vous des Chasseresses, Seigneur Aiolia. Ne vous éloignez pas du cœur du Domaine, il en va de votre sécurité. Eryane, comme ses compagnes, vous tuent en plein jour.
Aiolia regarda l’Amazone en question qui tapotait négligemment un impressionnant couteau de chasse accroché à sa ceinture d’un air satisfait en lui coulant un sourire de mauvais augure.
– Et ne sortez pas non plus de vos appartements durant la nuit, mon mignon… Les Nymphes vous égorgent en pleine nuit… Elles suivent le rituel nocturne d’Artémis qui devient alors Hécate… Vaut mieux pas être dans les parages… laissa tomber Eryane innocemment, plus railleuse que jamais.
Le Chevalier sentit toute sa pilosité se hérisser de manière instinctive et se surprit à vouloir rentrer au plus vite à son cher temple, là où il ne risquait pas de finir en descente de lit pour le plaisir d’une blonde sadique allergique au poil de chat. C’est un cauchemar… C’est un cauchemar… C’est un cauchemar… Athéna ! Dites-moi que c’est un cauchemar, je vous en supplie ! ! ! Elles sont complètement folles, ces femmes ! Aiolia blanchit et considéra avec inquiétude Callisto à ses côtés, cherchant à obtenir un démenti. Mais cette dernière se contentait de fixer le sentier droit devant elle en souriant suavement. Le Lion bondit littéralement lorsqu’il sentit quelque chose s’enrouler autour de son bras droit, ce qui bien évidemment, fit éclater de rire Eryane.
– Qu’est-ce que c’est ? s’exclama-t-il, à deux doigts de la crise de nerfs.
– Faut se calmer, minou… Ce n’est qu’un sauf-conduit qui vous permettra de rester à peu près entier si vous respectez scrupuleusement les règles…
Aiolia se tut, ne voulant pas poser de questions dont les réponses auraient à coup sûr de fortes chances de lui déplaire. De plus, quelque chose l’intriguait fortement : lorsqu’il avait sursauté, il avait instinctivement fait appel à son cosmos, mais rien ne s’était produit. Dans un lieu pareil, où l’homme était un gibier de choix, c’était plus qu’inquiétant. Il songea même que Kanon aurait été beaucoup plus dans son élément que lui ; après tout, il avait l’habitude de ce genre de situation insolite, non ? Il devait savoir gérer, lui… La Pythie ne devait pas être aussi terrible que ces harpies castratrices qui feraient pâlir de jalousie les plus terribles Femmes-Chevaliers.
– On y est presque, fit d’une voix doucereuse la voix de Callisto. Le Palais de notre Protectrice est au sommet de cette colline.
Aiolia suivit la direction donnée par le doigt et vit un bâtiment qui se dressait chichement un peu plus loin. En fait, une bonne partie du Palais était à terre. Interloqué, le Chevalier daigna regarder autour de lui pour s’apercevoir qu’ils avaient franchi une barre rocheuse et qu’à leurs pieds, s’étendaient… des temples et des maisonnettes en ruines. Il avait l’impression que l’ennemi s’était acharné à tout démolir, pierre par pierre. Il n’y avait que quelques cahutes encore debout, visiblement bâties à la hâte avec les moyens du bord. Il y régnait un silence lunaire et une odeur âcre de brûlé et de mort prenait encore à la gorge.
Aiolia s’immobilisa et contempla ces vestiges du combat bouche bée. Qui avait bien pu faire autant de dégâts en si peu de temps avec l’intention de tout raser, comme s’il voulait rayer de la carte le Sanctuaire ? C’était inconcevable… Surtout avec des guerrières de la trempe d’Eryane pour le protéger ! ! Et il avait aussi ressenti la puissance de Callisto, qui était une Nymphe… Il ne comprenait pas. C’était toute une armée qui avait dû s’abattre sur le Sanctuaire, pas possible autrement.
– Venez, Chevalier, Notre Protectrice nous attend, fit doucement Eryane, une ombre douloureuse dansant dans ses yeux mauves.
Le Lion s’arracha à la contemplation de ce tableau horrible et suivit ses accompagnatrices jusqu’au Palais où il fut introduit sans plus tarder. Le silence était lourd et douloureux. Par-delà leur fierté et leur féminisme échevelé, il ressentait nettement leur peine. Elles cachaient leurs souffrances derrière un masque parce qu’il fallait reconstruire mais le tourment était bien là, avec la question de savoir si elles auraient pu sauver leur Sanctuaire de la désolation…
Il remonta la courte allée de la salle du trône, qui devait être l’ancienne salle des gardes, au vu de son allure, mais ne s’en offusqua pas. C’était tout ce que le Sanctuaire avait à peu près de potable pour recevoir dans de bonnes conditions. Assise sur un semblant de trône, se trouvait une grande femme, jeune, à la peau cuivrée, à la chevelure d’un délicat vert tendre, coupée court, et aux yeux d’un bleu pâle qui faisait un contraste entre sa carnation et ses cheveux. Elle n’était pas d’une grande beauté ; Callisto, à côté, était un mannequin et Eryane, un top modèle, selon les critères du Lion. Toutefois, elle avait une présence indéniable et ses yeux brillaient d’intelligence.
Elle le regarda droit dans les yeux tout le long de son parcours et le contact ne fut rompu que lorsqu’il s’inclina pour la saluer avec respect. Eryane et Callisto courbèrent gravement la tête et se redressèrent dignement. La Nymphe avança d’un pas, alors que la guerrière reculait d’autant, la main sur la garde de son couteau, prête à le dégainer à la moindre alerte.
– Votre Altesse, voici le Seigneur Aiolia, Chevalier d’Or du Lion, du Sanctuaire d’Athéna.
– Bienvenue dans le Domaine d’Artémis, Chevalier d’Athéna. Je suis Dame Lotis. Tu peux te redresser.
Aiolia obéit immédiatement et remarqua le minuscule croissant de lune argenté qui reposait sur le front de Lotis. Elle le scrutait toujours, d’un air totalement impassible, les deux mains posées bien en évidence sur les accoudoirs de son trône, ses jambes à demi dénudées ramenées sur le côté. Un manche d’ivoire situé près de sa hanche trahissait la présence d’un couteau de chasse qui devait être aussi impressionnant que celui d’Eryane. Près de son épaule droite, accrochés au dossier de son siège, luisaient froidement un magnifique arc doré et un carquois généreusement garni de flèches empennées de plumes blanches. Tout en elle trahissait la guerrière et si pour le moment, elle demeurait immobile, sa musculature souple et solide révélait un entraînement rude et quotidien.
Le regard bleu pâle disparut quelques secondes derrière le voile fin des paupières avant de revenir se poser invariablement sur le Chevalier d’Or. Il semblait triste mais une volonté farouche y brillait. Elle inspira profondément, sembla réfléchir encore quelques secondes puis reprit la parole :
– Callisto. Eryane. Laissez-nous, je vous prie.
La Nymphe s’inclina mais la Chasseresse ouvrit la bouche pour protester. Vive comme l’éclair, Callisto lui jeta un regard incisif et lui fit un bref signe de tête, tout en prenant le sac du Lion. Eryane se contint une nouvelle fois et suivit sa partenaire vers la sortie, non sans jeter une œillade suspicieuse sur l’homme qui allait rester seul avec leur Protectrice.
Une fois seuls, Lotis sembla se détendre un peu et eut un sourire d’excuse :
– J’espère que cela ne vous dérange pas, Seigneur Aiolia. Je préfère que cet entretien soit confidentiel pour le moment.
Il y eut un autre silence ou ils s’observèrent un moment, puis elle lança, sur un ton presque badin :
– Je crois que vos accompagnatrices vous l’ont déjà dit : il n’y a aucun homme ici.
– Oui, Votre Altesse, elles me l’ont précisé pendant le trajet jusqu’ici.
Lotis se leva gracieusement et contourna le trône, s’emparant au passage de l’arc et des flèches. Elle était plus petite qu’Aiolia et sa carrure était beaucoup moins large que celle d’Eryane. La guerrière avança vers une porte dérobée et l’ouvrit, puis se tourna vers le Lion qu’elle invita à la suivre. Ce dernier, franchement étonné, s’exécuta et découvrit une petite arène privée cachée à l’arrière du bâtiment. Il entra en premier et fit quelques pas avant de se retourner vers elle, d’un air interrogatif.
– Je préfère discuter lors d’une bonne séance d’entraînement, expliqua-t-elle le plus naturellement du monde en posant l’arme contre le mur. Echauffez-vous, je ne voudrais pas vous blesser durant notre affrontement amical…
Le Lion fronça les sourcils, se sentant comme pris au piège, et secoua la tête lentement :
– Attendez, Votre Altesse, je ne suis pas venu pour me battre…
Lotis eut un sourire engageant alors qu’elle ôtait sa parure de perles multicolores. Elle commençait déjà à chauffer ses articulations lorsqu’elle daigna répondre :
– Oh, mais je le sais… Mais un guerrier de votre classe ne va pas rechigner devant une petite joute amicale, non ? Et puis, il ne s’agit que d’un corps à corps, rien d’autre… Même si vous vouliez faire appel à votre cosmos, vous ne le pourriez pas, vous devez déjà le savoir, n’est-ce pas ? Nous serons plus à l’aise pour parler… Il n’y aura que deux adversaires en train de mesurer leurs forces et non deux diplomates jouant sur les mots et se trompant l’un l’autre…
Le Lion comprit qu’il ne servait à rien de discuter, il n’aurait pas le dernier mot. Alors il se mit à faire quelques assouplissements pour se préparer, non sans ressasser ce qu’elle venait de lui révéler.
– Altesse, pourquoi ne puis-je faire appel à mon cosmos ?
La réponse ne vint qu’avec le premier assaut de Lotis… de manière totalement inattendu. Il bloqua de justesse une manchette à quelques millimètres de son cou.
– Comme le Sanctuaire d’Athéna, le Sanctuaire d’Artémis possède un système défensif très efficace qui consiste à annihiler le cosmos de tout étranger au Domaine Sacré. Vous avez de bons réflexes… pour un homme…
Elle se dégagea et s’éloigna quelques instants. Aiolia se perdit dans ses pensées : Un système défensif qui annihile tout cosmos étranger… mais alors comment expliquer de tels dégâts en si peu de temps ? Il fut rappelé brutalement à l’ordre par un balayage qui lui faucha les chevilles et l’envoya au sol.
– Ne vous déconcentrez pas, Chevalier !
Aiolia se redressa et suivit les évolutions de Lotis, parant quelques coups directs puis finit par demander :
– Pourquoi n’y a-t-il aucun homme ici ?
Il vit la Chasseresse hausser un sourcil amusé puis elle rétorqua par deux coups en ciseaux directement dans ses flancs qui eurent pour effet de lui couper momentanément le souffle :
– Vous oubliez qui est la déesse Artémis, Chevalier. Elle n’accepte même pas le regard masculin sur elle, alors leur compagnie, encore moins !
Un coup violent dans la mâchoire.
– Seul son frère jumeau peut la côtoyer sans risque, mais ses prêtres, eux, n’ont pas le droit de venir ici. Elle est la sauvagerie, la nature, la férocité, tout ce qui est incontrôlable…
Une frappe bien appliquée dans les côtes.
– Les deux ordres de ce Sanctuaire en sont ses deux principaux aspects. Les Nymphes sont la nature sauvage et séductrice, et les Chasseresses sont les guerrières indomptables et féroces. N’hésitez pas à attaquer. Ne commettez pas l’erreur stupide de me prendre pour une faible femme.
Le Lion se reprit et décida de se mettre franchement sur ses gardes. L’air de rien, la guerrière cognait fort, à des endroits précis, et il commençait déjà à ressentir les effets des premiers chocs encaissés. Il bloqua un violent coup de genou qui se jetait contre son estomac et tenta une contre-attaque immédiate qui fut parée avec une facilité déconcertante. Elle était tout en rapidité et en souplesse et alors qu’il détendait son poing armé, Lotis l’avait déjà contourné pour se mettre à l’abri de tout danger tout en se plaçant en position pour une nouvelle offensive qui l’expédia à genoux.
Il en avait assez… Assez de ces Chasseresses ! Assez de ces Nymphes ! Assez de cette Lotis ! Assez de ce Sanctuaire ! Il était un Chevalier d’Or, l’élite des Saints d’Athéna ! Il n’allait tout de même pas se laisser malmener par une femme qui jouait avec ses nerfs comme un chat jouait avec la souris… Comme un prédateur jouait avec sa proie… Comme un chasseur jouait avec son gibier… Il venait de comprendre, mais cela ne l’aida pas pour autant. Il était trop énervé, trop agacé pour raisonner et adopter une stratégie. Elle employait la force ? Elle allait être servie !
Il se releva d’un bond et se rua sur cette femme qui le narguait en demeurant aussi inaccessible. Il tenta de l’attraper, de la frapper, de lui faucher les jambes, oubliant toutes les règles élémentaires du combat, s’essoufflant en vain, refusant toujours d’écouter la voix de la raison. Il devait cependant récupérer sa respiration et il finit par demander afin de gagner un peu de temps :
– Comment cela se fait-il qu’il y ait eu autant de dégâts lors de cette attaque ?
Un éclat douloureux passa dans le regard de la guerrière et elle se perdit un instant dans ses propres souvenirs, commettant elle-même la première erreur d’Aiolia qui en profita pour lui décocher un magistral coup de poing directement dans le ventre. Lotis se retrouva assise sur les fesses, jambes ouvertes, la tunique retroussée de façon très impudique, un peu sonnée sur le coup et surtout, furieuse de s’être laissée surprendre.
– Comme si je le savais ! Il n’y a eu aucune survivante au massacre ! hurla-t-elle, tout d’abord.
D’un geste sec, elle rabattit sa tunique tout en foudroyant du regard le Lion, dont les hormones dansaient la samba, et resserra les jambes instinctivement. Elle inspira profondément pour récupérer un semblant de calme et continua :
– Toutes celles qui sont au Sanctuaire à ce jour étaient en mission lorsque ces monstres ont attaqué… Dès que nous avons senti le Sanctuaire en danger, nous sommes toutes revenues, mais c’était trop tard. Les Chasseresses se sont chargées de gérer le Domaine alors que les Nymphes ont tenté de retrouver la réincarnation de notre Déesse, sans résultat…
– Mais vous étiez à la tête du Sanctuaire, vous devez savoir ce qui s’est passé !
Lotis bondit sur ses pieds comme une furie, les yeux étincelants de colère, et c’est en l’accompagnant d’un uppercut bien senti qu’elle asséna :
– Justement non ! Je ne suis à la tête de ce Sanctuaire que pour assurer la transition ! Notre précédente Protectrice, Dame Coréna a été assassinée ce jour-là… et ils se sont acharnés sur elle…
Aiolia comprit que c’était vraiment cela qui était le plus grave dans cette affaire mais sans savoir pourquoi. De toute façon, il n’eut pas le temps d’y réfléchir davantage car ce fut une Protectrice intérimaire qui se jeta de tout son poids sur lui sans prévenir qui le percuta et il se retrouva de nouveau affalé sur le dos, avec une vue affolante sur une cuisse dénudée et sur un décolleté prometteur. Ses hormones se remirent à s’agiter en tout sens, dans un bouillonnement furieux, et il se sentit rougir comme un adolescent. Quelque chose d’effilé et de glacial se posa sur sa gorge et il leva les yeux vers ceux de la jeune femme. Et là, ce fut mieux que la douche froide : Lotis, le regard meurtrier, le fixait sans aménité, alors qu’il comprenait enfin ce qui était contre sa gorge. Le poignard… Il se sentit calmé net.
– Heureusement qu’il ne s’agit là que d’une joute amicale, Chevalier. Vous avez la fougue du Lion, mais vous vous laissez dominer par vos sentiments. Vous avez encore beaucoup à apprendre au corps à corps pour vaincre une Chasseresse.
Le ton était froid. Ce n’était qu’un simple constat, sans plus. Elle se releva et lui tourna le dos pour remettre son collier de perles et reprendre son arc et son carquois.
– Je signerai le pacte avec Athéna… Artémis n’a que faire des ordres de Zeus… Par contre, il faudra en contrepartie que votre Déesse nous donne les moyens de reconstruire le Sanctuaire. Pas de main-d’œuvre, juste les moyens… Le reste, on se débrouillera.
– Ça ne devrait pas être difficile à obtenir… Athéna vous tend d’ores et déjà la main.
Lotis resta quelques secondes silencieuse, puis reprit :
– Je pense que vous voulez limiter votre séjour ici au maximum. Callisto va vous conduire à vos appartements. Je vous conseille fortement de ne pas vous aventurer dans le Domaine Sacré sans elle ou Eryane… Et surtout, ne sortez pas la nuit.
Aiolia retint le pourquoi qui lui démangeait le bout de la langue. C’est que tous ces mystères éveillaient sa curiosité… Ils retournèrent dans la pseudo salle du trône sans dire un mot de plus. Lotis s’installa de nouveau sur son trône, dans une attitude des plus dignes. Aiolia remonta jusqu’à l’allée centrale et au moment où il allait demander où étaient ses appartements, Callisto fit son entrée, aussi discrète qu’une ombre. Elle rejoignit le Chevalier d’Athéna sans un mot, salua de nouveau Lotis et attendit les ordres.
– Callisto, conduis le Seigneur Aiolia à ses appartements, je te prie, et veille bien à ce qu’il ne manque de rien.
– Bien, Votre Altesse, fit la Nymphe en inclinant la tête.
Cette dernière se tourna vers le Chevalier et lui jeta un bref regard :
– Seigneur Aiolia ? Par ici…
Elle se mit en marche calmement, dans le froufroutement de ses voilages, aussi droite et hiératique que la déesse qu’elle représentait. Ils sortirent du Palais et empruntèrent un nouveau sentier qui les éloignèrent du gros des habitations du Domaine Sacré. Il y avait beaucoup plus de végétation et des bouquets d’arbres, qui formaient de petits bosquets charmants où il devait faire bon s’allonger et où la chaleur devait y être nettement plus supportable.
Il arrivèrent devant une petite maisonnette aux murs blanchis à la chaux et à la toiture basse qui semblait se pelotonner contre une barrière rocheuse haute d’une dizaine de mètres. Callisto ouvrit la porte et lui fit signe d’entrer du menton. Aiolia s’exécuta en baissant la tête pour ne pas se cogner sur le bâti de porte. Il regarda autour de lui avec circonspection et fut agréablement surpris en découvrant que si l’habitation tenait vraiment de la maison de poupée, elle était par contre très bien entretenue, propre et intelligemment agencée. Par contre, elle était vraiment minuscule et lui, avec son mètre quatre-vingt-cinq semblait emplir tout l’espace disponible. D’ailleurs, il se sentait déjà étouffer. Et il devait rester là jusqu’au lendemain matin ? C’était impossible ! Comme si elle avait lu dans ses pensées, la Nymphe expliqua posément :
– Nous sommes désolées de ne pouvoir vous proposer que ce modeste logis, Seigneur Aiolia, mais notre palais d’accueil n’est plus que cendres… C’est le seul logement correct que nous avons à notre disposition.
Le Lion la regarda, silencieux, puis acquiesça de la tête. Après tout, il ne pouvait se montrer aussi difficile dans un endroit où tout était à rebâtir et où l’odeur de la mort et du brûlé flottait encore par endroit… Il avait un toit sur la tête, ce qui constituait déjà un luxe pour la plupart de ces femmes qui devaient se contenter des cahutes qu’il avait vues dans la plaine plus bas dans le Sanctuaire. Il finit par répondre, uniquement pour la forme.
– Cela ira très bien, je vous remercie, Callisto…
La Nymphe lui jeta un regard étrange, ouvrit la bouche comme pour répliquer mais sembla se raviser. Elle se détourna brusquement mais au moment de quitter la maisonnette, elle lança sèchement :
– Lavez-vous, Seigneur Aiolia, vous puez le mâle…
Et la porte claqua derrière elle. Le Chevalier ne comprenait pas. Qu’avait-il pu faire ou pu dire qui avait offensé Callisto ? C’était à ne rien y comprendre ! Au moins, avec Eryane, c’était très clair ! Mais la Nymphe était visiblement encore plus irascible et imprévisible que la Chasseresse !
Il avisa son sac posé sur le sol près du lit et suivit le conseil de la Nymphe. Après tout, il avait un peu transpiré lors de son combat contre Lotis, c’était sans doute cela qui l’avait indisposée. La douche fut aussi épique qu’acrobatique dans un bac où il dut se plier quasiment en deux pour pouvoir se rincer entièrement. Il en ressortit avec quelques contusions supplémentaires, de plus mauvaise humeur qu’il ne l’était déjà et surtout, avec la désagréable sensation d’être aussi poisseux en sortant qu’il ne l’était en entrant.
Lorsqu’il s’assit sur le lit en soupirant, ce dernier émit un tel grincement de protestation que le jeune homme s’immobilisa, se demandant si le meuble n’allait pas céder sous son poids. Il était de plus en plus mal à l’aise… Il avait l’impression que même le mobilier rejetait sa présence… En fait, c’était comme si tout le Sanctuaire entier le repoussait, voulait l’expulser de son Domaine…
Aiolia ne put s’empêcher de rire nerveusement. Quelle drôle d’idée, franchement ! Il devait vraiment être à bout pour penser ce genre de choses ! Comme si un bout de terre allait le jeter à la mer, comme ça ! Pff… Ridicule ! Il se força au calme, inspirant profondément, essayant d’imiter Shaka lorsque ce dernier se plongeait dans l’une de ses interminables méditations. Se vider l’esprit et ne penser à rien… Laisser son corps se détendre…
Combien de temps se passa-t-il ? Comment se retrouva-t-il au bord de cet étang ? Il ne le sut jamais… Toujours fut-il qu’il se réveilla brutalement devant une quinzaine de jeunes femmes qui avaient la particularité d’être aussi fluettes et pâles que Callisto. Elles s’étaient regroupées au bord de l’étang, certaines trempant déjà leurs jambes délicates dans l’onde pure. Elles riaient en enlevant un à un leurs longs voilages qui protégeaient leurs corps sveltes et souples. Le Lion n’osait plus bouger, ni même respirer… Elles étaient si belles, si désirables, si…
Un regard gris se posa sur lui, d’abord surpris de le voir là, puis choqué, enfin haineux…
Une lueur argentée brilla au fond de la pupille alors que la Nymphe poussa un cri strident tel, qu’Aiolia crut en avoir les tympans percés… Cri qui fut immédiatement renforcé par celui de ses compagnes qui se jetèrent dans un mouvement de panique sur les voilages pour se recouvrir à qui mieux mieux…
Paralysé de douleur par ces hurlements dignes des oiseaux du lac Stymphale ou des Furies, le Chevalier d’Or chercha à limiter l’agression auditive en posant les mains sur ses oreilles. Il ne comprenait rien à rien. Ni comment il avait fait pour se retrouver là, ni ce qui lui arrivait en ce moment… En fait, tout depuis son arrivée sur ce Domaine était anormal !
Ce furent les vibrations du sol qui l’alertèrent plus qu’autre chose… D’instinct, il se mit à courir à travers les bois comme s’il avait le feu aux trousses. Il ne pensait à rien d’autre. Il devait fuir. Mettre le plus de distance entre lui et ce qui provoquait ces trépidations du sol… Il ne pouvait pas se battre sans son cosmos ; sa lutte contre Lotis lui avait au moins prouvé qu’il n’était pas de taille contre une Chasseresse… Et là, sa raison lui soufflait que ce n’était pas une ou deux Chasseresses qui le poursuivaient, mais une troupe toute entière… Il commençait à comprendre que ces femmes ne fonctionnaient pas comme les Chevaliers, leur hiérarchie n’avait rien à voir… Et pour elles, un homme n’était qu’une proie à abattre.
Il se glissa derrière un bosquet, haletant, et s’accroupit, prenant le temps d’observer son environnement. Il fallait qu’il réfléchisse… Comment ces femmes chassaient-elles ? Bonne question ! Il n’eut pas le loisir de s’y attarder. Une flèche se ficha en vibrant longuement juste devant son nez dans le tronc d’un innocent olivier, là où sa tête se situait à peine une seconde auparavant. Il retint son glapissement de terreur de justesse. Il était un fier Chevalier, non ? Même s’il était pourchassé comme un lapin par des femmes en pleine crise de folie furieuse…
Il se retourna lentement et en vit cinq qui le regardaient en riant d’un air moqueur. Il remarqua surtout les cinq flèches acérées pointées sur lui et il avala difficilement sa salive tout en se relevant. Là, il était cuit ! Il devait trouver une échappatoire et vite ! Celle qui devait mener le groupe lui lança un regard des plus sadiques en murmurant :
– Minou, minou, minou… Viens te faire embrocher…
Elle tendit davantage son arc et Aiolia réagit d’instinct. Il donna un grand coup de pied sur le sol, envoyant un nuage de poussière directement dans les yeux de ses poursuivantes qui abaissèrent leur garde, momentanément aveuglées. Le Lion ne perdit pas de temps. Il détala ventre à terre sans demander son reste, cherchant à contenir sa peur panique et il se força à courir le plus vite possible, maudissant cette sécurité à la noix qui le désavantageait nettement. Si seulement il avait son cosmos !
Au bout d’un temps qui lui sembla infiniment long, il s’affala derrière un buisson et se recroquevilla en boule, guettant le moindre bruit, sursautant au moindre son. Son cœur allait finir par exploser dans sa poitrine à battre aussi vite ! Il était épuisé. Ses jambes ne le portaient plus et tout son corps se tétanisait sous la panique qui gagnait la bataille sur la raison. Il allait mourir comme un vulgaire animal traqué. Il était aux abois. Il contint un gémissement plaintif… Il s’en fichait complètement d’être un Chevalier d’Or à cet instant, tout ce qui comptait, c’était cette terreur primaire qui lui tordait les entrailles et le forçait à réagir à l’instinct pour survivre un instant de plus… Il se comportait comme une bête sauvage…
Il se figea en entendant le bruit de l’herbe foulée par des pas et il plaqua précipitamment ses mains sur sa bouche pour empêcher tout cri de peur qui pourrait le trahir. Il vit quatre pieds… Ceux d’une Chasseresse et d’une Nymphe… Le Lion se garda bien de se manifester mais il frisait la perte de contrôle. Tout à coup, la Chasseresse s’immobilisa à un mètre de son buisson et le temps sembla s’arrêter. Aiolia retint son souffle et ferma les yeux, seul son corps frissonnait de temps à autres selon la force des vagues de terreur qui le parcouraient. La tension devenait insoutenable…
– Tiens, c’est étrange, j’ai cru entendre miauler, pas toi ?
Aiolia ouvrit des yeux comme des soucoupes mais resta immobile. Cette voix, il la reconnaissait : Eryane ! ! ! Il regarda de nouveau les pieds et crut être victime d’une hallucination en s’apercevant qu’il ne voyait plus que deux pieds ! Ceux de la Nymphe ! Où était passée la Chasseresse ?
Un bras le ceintura autour de la taille et alors qu’il allait hurler d’effroi, une main se posa sur sa bouche sans aucune tendresse. Il se débattit avec l’énergie du désespoir mais une autre paire de mains vint encadrer son visage pour l’obliger à se focaliser sur un regard sombre.
– Chut… Seigneur Aiolia ! Calmez-vous ! On ne vous fera pas de mal !
La réaction du jeune homme fut tout le contraire de celle escomptée par la Nymphe. Aussi Eryane prit les choses en main :
– Bon, Chaton, tu te calmes tout seul ou je t’assomme…
Aiolia comprit qu’elle ne plaisantait pas et pour sa survie, il valait mieux être conscient. Il cessa de se débattre même s’il continuait de trembler comme une feuille.
– Nous sommes sincèrement désolées, commença Callisto d’une voix douce, nous allons vous ramener à vos appartements et nous allons vous garder de près.
Un éclair de panique traversa le regard du Lion qui commença à s’agiter de nouveau.
– Non, vous n’avez rien à craindre de nous, reprit la Nymphe. Dame Lotis nous a demandées de vous protéger, nous le ferons, soyez-en sûr… Quant à celles qui vous ont joué ce mauvais tour, elles seront punies comme elles le méritent…
– En attendant, il faut rappeler la horde, fit sombrement Eryane. Elles sont en transe, ça va être dur.
La Nymphe tendit au Chevalier une minuscule gourde en lui expliquant qu’il ne s’agissait que d’une décoction destinée à l’aider à se refaire une santé et à annuler les effets du pouvoir des Chasseresses sur leurs proies. Aiolia hésita un long moment mais finit par la boire et se sentit mieux au bout d’une dizaine de minutes. Eryane le considérait d’un œil inquiet et elle finit par remarquer :
– Elles ne vous ont pas raté… Vous empestez la peur à des kilomètres à la ronde. Elles doivent toutes rappliquer ici, en ce moment !
– Tant mieux, trancha Callisto. Tu pourras leur dire ce que tu penses de leur façon de recevoir ! Et prépare-toi au cas où…
Les deux femmes sortirent du buisson en traînant presque le Lion encore sous le choc derrière elles. Elles n’eurent pas à attendre longtemps : les Chasseresses arrivaient de toutes parts, les entourant, arcs bandés. Elles avaient l’air de fauves prêtes à bondir pour la curée, regardant Aiolia qui se sentait bien impuissant face à ces furies. Elles grondaient, n’attendant qu’un signe pour la mise à mort.
Eryane tenait son propre arc en main mais elle n’avait pas encoché de flèche, pas encore, tout du moins… Elle les regarda calmement, les forçant à l’attente, les poussant presque à la faute. Callisto se tenait aux côtés d’Aiolia et semblait regarder la scène à travers ses longs cils, cachant ainsi la lueur argentée qui brillait dans son regard de nuit.
– Eryane ! Cet homme doit mourir ! Il a regardé les Nymphes ! fit l’une des Chasseresses.
– Et cet homme est l’ambassadeur de la déesse Athéna qui doit nous aider à reconstruire notre Sanctuaire, imbécile ! gronda la blonde.
– Mais… les règles sont strictes… Il faut appliquer la loi…
– Dans ce cas…
Eryane encocha sa flèche et tendit l’arc vers celle qui avait parlé. Cette dernière pâlit et abaissa brutalement son arme avant d’incliner la tête en signe de reddition. La plupart des autres femmes du groupe suivirent son exemple mais l’une des guerrières intervint, le regard mauvais :
– En fait, tu veux garder la prise rien que pour toi, Eryane… A toi la gloire !
Il y eut quelques murmures qui l’approuvèrent.
– Certainement pas ! Vous ne comprenez pas que vous êtes aveuglées par votre désir de vengeance et que le premier homme venu devient votre bouc émissaire ?
– Prends-le, on te le laisse…
Un passage s’ouvrit parmi les Chasseresses. Eryane s’empara du bras d’Aiolia et ils commencèrent à remonter le chemin laissé ouvert. Il y eut un bruit sec de corde qui claque, un sifflement d’un objet se déplaçant rapidement dans l’air et le bruit du bois heurtant la pierre. Eryane se retourna d’un bond, imitée en cela par Aiolia, mais la plus rapide fut bien Callisto qui regarda l’impudente avec férocité.
– Je pensais qu’Eryane avait été très claire. Cet homme est un ambassadeur de la déesse Athéna, il est un invité de notre déesse Artémis, il est de fait sous sa protection et l’attaquer revient à faire un affront à notre divinité. Tu as commis une faute très grave et tu en paieras le prix. Quant à vous autres, vous serez punies au même titre que les Nymphes !
– Dame Callisto, veuillez nous pardonner, nous ne pensions pas…
– Exactement ! tonna la Nymphe que la colère rendait des plus impressionnantes, vous ne pensiez pas ! ! C’est ce que je vous reproche ! Déguerpissez ! Votre vue m’agace !
Ce fut la débandade totale. En moins de dix secondes, il n’y eut plus aucune Chasseresse dans les parages, au grand soulagement du Lion. Plus un mot ne fut échangé jusqu’au retour à la maisonnette où après une nouvelle douche, Aiolia se coucha, lit protestataire ou non. Cependant, avant de s’endormir, alors que la Nymphe veillait dans un coin de la chambre, il lui demanda :
– Pourquoi la Chasseresse vous a appelée Dame Callisto ?
La Nymphe garda longtemps le silence, si bien qu’il l’entendit à peine alors qu’il plongeait dans les bras de Morphée :
– Parce que je serais la nouvelle Protectrice dès que j’aurai passé l’Initiation…
– Sanctuaire, Palais du Grand Pope –
Assis derrière son imposant bureau encombré d’une pile impressionnante de dossiers volumineux aux couvertures polychromes selon leur importance, Shion tentait de lire pour la énième fois la même ligne depuis au moins une heure avec le même résultat. De guerre lasse, il repoussa l’amas de paperasses rebutant et se frotta les yeux lentement en bâillant à s’en décrocher la mâchoire. Il jeta un œil à la pendule et soupira de plus belle : il n’était que quinze heures, autant dire que son calvaire était loin d’être terminé !
Il étira cependant ses muscles dorsaux douloureux et massa sa nuque raidie puis décida qu’un thé serait le bienvenu. Après tout, ces foutus dossiers n’étaient pas à cinq minutes près ! Il se leva, détendant et relâchant enfin ses articulations ankylosées et appela une servante qui s’empressa d’obéir à sa requête. Il avait vraiment besoin d’une pause, il se sentait trop fatigué. Peut-être l’accumulation du stress ? L’absence de nouvelles du Verseau ? Ah oui, à part Hilda qui lui avait annoncé quinze jours plus tôt que son Chevalier avait décidé de partir tout seul en vadrouille en Sibérie sans demander vraiment l’avis de quiconque, il ne savait franchement pas ce que Camus pouvait bien fabriquer en cet instant… Et il devait être honnête avec lui-même : il était très inquiet. Ce silence n’était pas normal. Il aurait déjà dû le contacter. Bien sûr, Camus avait déjà travaillé en immersion totale, mais il avait toujours eu le Sanctuaire comme moyen de repli, ce qui n’était plus envisageable pour le moment… Oh, il la sentait de moins en moins, cette mission ! Quelque chose de grave se tramait en dessous, il en était certain !
Et s’il n’y avait que Camus… Il percevait Shaka, revenu depuis deux heures mais qui n’avait pas encore montré le bout de son nez… Ce qui était, encore une fois, totalement inhabituel. Pour quelle raison ? Que s’était-il donc passé au Sanctuaire Sous-Marin ? En tout cas, le Chevalier de la Vierge semblait perturbé, d’après ce qu’il percevait de son cosmos… Aiolia et Kanon, quant à eux, étaient toujours en mission mais n’allaient certainement pas tarder à revenir ou à donner signe de vie. Ce n’était plus qu’une question de jours, désormais… Il savait qu’ils avaient voyagé comme de simples humains, utilisant les transports en commun, Aiolia ne devant rester que le temps d’une journée à Ortygie alors que le séjour de Kanon dépendait essentiellement de ce qu’il allait trouver à Délos…
Le Grand Pope remercia la servante qui venait de lui apporter son thé et s’installa sur une banquette, près d’une fenêtre d’où il voyait une partie des maisons du Zodiaque en contrebas. Son regard assombri se posa sur celle du Scorpion et il but une gorgée du liquide brûlant tout en réfléchissant au cas de son gardien. Milo n’allait vraiment pas bien, ce n’était plus un secret pour personne. Il dépérissait. Il fallait trouver quelque chose pour le faire sortir de son antre le plus vite possible. Jamais Shion n’aurait pensé que le Scorpion et le Verseau auraient été aussi liés, ou plutôt que le Scorpion était tellement dépendant du Verseau… Du coup, il était en train de se demander s’il n’aurait pas mieux valu les envoyer ensemble en mission…
L’ancien Bélier ferma les yeux, appréciant un bref instant le souffle de la brise qui vint lui caresser la peau et il laissa ses pensées dériver, faisant le vide en lui, oubliant pour quelques instants tous ces soucis qui le rongeaient de l’intérieur. Il termina tranquillement sa tasse de thé et bascula sur la banquette, le corps au repos et l’esprit voguant dans un autre plan de conscience.
Ce fut un souffle d’air insignifiant sur son bras et le résidu d’un cosmos masqué presque à la perfection qui l’alerta. Il resta pourtant parfaitement immobile, attendant que l’intrus soit plus près pour le surprendre. Ce dernier avança effectivement, aussi souple et silencieux qu’un félin et ne s’arrêta qu’à un mètre de sa future victime allongée pour lui bondir dessus…
Enfin c’était ce qu’il avait voulu faire…
Car dans la réalité, il effectua plutôt un magnifique soleil en passant par-dessus la banquette pour aller atterrir sur le dos de l’autre côté tout en hurlant :
– Woooooaaaaaahhh ! ! ! Shion ! ! ! Mais ça va paaaaaaaaïïïïïïïïïïïeeeeeeeeeuuuuuuuuhhhhhh ? ! !
Le Grand Pope, tranquillement assis, regarda la Balance échouée sur le tapis qui tentait de récupérer son souffle coupé. Il eut un sourire narquois et le salua d’un hochement de tête :
– Bonjour Dokho… Tu es au courant que j’ai des employés pour ce genre de tâche ?
Le Chinois bascula la tête en arrière pour le foudroyer de ses yeux verts et rétorqua entre deux grimaces de douleur :
– Très… drôle… Ah… Ah… Ah… Je… suis… mort… de… rire… vraiment…
Shion se leva doucement et se planta près du Chevalier qui n’avait pas bougé d’un pouce. Il se mit à sa hauteur :
– Un coup de main ?
– Nan ! Ça… ira ! Merci !
– Comme tu veux…
Et le Grand Pope se redressa pour le laisser se débrouiller tout seul, lançant d’un ton badin :
– Tu as encore beaucoup de progrès à faire pour être un bon espion ou un bon assassin.
Dokho s’était déjà à demi redressé et il lança un nouveau regard meurtrier à son ami. Mais Shion n’en avait cure. S’il y avait une chose qu’il ne souhaitait vraiment pas, c’était d’être surpris par l’un des assassins ou par l’espion du Sanctuaire ! Et il savait parfaitement qu’ils pouvaient se rendre indétectables, même pour lui… Il frissonna et revint au moment présent.
– Que me vaut l’honneur de ta visite ? demanda-t-il.
Cette fois, le Chevalier d’Or, qui était de nouveau debout, arbora une mine boudeuse :
– Ah parce qu’en plus, il faut une bonne raison pour que je vois celui que j’aime ?
Un mince sourire étira les lèvres de l’ex-Bélier qui rétorqua :
– Nous sommes en plein milieu de l’après-midi, Dokho, ce n’est pas raisonnable… J’ai trop de travail…
Cette fois, la Balance croisa les bras et son visage devint hilare :
– Arf ! Ah oui ! Tu étais en plein travail quand je suis arrivé, j’ai pu constater !
Shion secoua vaguement la tête :
– J’ai pris une pause, ces papiers me fatiguaient… Mais là, il va falloir que j’y retourne…
Dokho lui fit un clin d’œil malicieux et le serra dans ses bras en guise de réponse mais il le relâcha vite lorsqu’il vit son compagnon se crisper un bref instant à son contact.
– Shion ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
Le Grand Pope ferma un instant les yeux et éluda le problème en retournant vers son bureau.
– Rien, Dokho… Des contractures…
Mais cette fois, le Chinois le prit par le coude et le vit une nouvelle fois se raidir. Il releva la manche et trouva une grande éraflure qui partait du milieu de l’avant-bras pour remonter jusqu’à l’attache de l’épaule. Il resta plusieurs secondes sans rien dire, puis l’inquiétude le gagnant, il regarda son compagnon dans les yeux :
– Par Athéna ! Shion ! Mais… Mais d’où ça sort, ça ? Tu ne l’avais pas hier soir ! Et tu ne l’as même pas soigné ! Mais tu es inconscient, ma parole ! Tu aurais pu refermer cette plaie avec ton cosmos ou au moins la protéger avec un pansement !
– Ce n’est rien de grave, Dokho… Je suis juste tombé sur le sentier en redescendant de Star Hill… Et après, je n’y ai plus pensé !
– Star Hill ? Mais qu’est-ce que tu étais allé faire à Star…
Dokho ne termina pas sa phrase. En effet, son regard venait de se poser sur la Pandora Box qui brillait dans un coin du bureau. Bien sûr… L’armure du Verseau, il lui fallait un successeur, et vite !
– Tu aurais pu au moins te soigner, grommela-t-il entre ses dents alors qu’il refermait la plaie de l’ex-Bélier à l’aide de son propre cosmos.
Shion se laissa faire, trop heureux d’échapper au sermon ou autres récriminations qu’il aurait dû endurer en temps normal.
– Et alors ? Qu’est-ce que ça a donné ? Tu y as vu de futurs apprentis sous le signe du Verseau ?
La question le ramena sur terre brutalement. Non. Il n’était pas monté à Star Hill pour y découvrir un futur Chevalier d’Or… Il savait très bien qu’il ne verrait rien de tel dans les étoiles. Il voulait juste savoir ce qu’il se passait pour Camus en ce moment et comment résoudre le problème de l’armure pour l’instant. Parce qu’il fallait la réattribuer, d’une façon ou d’une autre, même si techniquement, elle appartenait toujours au Français… Il avait voulu deviner aussi qui était leur ennemi mais les astres étaient demeurés muets… C’était en rentrant qu’il était tombé, parce qu’il n’avait pas suffisamment fait attention, trop absorbé qu’il était par ses réflexions.
– Non, il n’y a pas de naissance de prévue de ce côté-là…
Dokho se posta devant la fenêtre et déclara, mortellement sérieux :
– J’ai fait le tour des apprentis du Sanctuaire. Parmi ceux qui sont nés sous le signe du Verseau, aucun d’entre eux n’est né avec un cosmos actif et aucun non plus n’a une puissance suffisante pour espérer atteindre le niveau d’un Chevalier d’Or… Ça réduit énormément nos possibilités…
Shion se passa une main lasse sur le visage mais ne dit rien, laissant le Chinois continuer :
– Je ne vois que Hyoga qui serait en mesure d’endosser l’armure du Verseau. Non seulement il a déjà battu Camus, mais il a déjà porté aussi cette armure, c’est le meilleur choix possible…
Le Grand Pope se tourna vers la Pandora Box qui émit un bref éclat glacial, comme une sorte d’avertissement. Oh ! Non, non, non ! Je t’en prie, Aquarius ! Ne me fais pas un coup pareil ! Nous savons tous les deux que Camus n’est pas un traître mais il va falloir que tu fasses un petit effort et que tu acceptes ce compromis pour quelques temps !
Il se mordit la lèvre inférieure, et alla entourer Dokho de ses bras, l’estomac noué d’appréhension. Réattribuer l’armure du Verseau était une mauvaise idée, mais ils n’avaient pas le choix. Le Sanctuaire envoyait des ambassadeurs tous azimuts afin que les Olympiens fassent front commun en cas de nouvelle guerre et la garde zodiacale n’était même pas au complet ! L’élite d’Athéna devait être l’exemple à suivre et pour cela, les douze signes devaient être présents…
– Dokho… murmura-t-il. Hyoga se retrouvera sous une double constellation… Je ne suis pas certain que l’armure acceptera cet état de fait…
– Il faut qu’il passe l’Epreuve de l’Armure, Shion, on n’a pas le choix. On verra bien ce qu’il se produira à ce moment-là. L’armure décidera. Il faut prier pour que tout se passe bien.
– Prions alors… Je vais programmer l’Epreuve pour les jours à venir. Le plus tôt sera le mieux.
Et Shion enfouit son visage dans le cou de la Balance où il commença à y semer de petits baisers brûlants. Dokho ferma les yeux de bien-être et se laissa faire quelques instants mais la raison le rappela à l’ordre. Il s’écarta doucement de son entreprenant compagnon et c’est avec regret qu’il chuchota :
– Je dois te laisser, Shion… Tu as du travail… Je reviendrai ce soir.
Le Chinois lui vola un baiser et partit rapidement avant que le Grand Pope puisse le retenir. Ce dernier poussa un nouveau soupir, de déception et de frustration, cette fois, et se remit devant ces papiers, plus maudits que jamais. Qu’il avait hâte d’être dans la soirée !
– Asgard, Domaine des Siegfried, dans le même temps –
Plusieurs jours que Laïloken était parti et toujours aucune nouvelle. Le Guerrier divin tournait en rond en se rongeant les sangs. Le Saint ne l’avait pas contacté, même par télépathie et de son côté, il n’osait pas non plus. Laïloken devait avoir une bonne raison… Mais qu’il était frustré ! Et il déambulait dans sa demeure, désœuvré, inquiet, mais n’osant se lancer sur ses traces. Pour aller où ? Il ne savait même pas pour quelle direction il avait opté !
Il poussa un profond soupir et réexamina de nouveau cette chambre qui avait été celle du Français durant son séjour. Il avait tout rangé. La seule trace évidente de son passage était cette boite rectangulaire plutôt plate soigneusement posée au centre de la surface plane du secrétaire.
Il s’approcha doucement, avec prudence, considérant la boite noire avec méfiance, comme si elle allait lui sauter à la figure. Laïloken avait passé des heures dessus. Si le Saint arrivait à l’utiliser sans aucun problème, c’était parce que ça ne devait pas être si compliqué, n’est-ce pas ? Et puis qui le saurait ? La boite devait savoir où était Laïloken, elle pouvait l’aider et elle le ferait bien gentiment, il n’y avait aucune raison…
Il s’assit et l’observa un long moment, comme on observe un adversaire afin d’évaluer ses capacités. Il savait qu’elle s’ouvrait ; il fallait juste découvrir où se dissimulait le mécanisme. Il y posa une main hésitante, luttant contre ce sournois sentiment de tromper la confiance de Laïloken s’installant en lui. Ses doigts sentirent sur le devant un mécanisme qu’ils actionnèrent aussitôt. Il entendit un petit déclic et il ouvrit enfin la boite, découvrant devant lui une surface plane et noire à la verticale alors que s’étendait toute une série de touches avec des lettres et autres symboles cabalistiques placés à l’horizontale, en plus d’un étrange rectangle lisse.
Le Guerrier divin fronça les sourcils de mécontentement en apercevant cela.
– Mon cher, il faudrait songer à y mettre du vôtre, aussi… Comment fonctionnez-vous ?
Evidemment, la boite garda un silence obstiné. Siegfried remonta ses manches et eut un sourire narquois :
– Oh… Vous le prenez ainsi… J’en ai fait parler des plus coriaces que vous, vous allez voir un peu !
Et il commença à appuyer sur toutes les touches, une à une, méthodiquement, jusqu’à ce qu’il entende un léger ronronnement. Son sourire s’élargit, fier de sa victoire :
– Je vous avais prévenu… Vous faites moins le malin, là…
La surface plane s’illumina un bref instant, puis une série de chiffres commença à défiler à toute allure sous l’œil ahuri de l’Asgardien qui n’y comprenait rien :
– Hé ! Une minute, bonhomme !
Il appuya sur une touche au hasard, sans résultat, et il fronça les sourcils, mécontent :
– Oh, je vois, une technique de déstabilisation, Chevalier, mais ça ne marchera pas avec moi !
Siegfried attendit que la boite cesse son manège, regardant d’un œil vaguement soucieux les pages défiler toutes seules sans qu’il y comprenne goutte. Ce n’était pas naturel. Ce truc était vraiment dangereux, il devait rester sur ses gardes. Seul Odin – et encore ! – savait ce qu’il lui réservait comme surprise.
Tout à coup, l’écran se stabilisa sur un fond bleu où s’afficha un rectangle gris dans lequel s’incrustaient d’autres rectangles blancs plus petits. Le Guerrier divin leva un sourcil encore plus perplexe et lut : " Nom d’utilisateur ", " Mot de passe " en face de chacun des rectangles blancs. Il retint un soupir d’exaspération : non mais, il ne pouvait pas lui ouvrir directement la bonne page au lieu de lui sortir tous ces machins tordus ? Il s’aperçut qu’une barre noire verticale clignotait. Peut-être était-ce un signal de cette fichue boite ? Mais comment lui faire comprendre qui on était ? Comment faisait Laïloken pour se faire reconnaître ? Puis Siegfried se frappa le front. Quel idiot ! Bien évidemment ! Il avait vu les longs doigts fins du Saint courir sur l’ensemble des touches avec une telle facilité…
Alors de son index maladroit, il commença à taper les lettres une à une, formant finalement le mot laïloken. Il se demanda pendant un long moment comment passer à la ligne suivante et il tenta plusieurs boutons aux signes étranges avant de trouver celui qui semblait être le bon.
– Aha ! Rien ne me résiste ! Je suis le meilleur ! Tu vas voir ce que tu vas voir, mon vieux !
Le Guerrier divin s’accorda quelques secondes de réflexion. Quel genre de mot de passe Laïloken avait-il bien pu mettre ? Quelque chose qu’il devait retenir facilement et qui lui tenait à cœur… Il se massa la racine du nez durant plusieurs minutes avant de se décider. Lentement, il se mit à taper verseau. Mais là, la boite noire se mit à biper furieusement alors qu’un nouveau cadre venait de s’afficher avec ce message qu’il lut à voix haute :
– Accès refusé. Nom d’utilisateur ou mot de passe incorrect. Veuillez vérifier également que votre clavier ne soit pas verrouillé en majuscules…
Un bref silence, un visage pâle qui rougit brutalement, un poing qui se serre avec force et qui se retient de fracasser l’insolent… et puis, d’un seul coup, l’éclat :
– Pardon ? ! Non, Mais tu me fais quoi encore, là ? ? ! Qu’est-ce que c’est encore que ce charabia ? ? ? Tu peux pas me dire où est Laïloken au lieu de me bassiner avec toutes tes phrases pédantes ? ? ?
La sueur commençait à perler sur son front et il sentait la moutarde lui monter au nez. Ce n’était pas cette machine ridicule qui allait le retenir encore longtemps, foi de Siegfried ! Il testa une nouvelle fois toutes les touches avant de comprendre qu’il devait déplacer le curseur sur " OK " à l’aide du rectangle gris placé avant le clavier. Cela faisait déjà une heure qu’il affrontait en combat singulier l’ordinateur portable de Laïloken…
Le premier cadre refit son apparition, à son grand soulagement, et le Guerrier divin fit une nouvelle tentative avec aquarius à la place de verseau, pour un résultat identique. Il retint de justesse son hurlement de rage, bien loin de l’homme raffiné et civilisé qu’il était, inspira à fond, et recommença tout en maudissant le Saint et ses idées débiles. Au troisième essai, il mit cygne et cette fois, l’appareil afficha un message différent qui arracha un véritable grognement bestial à un Général en chef d’Asgard qui perdait rapidement les dernières miettes de sa dignité.
Le ronronnement se fit plus important et Siegfried recula, surpris de ce revirement, s’attendant presque à une attaque de l’engin. L’encadré disparut, l’affichage changea et durant quelques instants, l’Asgardien se demanda s’il n’allait pas tout simplement le laisser en plan pour le moment. Mais sa fierté reprit le dessus : il n’allait pas battre en retraite devant une machine, non ?
Tout à coup, un nouveau message apparut, lapidaire : " Erreur d’utilisateur. Mot de passe erroné ". Siegfried se leva brusquement, renversant sa chaise dans le mouvement et il claqua du poing sur le malheureux secrétaire innocent.
– Espèce de saleté ! ! Tu la veux mon Odin Sword, hein ? ! Tu la veux ? ? !
Et là, comme pour le narguer, un nouveau message qui sembla mielleux à souhait pour un Guerrier divin à bout de nerfs parut : " Peut-être avez-vous oublié votre mot de passe ? Dans ce cas, répondez à ces simples questions afin que le système vérifie votre identité… "
Gggggrrrrr… Il veut me faire craquer… Il veut me faire craquer…Mais il ne m’aura pas… Je résisterai… Ce n’est qu’une machine, après tout ! Il ramassa la chaise et se rassit, prêt à subir l’interrogatoire sans broncher. La première question ne tarda pas.
" Quel est le nom de votre meilleur ami ? "
– Euh… Ça commence bien… Allez, Hagen…
Il tapa sa réponse lentement, pas convaincu pour deux sous.
" Quel est votre ennemi le plus coriace ? "
– Je t’en pose, moi, de ces questions ? ! Je te demande qui est ton ennemi à toi ? Nan, alors t’es prié de faire pareil ! Je passe !
La question resta affichée avec le curseur qui clignotait patiemment. Siegfried attendit un moment avant de comprendre que rien n’y ferait, il devrait y répondre. Il ne pouvait y couper. Avec la désagréable impression d’avoir totalement perdu le contrôle de la situation, il tapa lentement " le thé ".
– Voilà ! T’es content ? ! Et tu la boucles sinon je t’explose, Laïloken ou non ! !
" Quelle est votre constellation ? "
Les yeux comme des soucoupes, Siegfried regarda l’écran comme si un OVNI venait de se poser en face de lui.
– Ma… Ma constellation ? ? Ouhla ! Tu as bu ou quoi ? T’es complètement à côté de la plaque, mon gars… J’ai pas de constellation, moi… J’ai une étoile… T’es peut-être malade ou quelque chose comme ça ? ? T’as dû choper quelque chose… Les machines comme toi doivent se détraquer parfois, non ?
Il tapa tout de même " Dubhe " mollement en guise de réponse. Le curseur changea d’aspect durant quelques secondes, puis le questionnaire et l’encadré disparurent. A la place s’afficha, en grands caractères : " Accès refusé. Utilisateur inconnu. "
Un frisson glacial courut le long de la colonne vertébrale de Siegfried. Il comprit que la boite venait de le déjouer et ne le laisserait pas accéder à ses données. Un sentiment de panique et de rage mêlée l’envahit. Il voulait savoir où était Laïloken et en même temps, il redoutait sa réaction s’il venait à comprendre qu’il avait tenté d’entrer de force dans la boite.
Tout aurait pu s’arrêter là. Seulement Siegfried devait encore parvenir à arrêter cet engin de malheur. Il n’eut même pas le temps d’y songer. Alors qu’il en était encore à évaluer le désastre à venir, son adversaire sembla décider qu’il était temps de le rappeler à la réalité.
Le message disparut, laissant un vide presque monstrueux, accusateur, irrémédiable pour un Guerrier divin qui ne savait que faire. Puis une série de flashs aveuglants, ultra rapides, majoritairement blancs et bleus, se succédèrent durant une dizaine de secondes.
Tétanisé, le malheureux Asgardien regarda l’ordinateur faire son cirque sans rien oser toucher. Au contraire, il s’éloigna juste un peu du secrétaire au cas où la machine aurait la délicatesse de lui exploser à la figure.
Une image floue, indistincte apparut en fond d’écran avant de se clarifier peu à peu. Il s’agissait d’un jeune éphèbe à la beauté stupéfiante, assis au bord d’une margelle, tenant à deux mains sur son épaule droite une jarre finement ciselée à demi penchée.
Le Ganymède mythologique… L’Echanson des dieux… Le Verseau…
Puis la jarre bascula un peu plus vers l’avant et de l’eau sembla en couler… durant quelques instants du moins… car elle se transforma très vite en de magnifiques flocons de neige qui, partant du centre de l’écran, vinrent en grossissant s’agglutiner progressivement sur toute la surface disponible, formant ainsi un voile totalement opaque au bout de quelques minutes.
Puis une fois l’écran complètement blanc, l’ordinateur s’éteignit tout seul.
C’est à ce moment-là que toute la frustration et la rage de Siegfried explosa : cet engin venait de se moquer délibérément de lui, c’était clair comme de l’eau de roche ! Il allait le massacrer ! Il lui donnerait une bonne leçon ! On ne se moquait pas impunément du Guerrier divin d’Alpha, non mais !
– Ordure ! ! ! Lâche ! ! ! Tu vas voir si tu vas encore te foutre de moi longtemps ! ! Tu vas comprendre ta douleur, enflure ! !
Il leva un bras avec l’intention manifeste de l’abattre sur l’ordinateur mais à la dernière seconde, une étincelle de raison le retint : de quoi aurait-il l’air, là, à s’énerver contre une machine qui, de toute évidence, ne réfléchissait pas ? Ce n’était pas à l’ordinateur qu’il devait en vouloir, mais au propriétaire… Il abaissa lentement son bras, non sans foudroyer sa victime du regard.
– Monsieur ? Le thé va être servi dans le salon…
Le jeune homme sursauta à la voix de son majordome. Il s’obligea au calme et répondit d’un ton le plus neutre possible :
– Merci, j’arrive dans dix minutes…
Une fois le majordome reparti, Siegfried rabattit l’écran d’un geste sec et considéra la boite noire d’un œil mauvais. Non seulement il n’avait pas eu les renseignements qu’il voulait, mais en plus, ce truc pouvait le trahir auprès du Saint du Verseau. Il serra les dents… Oh et puis, il l’attendait, tiens ! Il lui dirait sa façon de penser à celui-là !
Tu ne perds rien pour attendre, Laïloken… Je suis presque certain que tu l’as fait exprès pour me piéger… Tu n’es qu’un pauvre abruti ! Tu vas me le payer très cher, d’une façon ou d’une autre… J’ai horreur de passer pour un idiot ! Tu vas le regretter ! !
– Grèce, Sanctuaire d’Athéna –
Shaka venait de cesser sa méditation. Il redescendit doucement au sol et se releva souplement. Il était temps de se rendre auprès du Grand Pope, mais il n’avait toujours pas trouvé de solution à son problème malgré une réflexion intensive… Comment faire en sorte que Poséidon s’allie avec Athéna sans pour autant lui livrer Kanon ? Le Chevalier de la Vierge n’était pas dupe… Aucun doute sur ce qui arriverait à l’ex-Général dès que ce dernier serait remis entre les mains de la divinité rancunière : il y perdrait la tête… et pas qu’au sens figuré… Inutile de se faire d’illusion non plus sur les réactions de Saga face à ce genre de nouvelle… La phase Saga-Gris tyrannique n’aurait l’air que d’une gentille période de paix face au cataclysme que déclencherait un Gémeau ivre de douleur…
Shaka sentit un frisson glacial lui dévaler la colonne vertébrale. Il ne voulait même pas oser y penser… Mais que faire ? L’aide de Poséidon était importante… Tout comme Kanon était nécessaire à Saga, l’un des douze gardiens du Zodiaque… Quoique… Maintenant, ils n’étaient plus que onze, puisque Camus avait été abattu…
Le Chevalier de la Vierge entra dans ses appartements et se changea. Au lieu de son habituel sari orange, il enfila un pantalon de lin et une longue tunique tombant aux genoux et fendue jusqu’à mi-cuisses. Il donna un rapide coup de brosse à sa longue chevelure et la gaina dans un épais lien de cuir… Pourquoi autant d’apprêts ? Shaka l’ignorait… Il voulait certainement gagner du temps et tenter de trouver une solution de dernière minute…
Il dut se résoudre à quitter son temple et commença l’ascension menant au palais du Grand Pope. Le soleil tapait toujours aussi fort mais il n’en avait cure… Il réfléchissait encore à un moyen de sauver Kanon tout en s’assurant le soutien de l’Ebranleur du Sol.
Le temple de la Balance était vide, comme la plupart du temps… On se demandait ce que Dokho pouvait bien faire et certaines rumeurs prétendaient qu’il tenait souvent compagnie à l’ancien Bélier. Mais Shaka n’y avait jamais vraiment accordé de l’importance. Le temple du Scorpion ressemblait à s’y méprendre à un tombeau tant l’aura de son propriétaire était sombre et douloureuse… D’ailleurs, ce dernier refusa de se montrer et de répondre à l’appel de son cosmos… Etrange, songea la Vierge, avant de se trouver de nouveau accaparé par son problème en entamant une nouvelle volée de marches. Le temple du Sagittaire était vide également… Aioros devait certainement traîner du côté des arènes, essayant de repérer des apprentis qu’il pourrait éventuellement entraîner… Le temple du Capricorne avait son gardien, très occupé à lire un journal espagnol. Ce fut à peine si Shura leva les yeux pour lui dire bonjour.
Le temple du Verseau était d’un calme irréel mais quelque chose retint la curiosité de Shaka. Il s’immobilisa, attentif… Cela ressemblait à une vibration… comme une onde qui venait s’échouer par vagues lointaines… La maison était-elle vraiment sans gardien ? C’était imperceptible et pourtant… Shaka se concentra davantage mais bientôt, il ne ressentit plus l’énergie qui l’avait troublé. Le Chevalier de la Vierge leva la tête et regarda lentement les colonnes et les cannelures du temple : quels secrets cachaient donc les Chevaliers du froid ? Il avait l’impression que ce dernier était bel et bien gardé. Quelque chose était en train de se tramer autour de cette maison, il en était sûr ! Mais ce n’était pas son problème pour le moment… Kanon le préoccupait beaucoup plus. Ce dernier était vivant ; Camus était déjà mort, il n’était plus à quelques jours près…
Il se remit en marche et parvint au temple des Poissons où il se heurta bien évidemment à Aphrodite en train de confectionner un bouquet de fleurs séchées. Ce dernier l’accueillit cordialement avec le sourire, lui offrit un verre de jus de fruit et après quelques civilités le laissa enfin passer.
Lorsqu’il arriva dans la salle du Grand Pope, Shaka de la Vierge n’avait toujours pas trouvé de solution à son problème. Ses pensées avaient tourné en rond sans donner de résultat et il n’avait abouti qu’à une évidence alarmante : Kanon devait être livré à Poséidon. Autant dire qu’il pouvait dire adieu à tout espoir auprès de l’aîné des Gémeaux… Pourquoi irait-il se préoccuper du gardien du sixième temple alors qu’il allait perdre son frère ? D’ailleurs, il ne se doutait même pas qu’il lui inspirait de tendres sentiments !
– Ah ! Shaka ! Enfin !
L’exclamation du Grand Pope sortit le Chevalier de ses pensées et ce dernier rougit sous le reproche indirect. Il s’agenouilla et attendit calmement d’être autorisé à prendre la parole, ce qui ne tarda guère.
– Fais-moi ton rapport, Chevalier !
Shaka se redressa et sa voix calme s’éleva dans la salle vide, se répercutant le long des hauts murs et du plafond vertigineux.
– Poséidon ne veut concéder à enfreindre les lois olympiennes concernant le pacte entre les dieux qu’à une seule condition, Votre Altesse…
Shion serra les accoudoirs brusquement, craignant ladite condition. D’ailleurs, le Chevalier ne fit pas durer le suspens trop longtemps :
– Il veut Kanon et ce n’est pas négociable.
La respiration du Grand Pope se bloqua brusquement et il dut faire appel à toute sa maîtrise pour ne pas trahir sa brusque colère. Oh ! Il se doutait bien de ce que le Dieu marin voulait faire du cadet des Gémeaux… C’était évident : le punir de sa trahison et l’exécuter ! Par Athéna… Saga allait encore griller un fusible ! Il inspira profondément pour relâcher la tension et fixa le Chevalier à travers son masque.
– Dans combien de temps veut-il une réponse ?
– Poséidon viendra en personne dans une semaine… Il faudra alors lui remettre Kanon en main propre.
Shion hocha la tête lentement en regardant le Chevalier. Ce dernier avait accompli son devoir et c’était maintenant à lui de régler le problème…
– Chevalier de la Vierge, tu peux disposer…
Shaka s’inclina poliment et se retourna pour quitter le palais. Au moment où il atteignait les portes, le Grand Pope le héla :
– Shaka !
Surpris, le Chevalier se retourna, l’interrogeant du regard :
– Tu devrais te déclarer auprès de Saga… Cela te soulagerait d’une partie de tes préoccupations et lui permettrait de mieux gérer la crise à venir…
L’Indien s’empourpra plus vite que la lumière et baissa la tête, embarrassé. Cela se voyait donc tant ? Pourtant, il pensait être discret…
– Tu es discret, Shaka, rassure-toi… Mais tu es tellement préoccupé que tes émotions se lisent dans ton cosmos… Heureusement, c’est encore très ténu, je suis sûrement le seul à l’avoir détecté, mais bientôt, cela deviendra plus visible que le nez au milieu de la figure…
Shaka s’inclina profondément en signe de remerciement et répondit :
– Merci pour vos conseils avisés, Grand Pope, mais le cœur est difficile à raisonner… Dès que je me sentirais près, je tenterai ma chance.
Le Grand Pope le regarda partir puis quitta lui-même la salle par une sortie dérobée. Il rejoignit Saori, assise dans un fauteuil, le regard perdu dans une rêverie profonde.
– Altesse ?
La jeune fille se tourna vers son représentant sur terre et fit :
– J’ai tout entendu, Shion. Si je veux m’assurer de son soutien dans cette épreuve qui nous attend, mon oncle veut Kanon en échange.
Shion hocha gravement la tête, sans rien dire. Athéna poussa un profond soupir et ferma les yeux de lassitude :
– Si je savais au moins contre qui ou quoi on doit se préparer… Je suis fatiguée, Shion… J’aurais voulu vous épargner tout cela, mais il faut croire qu’à chaque fois, ce vœu s’avère bien futile…
Le silence, lourd et palpable, s’installa durant quelques instants, instants où chacun d’entre eux plongea dans ses réflexions. Au bout d’un moment, Shion finit par demander :
– Que faisons-nous ?
– Poséidon n’aura jamais Kanon, même si pour cela, nous devrons nous passer de son aide. Je ne lui donnerai pas l’un de mes Chevaliers pour qu’il en fasse ce que bon lui semble, il n’y a pas à discuter.
Shion s’était douté de la réponse mais il craignait que cette décision ne plonge une nouvelle fois le Sanctuaire dans la guerre. Pourtant, comme il comprenait la jeune fille ! Kanon avait déjà tellement souffert et maintenant qu’il avait retrouvé le droit chemin, un dieu rancunier allait tout gâcher !
– Délos, Sanctuaire d’Apollon, une journée plus tôt –
Assis sur un rocher situé sur une hauteur escarpée, les genoux ramenés contre sa poitrine, Kanon regardait le coucher de soleil en profitant plus de la solitude que du spectacle. Une journée qu’il était là… Une seule journée et il était déjà à deux doigts de l’hystérie… A côté de ce qu’il venait d’expérimenter, le Sanctuaire d’Athéna était un vrai paradis sur terre.
Il ferma les yeux et posa son front sur ses genoux, cherchant à oublier, en vain. Les images, les gestes, les paroles, tout lui revenait à l’esprit comme s’il le revivait encore et encore. Oh, il aurait dû se douter avec les problèmes du ferry que quelque chose de pas très net se tramait mais comment aurait-il pu seulement imaginer qu’il vivrait un tel enfer ?
Il se revoyait sur le pont de l’embarcation, fièrement campé sur ses jambes, cheveux au vent et sac jeté négligemment sur l’épaule. Il regardait approcher le ponton du port, en se remémorant pour la millième fois les recommandations du Grand Pope au sujet de sa mission diplomatique : rester poli et avenant en toutes circonstances, surveiller ses manières, sourire sans être niais pour autant, être le plus discret possible durant l’enquête et ne jamais, ô grand jamais, froisser ses hôtes. A cette liste déjà longue et contraignante, s’était ajoutée celle de Saga. " Tiens-toi droit… gnagnagna… Pas de sourire narquois… gnagnagna… Fais un effort vestimentaire… gnagnagna… Et on ne manipule pas cette malheureuse Pythie… gnagnagna… " et ainsi de suite… En clair, ne plus être lui. Voilà.
Le bateau accosta et le Gémeaux sauta sur le ponton, soulagé de sentir à nouveau la terre ferme sous ses pieds. La mer, c’était tout de même le domaine de Poséidon et il était méfiant, surtout depuis sa prise de bec avec Thétis. Il était enfin sur l’île. Magnifique ! Il regarda autour de lui, un peu perdu. Et il allait où maintenant ? Il n’y avait même pas de comité d’accueil ! Quelle hospitalité hors du commun, vraiment ! Bon, il était en retard de plusieurs jours d’accord, mais ce n’était pas de sa faute si le ferry était tombé en panne et il avait prévenu…
Il fit quelques pas au hasard alors que les habitués de l’île se disséminaient déjà pour vaquer à leurs occupations quotidiennes et regarda le soleil encore bas sur l’horizon. Il était très tôt le matin et les boutiques étaient fermées. Il frissonna. Il faisait encore frais et sa fine chemise de lin n’allait pas l’aider à se réchauffer.
– Bonjour ! fit une voix cristalline et rieuse dans son dos.
Il se retourna brutalement, surpris, et se retrouva face à une jeune femme au look… particulier. Elle portait ce qui semblait bien être une tunique en tissu précieux, d’une couleur très vive, retenue à ses épaules par deux fibules serpentines dorées, qu’elle avait remontée sans aucun égard jusqu’au dessus des genoux et tenaient ses sandales en main. Ses longs cheveux bruns à peine peignés où se mêlaient différentes tresses colorées ne semblaient maintenus en arrière que par un bandeau de tissu frangé qui faisait office de diadème. Kanon fut tellement déconcerté par cette apparence, qu’il resta à la regarder durant un long moment sans dire un mot avant de se reprendre.
– Youhou ! ! ! fit-elle en secouant sa main devant ses yeux. Je sais que je suis irrésistible mais quand même…
Ce fut les éclats éblouissants du bracelet d’or qui enlaçait étroitement son avant-bras droit qui le tira de sa torpeur. Il lui fit un sourire d’excuse et balbutia :
– Euh… Pardonnez-moi… J’ai été quelque peu…
– Interloqué ? fit-elle, malicieuse. La plupart des gens qui me voient pour la première fois ont cette réaction.
Il remarqua alors qu’elle ne lui arrivait même pas à l’épaule ; pourtant elle ne manquait certainement pas d’aplomb et elle dégageait une telle présence qu’on ne pouvait l’ignorer longtemps. De constitution tout à fait banale en apparence, ses yeux étirés en amande ainsi que ses pommettes un peu plus marquées trahissaient cependant une ascendance asiatique et sa peau arborait un délicieux hâle. Elle était un joli brin de femme, assurément, pourtant la lueur taquine qui brillait dans ses prunelles mordorées le poussait à la méfiance. Il connaissait trop bien ce genre de regard, il avait exactement le même lorsqu’il concoctait un tour pendable à Saga. Qui était-elle et que lui voulait-elle ?
– On recommence, alors !
Il la regarda avec des yeux ronds. Recommencer quoi ? Qu’avait-elle l’intention de faire ?
– Bonjour, je m’appelle Alexandra. Enchantée de vous rencontrer Kanon, fit-elle en lui tendant la main le plus naturellement du monde.
– Bon… bonjour, Alexandra… Euh… Je peux vous poser une question ? fit-il totalement abasourdi, tout en lui serrant la main mécaniquement.
– Bien sûr ! fut sa réponse enrobée avec le sourire le plus innocent du monde.
– Comment connaissez-vous mon nom ?
Son sourire s’accentua et elle fit, mystérieuse :
– Parce que je l’ai… deviné, peut-être ?
– Deviné ! s’exclama Kanon estomaqué. Mais deviné comment ?
– Parce que vous êtes le seul passager du ferry à ne pas savoir où aller, que vous avez un sac de voyage et que le Sanctuaire d’Apollon attend l’ambassadeur du Sanctuaire d’Athéna qui s’appelle Kanon des Gémeaux. Vous venez ?
Elle se détourna et commença à sautiller sur le sentier pavé relativement raide qui traversait le village. Elle chantonnait et semblait ne plus trop se préoccuper de sa présence comme si elle était partie dans son propre monde. Grave erreur ! Elle se retourna brutalement, lui prit la main sans façon, et lui demanda brutalement :
– Parlez-moi de votre Déesse…
– Ma Déesse ? Elle est juste, miséricordieuse, loyale, sage…
– Non, pas ça ! Parlez-moi de sa réincarnation ! Elle est jolie ?
Kanon rougit violemment et retira sa main précipitamment en s’exclamant :
– Mais je ne regarde pas ce genre de choses, enfin !
La jeune femme éclata de rire et rétorqua vivement :
– Ça, je pourrais le croire venant de votre frère aîné, mais pas de vous, Kanon !
Le Chevalier s’arrêta net et la regarda d’un air méfiant.
– D’où connaissez-vous mon frère aîné ?
– Ce n’est pas important, trancha la jeune femme sans cesser de rire.
Mais Kanon ne le prit pas comme ça, son ton devint beaucoup plus menaçant :
– Comment savez-vous que j’ai un frère aîné, d’abord ?
Alexandra haussa les épaules et fit :
– Ce que vous êtes susceptible et méfiant ! Vous vous êtes coincé une écaille en vous levant ce matin ou quoi ? La plupart des Sanctuaires connaissent l’histoire des Saints d’Athéna… Spécialement, les Saints nés sous le signe des Gémeaux…
Elle se remit en route comme si de rien n’était alors que lui restait là, à la considérer d’un œil suspicieux. Que savait-elle encore ? Il n’aimait pas du tout cela… Bien sûr, la légende des Saints d’Athéna avait dû circuler, mais pas avec autant de précision… Qui donc pouvait bien être cette femme ? Quel était son secret ? Il décida que la plus grande réserve à son égard serait le mieux, en cela Shaka avait raison. Il fallait rester sur ses gardes et demeurer discret.
– Bon vous venez ou vous attendez que les grenouilles apprennent à voler ?
Que les grenouilles apprennent à… mais elle est cinglée, cette fille ! Elle doit sortir d’un asile ! Je n’ose même pas imaginer ce qui lui passe par la tête… Il se remit en marche lentement, gardant un œil vigilant au cas où. Après tout, ce n’était pas à un vieux singe qu’on apprenait à faire la grimace. Il allait faire de la rétention d’information jusqu’à ce qu’il soit en présence de la fameuse Pythie…
Elle revint vers lui, prit de nouveau sa main et cela lui sembla étrange de voir la différence de taille entre ces doigts menus et sa paluche d’homme habitué au combat. Elle le tirait en avant, comme un enfant impatient traînait son père derrière lui. Elle lui secoua énergiquement le bras, lui demandant de hâter encore plus le pas :
– Mais vite, allons ! Le Sanctuaire d’Apollon est à une demie heure de marche après le village et je n’ai pas envie que les villageois me voient aujourd’hui ! Ce que vous êtes gamin !
Vexé, Kanon grogna :
– Ça vous va bien de me sortir un truc pareil, tiens ! Non, mais vous vous êtes regardée ?
Alexandra éclata de rire, lui serra la main chaleureusement avant de s’exclamer :
– Vous êtes impayable ! Je vous adore ! Je savais qu’on allait bien s’entendre !
Une nouvelle fois, le pauvre jeune homme regarda cette énergumène comme si elle venait de la planète Mars. Oh ! Mais il n’allait pas se laisser faire par ce microbe, non ? Il était un Chevalier d’Or, par Athéna ! Elle voulait jouer à ce jeu-là, tant pis pour elle ! Après tout, il était bien celui qui avait manipulé Poséidon, n’est-ce pas ? Et Saga n’avait parlé que de la Pythie, pas des autres, hm ? Avant d’ouvrir franchement les hostilités, il demanda cependant, à toute fin utile :
– Et pourquoi mon auguste guide ne veut-elle pas être vue par les villageois ce jour ?
– Pas envie de tirer les cartes ou de jouer à Madame Irma pour une histoire de ticket de loto ou de femme jalouse alors que c’est elle qui a déjà trois amants !
Il s’immobilisa de nouveau. Tirer les cartes ? Jouer à Madame Irma ? C’était une voyante, alors ? Pourquoi pas, à la rigueur… Cela pouvait expliquer son style vestimentaire particulier… et ses qualités d’observatrice. Et puis, il était au Sanctuaire d’Apollon, ce genre de pratiques devait être monnaie courante.
– Oh, parce que vous aimez regarder la vie des autres dans une boule de cristal ? Ce n’est pas du voyeurisme, ça, par hasard ?
S’il crut la vexer, ce fut raté. Elle conserva son sourire et rétorqua immédiatement :
– Non, la boule de cristal, c’est du folklore… Et non, ce n’est pas du voyeurisme parce que regarder la petite vie des autres n’est pas ma tasse de thé ! Il y en a bien qui tape sur les autres par pur plaisir, histoire de se défouler aussi… C’est un peu sadique, comme passe-temps…
Le Chevalier plissa les yeux et dut reconnaître que son adversaire était vraiment habile. Elle ne se laissait démonter en aucune circonstance et cela relevait largement le niveau du duel.
– Chacun son truc… J’ai jamais trop compris la boxe, moi…
Alexandra leva un sourcil amusé et lui jeta un regard en coin. Elle ne répondit pas mais se remit en marche, balançant dans un geste paresseux ses sandales, ses pieds nus foulant le sol avec grâce et légèreté les pavés de la rue principale du village encore endormi. Elle essaya de remonter d’un mouvement de bras agacé le pan de la tunique qui glissait de son épaule sous le poids de la fibule, en vain. Elle rejeta sur le côté son abondante chevelure et tenta de stopper la chute du tissu qui dévoilait un peu plus sa peau hâlée alors que ses pommettes s’empourpraient rapidement.
Au moment même où elle allait lâcher ses sandales pour remédier au problème, une grande main malhabile saisit pourtant délicatement le bijou en veillant à ne pas toucher à la peau et le remonta suffisamment pour le remettre à sa place. Les yeux mordorés se levèrent et croisèrent le regard turquoise. Le silence s’installa, lourd et embarrassant. Et ce fut Kanon qui coupa l’échange en premier, gêné par ces prunelles étranges, où luisait une flamme identique à celle qu’il voyait dans le regard des plus sages des Saints : une connaissance qui semblait sans limite. Etrange et d’autant plus dérangeant que cela ne collait pas avec la jeune femme qui paraissait tellement superficielle et joueuse.
– Merci !
Et avant qu’il ne réalise vraiment ce qu’il lui arrivait, elle lui déposa un baiser sur la joue et se mit à courir en avant en éclatant d’un rire cristallin. Cette fois, ce fut l’ex-Général, totalement désarçonné, qui s’empourpra comme un collégien et il se mit au devoir de la rattraper pour tenter de comprendre pourquoi elle avait fait ça. Et là, ce fut une nouvelle surprise : elle filait vite, la sauvageonne, bien trop vite pour une simple voyante de bas niveau… Et ce ne fut qu’à la sortie du village qu’il parvint enfin à sa hauteur, pour s’apercevoir qu’elle s’était appuyée sur un muret et remettait tranquillement ses sandales ! L’envie de mettre une claque sur cette frimousse aux traits moqueurs lui démangea furieusement les doigts… Elle se fichait ouvertement de lui, c’était une certitude !
Le regard innocent qu’elle lui adressa à ce moment-là le désarma complètement. Cette femme allait le rendre cinglé, il le sentait gros comme une maison… Elle avait dit une demie heure pour atteindre le Sanctuaire ? Bon, il allait bien survivre encore trente minutes… Ça passerait vite… Comme les discours de Shion ou les sermons de Saga… Ragaillardi par cette pensée rassurante, il se força à chasser toutes les vilaines pensées de sa tête et à aborder sereinement l’épreuve qui l’attendait avec ce démon femelle…
Pendant qu’ils reprenaient leur marche plus calmement, il remarqua que bizarrement, la tunique avait aussi retrouvé une allure plus académique en redescendant jusqu’aux chevilles. Il s’abstint de tout commentaire déplacé. Après tout, elle devait sûrement être obligée de présenter une tenue correcte au Sanctuaire en toutes circonstances…
– Vous savez, il n’y a plus beaucoup de monde au Sanctuaire… Tout a été détruit… Il n’y a plus rien… Plus rien du tout… C’est triste… Le Sanctuaire était tellement beau avant… Et puis, sans Apollon, ce n’est plus pareil…
Kanon l’observa attentivement. Non, là, elle était sérieuse. Elle ne plaisantait pas. Le Sanctuaire lui tenait vraiment à cœur et son dieu lui manquait réellement. Son visage s’était fermé en une crispation douloureuse et elle jouait nerveusement avec un pan de sa tunique qu’elle froissait méticuleusement. Elle se tourna brutalement vers lui et sembla le sonder du regard avec une intensité si grave que Kanon se sentit très mal à l’aise. C’était comme si la jeune femme tentait de lire en lui. Mais c’était stupide, n’est-ce pas ? Ce n’était qu’une simple voyante… Rien de plus…A tout hasard, il se ferma comme une huître. Il n’aimait pas qu’on farfouille dans son âme ni qu’on tente de deviner ses pensées.
– Les survivants ont-ils vu qui ont fait ça ?
Elle eut un sourire amer et secoua la tête lentement en croisant ses bras sur sa poitrine comme si elle avait brusquement froid.
– Ceux qui étaient présents lors de l’attaque du Sanctuaire ont tous été tués, même les novices. Le seul survivant est la réincarnation d’Apollon qui a été enlevée. Ceux qui sont revenus ont commencé à reconstruire mais la tâche est énorme et nous sommes bien peu…
Un silence lourd, pesant, tomba entre eux et le reste du chemin se passa sans qu’un seul mot de plus ne soit échangé. La jeune femme avançait vite, sans perdre de temps, comme si elle était vraiment pressée et Kanon suivait, regrettant presque la personnalité délurée de son accompagnatrice.
Le sentier tortueux finit par déboucher sur une allée plus large, se faufilant entre deux collines où une arche de marbre blanc se dressait, limitant clairement le Domaine Sacré. Ils la franchirent calmement et aussitôt que la vue se dégagea, Alexandra l’entraîna vers un petit remblais d’où ils pouvaient voir une bonne partie du Sanctuaire ou plutôt de ce qu’il en restait. Peu de bâtiments étaient debout et encore, ils étaient flambants neufs… Tout le reste était à terre, éparpillé, comme si on s’était acharné à détruire jusqu’à l’existence même du Domaine.
– Le plus difficile n’a pas été la perte matérielle, Kanon, mais bien les pertes humaines. Le Sanctuaire a bien failli ne jamais s’en remettre.
Kanon voulait bien le croire au vu des dégâts. L’assaillant devait être franchement en surnombre et très bien outillé pour faire de tels ravages… Sans compter que massacrer tous ceux qui étaient dévoués à la divinité… C’était indigne de tout guerrier qui se respecte !
– Par Apollon ! Vous êtes là ! On vous a cherchée partout ! Vous nous avez fait une de ces peurs !
Alexandra se redressa de toute sa taille, impériale, pour faire face au nouveau venu et secoua la tête, agacée :
– Il n’y avait aucune raison d’avoir peur ! Je n’allais pas m’envoler !
– Mais… Votre Altesse… Disparaître ainsi dans la nature sans prévenir qui que ce soit, ce n’est absolument pas raisonnable ! Et si on vous avait enlevée ? Vous n’imaginez même pas les conséquences ! Le Sanctuaire a trop besoin de vous !
– Oh ! Cela suffit ! Je suis certainement la plus à même de me défendre s’il venait à y avoir un danger !
Complètement oublié par les deux énergumènes qui se querellaient allègrement, le Chevalier assistait au débat, totalement hébété. Son regard sautait de l’un à l’autre sans parvenir à se fixer pour de bon sur l’un des deux. Il goba les mouches pendant de longues secondes avant de parvenir à balbutier, choqué :
– Vo… Vo… Votre… Votre Al… Votre Altesse ? ? Qu’est-ce… Qu’est-ce que ça veut dire ? ?
Il fut royalement ignoré.
L’interlocuteur d’Alexandra était grand, avec des épaules puissantes où étaient suspendus un arc et un carquois fermé, et son expression renfrognée montrait clairement qu’il ne semblait guère convaincu par la jeune femme qui le toisait, pas impressionnée pour deux sous. L’Archer jeta un œil critique sur la mise de Son Altesse.
– Votre Majesté ne devrait pas sortir dans une telle tenue. Vous symbolisez le Sanctuaire d’Apollon, on attend de vous que vous soyez parée et apprêtée en toutes circonstances. Et je vous conseille vivement de prendre au moins deux Archers avec vous lors de votre prochaine promenade… Tâchez de vous montrer plus responsable, vous le devez au Sanctuaire !
Ce fut comme si on venait de la gifler à toute volée et les pupilles mordorées se mirent à luire comme de l’or en fusion. Elle serra les poings et sa voix prit une intonation telle que les deux hommes en sursautèrent :
– Qui es-tu pour me juger, toi ? Je fais ce que bon me semble quand bon me semble et je me passerai de l’avis des Archers ! Je n’ai aucune justification à donner à qui que ce soit, si ce n’est à Notre Seigneur Apollon ! Retourne plutôt à ton poste !
Le guerrier se raidit, pâle comme un mort, puis salua dignement la jeune femme qui ne le regardait plus. Kanon avala sa salive, beaucoup moins fier sur le coup. Toutes les recommandations de Shion et de Saga venaient de lui revenir en pleine figure et il ne savait plus trop comment réagir. Car si le guerrier appelait la jeune femme Altesse, cela ne pouvait signifier qu’une chose : Alexandra était la Pythie. Cette information ricochait dans son esprit sans parvenir à se fixer. Il éprouva une irrémédiable envie de se terrer dans un coin pour son énorme bévue et il se voyait déjà sermonné pendant des heures pour avoir échoué à sa première mission diplomatique… La voix de la jeune femme le ramena à la réalité :
– Au fait, le jeune homme qui m’accompagne est l’ambassadeur du Sanctuaire d’Athéna, le Chevalier Kanon des Gémeaux. Au moins, lui, s’est montré plus courtois que toi !
L’Archer ne souffla pas un seul mot, même s’il était évident qu’il avait compris. Il s’éloignait déjà, lorsque la Pythie reprit :
– Et fais attention où tu poses les pieds ! Tu vas trébucher sur la racine qui effleure un peu plus bas et te tordre la cheville. Lorsque tu iras à l’infirmerie, tu trouveras le Mire de garde dans la salle des Simples.
Elle eut à peine fini sa phrase qu’ils entendirent un corps chuter, suivi d’un gémissement de douleur. Kanon se retourna et découvrit l’Archer étalé au sol, une grimace de douleur déformant ses traits et la tunique remontée jusqu’au niveau d’un fessier agréable à regarder mais pudiquement enveloppé d’un boxer. Son regard se posa alors sur une racine affleurant à peine du terrain rocheux, mais qui, de toute évidence, avait fait tomber traîtreusement le guerrier.
Sans même se préoccuper de l’Archer qui se relevait comme il pouvait, Alexandra reprit sa route, entraînant derrière elle le Chevalier abasourdi, qui finit par demander :
– Pourquoi… Pourquoi ne rien m’avoir dit plus tôt ?
– En quoi cela vous aurait avancé ?
– Mais… euh… Le protocole…
– Balivernes ! Sottises ! Radotages de vieillards aux neurones rabougris ! !
Ah ben, ce sont Shion et Saga qui seraient ravis d’entendre ça ! ! songea Kanon, de nouveau désarçonné. Elle lui tenait de nouveau la main et tout à coup, elle lui lança un regard taquin, avant de dire très sérieusement :
– Bon, puisque vous y tenez tant que ça… Je vais vous faire la présentation dans les règles de l’art… Alors, au sommet, il y a la Pythie, l’équivalent de votre… Grand Pope ?
– Oui, c’est le Grand Pope.
– Ensuite, il y a l’élite, constituée des Mires, qui sont en fait les médecins, exclusivement masculins et les Sibylles, qui sont exclusivement féminines. D’un niveau inférieur, il y a les Artistes et les Guérisseurs des deux sexes, auxquels il faut ajouter dans une catégorie un peu à part, les Muses, qui sont toujours des femmes. Enfin, tout en bas de l’échelle, les Archers pour les hommes et les Vierges sacrées, souvent médiums, d’ailleurs, pour les femmes... D’ailleurs, un conseil : ne touchez à aucune femme d’ici si vous tenez un tant soit peu à votre tête… Elles sont toutes consacrées à Apollon.
Kanon hocha la tête pour signifier qu’il avait saisi, même si le flot d’informations l’avait un peu noyé. En gros, il avait compris qu’il y avait une catégorisation comme au Sanctuaire d’Athéna et qu’il n’y avait pas de prédominance guerrière chez cette divinité… Alors pourquoi l’avoir attaquée ? Pourquoi avoir enlevé Apollon ?
– Vous pourrez commencer à fourrer votre nez où bon vous semblera après le petit déjeuner ! Je meurs de faim !
Les heures qui suivirent ne furent qu’un long défilé de taquineries, de pièges tendus spécialement pour le Chevalier et de répliques plus rapides que la lumière. Oh oui, la Pythie avait l’esprit vif ! A se demander d’ailleurs si elle ne prévoyait pas les attaques désespérées d’un Dragon des Mers pris à son propre jeu. Finalement, elle le laissa tranquille pour aller accomplir ses dévotions quotidiennes et le Chevalier en profita pour se faufiler jusqu’à la crique, là où, d’après Alexandra, l’ennemi avait débarqué pour attaquer…
Il chercha d’abord des traces physiques, mais c’était bien illusoire… Trop de temps était passé et tellement de monde avait circulé qu’il n’y avait plus rien d’exploitable ou de significatif. Il ferma donc les yeux et sonda l’espace autour de lui… Il ne sentit rien de particulier au premier abord dans le schéma dimensionnel classique. Il devait se concentrer davantage.
Comment faisait Saga, déjà ? Ah oui… Le vide absolu… Il inspira calmement, profondément… Plusieurs fois… Il devait faire abstraction de son environnement, autant dire un exploit pour lui…
Il entendait du bruit autour de lui… Comme des chuchotis… Qu’ils se taisent donc ! !
Des échos, des bruits, beaucoup de bruits… Il n’arrivait pas bien à discerner. Non, ils sentaient aussi comme des chocs contre sa conscience… Il ne savait pas trop. Il sentit son corps se tendre brusquement, comme si on l’agressait mais il se savait seul sur la plage… La peur le saisit et il se força au calme. Il devait savoir ce qu’il s’était passé, trouver une trace, aussi infime soit-elle, qui le mettrait sur une piste, un indice quelconque pour le guider dans cette nébuleuse énigmatique qu’était devenu ce Sanctuaire ravagé. Il y avait quelque chose qui l’attirait, une lueur, au loin, qui lui semblait aussi étrangère que familière…
Il avança, pas après pas, comme guidé par cette lumière à travers sa transe. Les chocs se firent moins violents, moins déchirants, se transformant en ondes, s’échouant contre lui par vagues légères, comme si quelque chose le protégeait, et il chercha à y voir plus loin, à découvrir la source de cette lueur si puissante mais lointaine encore. Mais elle se dérobait sans cesse, échappait à son contrôle et l’attirait encore plus loin, aussi sournoise que fascinante…
Il eut un sursaut de raison… ou d’instinct de survie ? Il ne comprenait tout simplement pas. Il était un maître des dimensions parallèles… Comment, par Athéna, comment était-il donc possible qu’il ne puisse rien maîtriser de ce voyage ? ? En fait, on le noyait de sensations, on l’abrutissait et on le menait là où on le voulait ! Ce n’était pas normal, pas normal du tout… Et il était incapable de résister…
Une mélodie douce et obsédante, enivrante et envoûtante se fraya un chemin tortueux au milieu du chaos environnant. Kanon n’entendit d’abord que quelques vagues notes perdues, sans aucun lien, surnageant au-dessus d’un bruit de fond permanent, puis cela devint de la musique qui s’envola, plus assurée, plus puissante et le Gémeaux détourna un bref instant son attention de la lueur pour tenter de discerner la source de cette nouvelle étrangeté.
Le froid le saisit à l’âme et le noir l’engloutit immédiatement. La lueur, les bruits, les chocs, la mélodie, tout cela disparut instantanément. Il perdit complètement le contact avec cette étrange dimension…
… pour ne le récupérer avec la réalité qu’en buvant une tasse mémorable…
Il se releva en toussant, crachant et en se tapant le torse, les yeux au bord des larmes. Il lui fallut de longues minutes avant de récupérer son souffle et se calmer. C’est alors que son regard accrocha quelque chose qui flottait à deux mètres de lui environ. Cela ressemblait étrangement à sa chemise, totalement lacérée de surcroît, et plus loin, il y avait son pantalon, qui lui, était resté accroché à une arête coupante à fleur d’eau…
Il s’immobilisa, les yeux grands ouverts et refit l’équation : chemise en lambeaux flottant dans l’eau et pantalon accroché à un récif… Le tout n’était pas sur lui, donc cela ne voulait dire qu’une chose… Il abaissa son regard et vit son torse solide, ses abdominaux ciselés, ses cuisses fermes et ses jambes nerveuses se perdant dans l’onde transparente de la crique. Et le tout, entièrement… dénudé ! ! !
Son premier réflexe fut de chercher la trace de la moindre blessure, l’état de ses vêtements l’ayant tout de même inquiété. Mais il n’y avait rien, pas la moindre égratignure… Et cet état de fait étrange s’ajouta à ce phénomène curieux auquel il avait été confronté lors de son incursion dimensionnelle. Décidément, il y avait quelque chose qui n’était pas clair du tout, encore fallait-il avoir ne serait-ce qu’un début de piste…
Il se passa une main énervée dans sa chevelure trempée et décida que ce n’était guère le moment de se prendre la tête avec ce genre de problème. Il en avait un autre de taille : comment rentrer au Sanctuaire sans rien avoir à se mettre sur le dos ?
– Vous êtes un exhibitionniste dans l’âme ? Dans ce cas, mes Artistes seront ravis de vous prendre pour modèle !
Il sursauta au son de cette voix féminine qu’il aurait reconnue entre toutes. La Pythie… Bien évidemment… Qui d’autre ? Kanon releva le regard pour rencontrer celui, toujours aussi moqueur, d’Alexandra, qui souriait en profitant pleinement du spectacle. Et elle n’était pas la seule… Son premier réflexe fut de cacher sa virilité tout en se recroquevillant pour s'asseoir dans l’eau, mais il suspendit son geste en découvrant les yeux des Artistes présents où brillaient des sentiments variés. La béatitude. L’admiration. La contemplation. Pas de jalousie déplacée, pas de moquerie, pas de grimace. Les Artistes le considéraient comme une œuvre d’art exceptionnelle sans aucune arrière pensée et l’observaient comme s’ils voulaient mémoriser ses proportions.
Kanon rougit sous tous ces regards qui le scrutaient aussi intensément et se mit à jouer avec leur admiration qui s’affichait aussi ouvertement, secrètement flatté de produire un tel effet chez ces individus réputés pour leur goût sûr. D’un air délibérément provocateur, il rejeta une mèche turquoise en arrière, laissant par mégarde une traînée de gouttelettes qui commencèrent par dévaler rapidement d’abord les rares courbes et méplats d’un torse viril d’un blanc nacré, titillant au passage une sensible fleur rose esseulée, avant de redessiner langoureusement chaque relief d’un ventre délicatement ciselé et de se glisser, lentement, avec impertinence, vers l’intérieur brûlant d’une cuisse ferme, effleurant un trésor interdit où finalement, seule l’une d’entre elle parvint à cheminer lentement, sensuellement, le long d’une jambe fuselée et frémissante pour rejoindre son lieu d’origine.
L’ex-Général vit avec un certain amusement une bonne partie des Artistes totalement hypnotisés par ces gouttelettes coquines qui redessinaient sa silhouette de façon aussi éhontée alors que la Pythie avait haussé un sourcil, sans rien rater de la scène. Elle ne disait pas un seul mot, mais elle n’avait guère perdu de sa prestance, ni de son assurance et elle n’avait même pas rougi ! Et pourtant… Kanon n’avait franchement pas l’habitude de se donner en spectacle, mais il avait décidé de la mettre mal à l’aise. Alors, il alla plus loin.
Son troublant regard turquoise se dissimula à demi derrière le voile de ses paupières et il se détourna comme s’il était ébloui par un reflet, offrant aux spectateurs, une autre vue sur son corps d’athlète par la même occasion. Durant ce mouvement, sa longue chevelure ondula, caressant son dos harmonieux et révélant presque par inadvertance une chute de reins somptueuse, comme pour mieux la souligner avant de la dissimuler de nouveau après avoir dévoilé un bref instant la merveille qu’elle protégeait. Vision si fugace volée comme par erreur, mais vision magique et audacieuse qui pousse toujours un héros de conte à braver le gardien du trésor… Révélation d’une anatomie si parfaite, si inhumaine, que les dieux eux-mêmes devaient en être jaloux… Mirage bien trop court aux allures de révélation sainte ouvrant la voie à une nouvelle religion…
Du coin de l’œil, Kanon regarda ses spectateurs et eut envie d’éclater de rire. Les Artistes semblaient avoir un bon coup de chaud. Ils étaient toujours en train de l’admirer mais avec un air si hébété que c’était à se demander s’ils étaient encore conscients. Alexandra, quant à elle, arborait une délicieuse couleur rose sur ses pommettes saillantes. Elle semblait fascinée par ses mouvements et son regard suivait chacun de ses gestes avec attention… et gourmandise ? Tiens donc ! Finalement, il aurait bien réussi à la surprendre au moins une fois, cette Pythie !
Il releva la tête et l’observa en affichant une expression ouvertement amusée :
– Eh bien ! Par Athéna ! En voilà des façons de me regarder ! Un peu de tenue, tout de même !
Alexandra leva les yeux au ciel d’un air dramatique :
– Et c’est lui qui dit ça alors qu’il est nu !
Elle fit un signe aux Artistes qui s’éclipsèrent et s’approcha un peu plus de l’eau.
– Vous venez vous baigner ? L’eau est excellente, je crois que je vais en profiter un peu, tout compte fait, lança Kanon, enjoué en reculant de quelques pas.
La Pythie secoua brièvement la tête avant de rétorquer, le regard se portant sur l’horizon :
– Vous servez plutôt d’appât, tel que vous êtes là. Sortez de l’eau, Kanon.
Le Gémeaux se retourna pour tenter de voir ce qu’Alexandra surveillait, en vain. Il fit face de nouveau à la Pythie, un air franchement interrogateur sur le visage. Puis brusquement, il la vit entrer dans l’eau toute habillée et se mettre à sa hauteur. Sa tunique formait comme une corolle de couleur vive autour de ses jambes, ondoyant au rythme des vagues.
– Je croyais que vous ne vous vouliez pas vous…
– Taisez-vous.
Ce n’était pas vraiment un ordre, plutôt un conseil. Il remarqua alors les prunelles habituellement mordorées qui avait de nouveau la teinte de l’or en fusion et les flux d’énergie qui dansaient dans sa longue chevelure brune. Elle semblait dégager une luminosité légère qui venait de son propre corps, comme sortant de chaque pore de sa peau. Son expression avait perdu toute trace de taquinerie. Elle était parfaitement concentrée. Elle était la Pythie dans toute sa splendeur.
Kanon recula prudemment pour rejoindre la plage. Il avait beau être un Chevalier d’Or, si la Pythie se voyait dans l’obligation d’intervenir en personne parce qu’elle sentait un danger, eh bien, il préférait lui faire confiance. Après tout, il se souvenait encore de la chute de l’Archer… Et visiblement, Alexandra, sous ses dehors de sauvageonne, avait de la puissance à revendre. Des arcs de cercles concentriques lumineux, dont elle était le centre, partaient vers le large sans rien perdre de leur force… Impressionnant.
Cela ne dura que quelques minutes, pas plus, mais cela sembla une éternité à Kanon qui ne comprenait pas vraiment ce qui se déroulait sous ses yeux. La Pythie avait capté un danger, c’était certain… Mais quel danger ? Et pourquoi venant de la mer ? Poséidon ? ! Il n’aurait tout de même pas tenté de le surprendre dans cette crique… C’était tout bonnement impensable ! Un dieu avait autre chose à faire que de traquer le simple mortel qu’il était, non ? Et lui, un ex-Général, n’avait rien ressenti ? Misère… Comment cela était-il seulement possible ?
Alexandra ressortit de l’eau et à peine posa-t-elle un orteil sur le sable sec, qu’elle le lorgna avec malice, tout sérieux envolé, décidée à l’asticoter une fois de plus :
– Je croyais que les Chevaliers préféraient être habillés et portaient des armures ? Je ne savais pas que le Sanctuaire d’Athéna était en fait un Domaine de nudistes !
Kanon eut une moue boudeuse et rétorqua vivement :
– Mes vêtements ont été déchirés, Votre Altesse… Ce n’est guère de ma faute ! Je suis tombé et voilà le résultat !
Alexandra éclata de rire, se moquant ouvertement du Dragon vexé :
– Il y a d’autres moyens de se baigner que de se casser la figure des rochers, vous savez ! Et ça aurait épargné vos vêtements… Visiblement, vous tenez tellement à vous fondre dans le décor que vous revenez à l’état naturel. Ce n’est pas un Dragon des Mers que vous auriez dû être, mais un Caméléon des Mers…
Kanon secoua la tête, exaspéré par cette femme aux réparties si habiles.
– Oh parce que vous vous croyez plus maligne avec votre robe trempée qui vous colle aux jambes, peut-être ?
– Au moins, moi, je ne suis pas nue…
Mais qu’on la fasse taire ! ! ! C’était impensable d’avoir une telle répartie ! ! Il se mit à grogner entre ses dents pour éviter d’être impoli.
– Pardon ? Je n’ai pas compris ce que vous étiez en train de dire. Vous pourriez articuler ?
Les nerfs de Kanon avaient déjà été mis à rude épreuve, si bien que cette fois, il gronda :
– Vous êtes énervante, à la fin ! On ne vous a jamais dit qu’il fallait ménager son interlocuteur ?
Alexandra le regarda, hilare :
– Ah ? Parce que vous le faites, vous ? Première nouvelle !
Kanon donna un violent coup de pied dans le sable, préférant cette alternative à la gifle, beaucoup moins diplomatique, et secoua la tête, énervé :
– J’abandonne ! Vous avez gagné ! Là, vous êtes contente ?
La Pythie haussa les épaules et rétorqua sans coup férir :
– Mais l’abandon n’est pas de mise… Vous vous comportez comme un gamin de cinq ans, alors je vous réponds comme à un gamin de cinq ans.
Kanon se tut, vexé pour de bon. Et cette femme était censée passer un accord avec lui ? C’était une plaisanterie ! Elle n’avait pas pu rester sérieuse plus de trente minutes. Il la voyait mal parlementer avec lui sans immédiatement tenter de le ridiculiser au détour d’une réflexion mal placée. Elle était insupportable, dangereuse pour sa santé mentale et plus vénéneuse que le poison du Scorpion. Sa fragilité n’était qu’apparence, comme tout le reste, d’ailleurs… Et elle savait tant de choses sur lui sans qu’il n’ait eu à lui dire quoi que ce soit ! C’était affolant.
– Prenez cette tunique. Elle vous est offerte par le Sanctuaire de Délos. Puisque vous tenez tant à vous fondre dans la masse, là vous aurez ce qu’il vous faut.
– Merci.
Pendant que Kanon s’habillait enfin, se débattant avec le système des fibules qui maintenaient les pans sur ses épaules, la Pythie reprit, sur un ton sérieux :
– Evitez la crique, dorénavant. Allez plutôt mener votre enquête au sein du Domaine Sacré. Ça vous épargnera de tomber des rochers comme tantôt… Ah ! J’allais oublier ! Les Artistes aimeraient pouvoir vous prendre comme modèle. Ce sont des esthètes, vous voyez, et comme vous venez de faire étalage de votre superbe anatomie, je suis certaine que vous ne verrez aucun inconvénient à poser pour eux.
Il n’eut même pas le temps de répondre. Alexandra était déjà repartie, le laissant planté là comme le plus parfait des idiots. Quel culot, non mais franchement ! Elle ne manquait pas d’air ! Puis il réalisa : il s’était fait prendre à son propre piège. Rhaaa ! ! ! Quand il songeait qu’elle était impossible, cette femme ! Elle voulait qu’il pose pour ses Artistes ? Dans ses rêves ! Il ne lui accorderait pas ce plaisir ! Il était là pour enquêter et lui faire signer ce fichu pacte, pas pour se faire humilier dès qu’elle ouvrait la bouche, non mais !
Il se mit en route à grandes enjambées et se dirigea vers les ruines des bâtiments, là où il avait le plus de chances de trouver une trace quelconque de ce qu’il s’était passé à travers le tissu dimensionnel. Il devait se calmer et il avait décidé de continuer son enquête pour se changer les idées ! Il parvint au cœur du Domaine et remonta la pente douce là où se concentrait visiblement la plupart des anciens édifices. Les membres du Sanctuaire vaquaient à leurs occupations sans se soucier de lui. Tant mieux.
Il s’approcha de ce qui devait être un temple énorme au vu de la quantité de blocs de pierre amassés au sol et commença à les examiner. Etrange… Il y avait bien des traces d’impacts mais pas autant qu’il l’aurait pensé. Surtout pour un bâtiment qui semblait imposant. Il s’assit un bref instant sur l’un des blocs et regarda autour de lui, examinant la topographie des lieux. Non, la plaine était ouverte, pas de parois qui aurait pu faire ricochet à une énergie quelconque. Quelle que soit la force qui ait pu abattre ces bâtiments, elle a dû le faire extrêmement rapidement et avec une précision hors du commun… D’où l’attaque a-t-elle pu provenir ? L’ennemi est arrivé par la crique, mais après ? Combien y avait-il d’hommes ? Et s’ils ont tué tous ceux qui étaient présents, c’était parce qu’ils ne voulaient laisser aucun témoin derrière eux… Un rapport avec cette mystérieuse force ? Ou cette lueur que j’ai perçue tout à l’heure dans mon exploration dimensionnelle ? Rien de tout cela n’est clair… Toutes les pistes sont brouillées !
Il se releva et replongea dans les dimensions parallèles. Il voulait en avoir le cœur net. C’était dangereux. Il le savait. Mais maintenant, il savait à quoi s’attendre, il pouvait éviter de se faire prendre au piège… Et de nouveau, il tomba dans le chaos le plus complet, perdant tous ses repères immédiatement, abruti par des bruits discordants, assailli par des chocs qui agressèrent sa psyché et aveuglé par des flashs lumineux douloureux qui lui vrillaient le crâne. Mais qu’est-ce que c’était que ce truc, à la fin ?
Il voulut reculer, se retirer, couper le contact… en vain. Il était comme englué dans cette dimension terrible où ses sens horriblement sollicités menaçaient de le rendre fou. Il sentit son cœur s’emballer. C’était pire que la première fois… La trace était plus " chaude ", plus présente et il subissait sans rien pouvoir faire. Il chercha à se débattre, encore et encore, voulut hurler mais c’était comme s’il était bâillonné.
Il haletait, le corps vrillé par cette souffrance insupportable, l’esprit aux abois, la raison à l’agonie. Puis soudain, il la vit, au loin… la lueur… Elle semblait vibrer, douce, apaisante, bienfaisante, si attirante… Elle paraissait lui promettre le soulagement, le calme et le silence. Elle était l’ordre au milieu de cette cacophonie de choses disparates. Si fascinante, si envoûtante, Kanon était certain qu’elle l’appelait, comme les Sirènes appelaient Ulysse lié à son mât… Il voulut répondre, aller vers elle et il commença lentement à se mouvoir pour aller à sa rencontre…
Il sentit quelque chose glisser le long de sa peau… et cette sensation était totalement différente des autres. Il lui fallut un moment pour comprendre, pour la distinguer du capharnaüm dimensionnel… Car cette sensation, elle, était bien réelle ! Le contact fut perdu. Kanon revint sur terre brutalement pour s’apercevoir une nouvelle fois avec horreur qu’il était en tenue d’Adam ! ! Sa tunique était… Euh… Pause ! Où était-elle passée, d’ailleurs ?
Il regarda à ses pieds mais elle avait disparu… Ce n’était pas normal, ça ! Et d’ailleurs, pourquoi à chaque fois qu’il tentait un voyage dimensionnel dans le Domaine d’Apollon fallait-il qu’il se retrouve systématiquement nu ? Il regarda autour de lui et là, ses yeux s’écarquillèrent de surprise. Il était à nouveau entouré – ou plutôt cerné – par les Artistes qui s’étaient installés derrière des chevalets ou des blocs de matériaux divers et s’activaient à qui mieux mieux en le scrutant avec une minutie frisant le fanatisme. Et derrière eux, devinez qui tenait la tunique fugueuse, les bras croisés et le sourire narquois ? Cette chère Alexandra, bien sûr ! Qui s’empressa d’enfoncer le clou, d’ailleurs :
– Je savais bien que vous accepteriez de poser pour nos Artistes, vous êtes si généreux…
Il fit mine d’avancer et aussitôt, il s’attira les foudres d’une vingtaine de regards énervés alors que la Pythie fronçait les sourcils :
– Ne bougez pas, Kanon. Ça fait trente minutes que vous posez, vous pouvez encore attendre un peu !
– Trente minutes ! ? s’exclama le Gémeaux, complètement largué. Mais… mais je viens à peine de sentir la tunique glisser…
– Je vous conseille d’éviter les voyages dimensionnels, dorénavant. Il y a des forces à l’œuvre dans ce Domaine que vous ne maîtrisez pas, de toute évidence.
– Mais que se passe-t-il ici ? fit Kanon, exaspéré.
– Vous n’avez pas besoin de le savoir.
Cette fois, il frissonna. Jamais il n’avait vu la Pythie s’exprimer aussi froidement. C’en était étrange et inquiétant. Ce n’était plus l’Alexandra enjouée qu’il avait en face de lui, mais bel et bien la représentante du Dieu Apollon. Et elle reprit d’ailleurs sur le même ton :
– Demain, nous parlerons du pacte qu’Athéna souhaite passer avec Notre Seigneur Apollon. En attendant, dès que les Artistes en auront fini, je vous attendrai pour le repas.
Elle déposa la tunique derrière l’un des hommes et partit de nouveau, droite et fière, plus digne qu’elle ne l’avait jamais été de sa position de toute la journée. Kanon n’avait plus qu’à prendre son mal en patience… Il était piégé, encore une fois. Elle avait eu ce qu’elle voulait. Il soupira profondément et ferma les yeux, se perdant dans ses pensées pour oublier où il était et ce qu’il faisait là, son corps nu exposé aux regards avides de ces hommes qui ne perdaient rien de la moindre de ses courbes et de ses proportions idéales. Oh par Athéna… Il aurait préféré être avec son jumeau en ce moment ! Il n’entendait plus que vaguement le bruit de la pierre que l’on travaillait et il ne vit pas le temps passer.
Le reste de journée avait été un véritable calvaire, oh oui… Il soupira de nouveau et frissonna longuement. Il se sentait engourdi et il étira ses jambes en grimaçant. Cela devait faire un moment qu’il se trouvait sur son rocher à ressasser les événements de ces dernières heures. Kanon se mordit la lèvre inférieure… Toute une journée… Durant toute une journée, il avait été humilié en continu, sans parvenir à reprendre la main… C’était pire que ce qu’il avait déjà vécu avec Saga, qui lui au moins, avait la décence de le laisser un peu tranquille pour s’en remettre. Il leva enfin la tête et découvrit que la lune était déjà très haute dans le ciel. Il était très tard, minuit devait déjà être passé… Ainsi donc, il venait de perdre la moitié de la nuit à se morfondre sur ce que lui avait fait endurer cette femme ? Et il devait encore tenir une journée, pour Athéna… et sans massacrer la Pythie entre les deux, bien entendu ! Il ne tiendrait jamais !
– Sibérie orientale –
Le soir-même de son intégration, Laïloken quitta la petite chambre qu’on lui avait attribuée, attiré par le remue-ménage qu’il entendait dehors. Cosmos masqué, il se camoufla soigneusement dans un coin d’ombre et vit qu’un groupe d’hommes s’agitait près de l’endroit où il avait repéré les deux petits dieux.
Il se mordit les lèvres violemment alors qu’un sentiment d’inquiétude lui étreignait le cœur. Il se démancha le cou en entendant des bruits de moteur et reconnut plusieurs motoneiges qui attendaient un peu plus loin. Les hommes allaient et venaient, chargeant les engins pour un voyage relativement long, d’après le nombre de paquetages…
Puis son cœur rata un battement et il sentit son sang se glacer dans ses veines. Un homme venait de sortir en tenant un enfant dans ses bras. A cette distance, il ne pouvait dire s’il s’agissait du garçon ou de la fille… Il le vit s’approcher d’une motoneige qu’il enfourcha avant d’installer confortablement son passager. Puis il y eut un autre individu qui fit de même avec l’autre enfant. Et ils partirent en plein cœur de la nuit…
Laïloken comprit… Ils les emmenaient… Donc ce camp n’était pas le seul… Et lui, il était coincé ici pour un temps indéterminé…
– Et zut ! s’exclama-t-il dès qu’il fut de retour dans sa chambre.
Il devait réfléchir et trouver une solution rapidement…
Il vit son reflet dans la psyché et en une fraction de seconde, il tenait son plan de rechange…
(1) Pour des raisons scénaristiques, j’ai choisi de placer Ortygie sur la presqu’île homonyme de Syracuse en Sicile. En effet, certains mythes donnent à Délos l’ancien nom d’Ortygie. Je ne voulais tout simplement pas que les Sanctuaires d’Artémis et d’Apollon soient aussi proches l’un de l’autre.
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